À l'initiative de la présidente de la commission des affaires étrangères, les présidents de groupe ont déposé la proposition de résolution que nous examinons ce jour, invitant la France à condamner l'offensive militaire turque dans le Nord-Est syrien.
Le 9 octobre dernier, la France a condamné très fermement cette offensive, mais cette condamnation n'a eu aucun effet puisque l'armée turque a mené des frappes aériennes sur les quatre régions de Ras al-Aïn, Tall Abyad, Qamichli et Aïn Issa. Ces frappes ont entraîné le déplacement de plus de 300 000 civils et la mort de plusieurs d'entre eux. À l'issue de l'offensive militaire menée entre le 9 et le 22 octobre, la Turquie a pris le contrôle d'un territoire long de 120 kilomètres et profond de 30 kilomètres.
Sur le plan géopolitique, l'Europe est restée spectatrice : elle n'a pu que prendre acte des décisions prises par la Russie, l'Iran, la Turquie et le régime syrien de Bachar al-Assad, avec l'accord implicite des États-Unis, au sujet de territoires pourtant proches de ses frontières.
Dans cette situation, monsieur le ministre, la France et l'Europe sont confrontées à deux grands enjeux.
Le premier tient à la protection des populations civiles kurdes. Dans cet hémicycle, nous sommes, toutes et tous, les héritiers des Lumières et les défenseurs ardents d'un concept né en France il y a plus de 200 ans : l'universalité des droits humains. Ce principe d'universalité est depuis 1945 au coeur de notre ordre mondial. En ce qui concerne la protection des populations civiles kurdes, une démarche forte de la France s'impose. Je souhaiterais que vous en précisiez les contours.
Selon les conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, les personnes civiles et toutes celles qui ne participent pas aux combats ne peuvent, en aucun cas, être l'objet d'attaques, elles doivent être épargnées et protégées. Afin de garantir ces principes, le groupe Socialistes et apparentés souhaite que la France demande le redéploiement immédiat sur le terrain du Comité international de la Croix-Rouge.
Le second enjeu concerne le positionnement stratégique de la France. Il est important que vous nous disiez, monsieur le ministre, comment le Président de la République et le Gouvernement envisagent de positionner notre pays.
Le 13 mars 2018, il y a donc un an et demi, je vous avais interrogé dans ce même hémicycle sur votre positionnement vis-à-vis des Kurdes. Je déplore que votre réponse d'alors n'ait été ni précise ni convaincante. Le 8 octobre dernier, soit la veille des frappes turques, j'ai interrogé le Premier ministre pour savoir comment la France entendait protéger les populations civiles kurdes. Il m'a alors indiqué que la France veillerait « à ce que soient pris en compte les intérêts des Kurdes, dont le courage et les sacrifices nous obligent ». Or, aujourd'hui, les combattants kurdes, confrontés à une situation de guerre menaçant leur survie, n'ont pas eu d'autre choix que de se rapprocher du régime syrien de Bachar al-Assad.
Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous disiez clairement ce que vous comptez faire sur trois sujets : l'interdiction, annoncée par le président Erdogan, du sol turc à tous les Syriens en situation irrégulière à partir de ce soir – ces Syriens, au nombre de 2 millions, seraient expulsés de Turquie vers le nord de la Syrie, précisément dans la zone dont la Turquie a pris le contrôle.
Deuxième sujet, le danger que représente le nouvel équilibre en train de se dessiner. Nous savons que la déstabilisation menée en Irak par les Américains en 2003 a indirectement contribué à l'émergence de Daech. Il est donc indispensable d'éviter la constitution ou la reconstitution de forces terroristes qui s'agrégeraient en réaction à ce nouvel équilibre.
Troisième sujet, les prisonniers djihadistes de nationalité française qui, jusqu'à présent, étaient détenus par les Kurdes. En mars 2017, Bernard Cazeneuve avait organisé une réunion interministérielle, à laquelle vous aviez sans doute pris part, pour veiller à ce que ces terroristes soient jugés et emprisonnés. Monsieur le ministre, pensez-vous que les Kurdes, qui n'ont pas bénéficié dans les dernières semaines de la protection de la coalition internationale, vont continuer longtemps à assurer la garde des prisonniers djihadistes ? Dans les faits, cette garde n'est d'ailleurs plus assurée puisque nous savons que plusieurs femmes djihadistes et leurs enfants se sont échappés pour fuir les bombardements turcs. Monsieur le ministre, face à cette situation, quelle solution envisagez-vous ? Un rapatriement avec jugement ou une autre voie ?
En résumé, face à l'enjeu humanitaire et aux trois enjeux géopolitiques que je viens de mentionner, dont les conséquences pour notre sécurité intérieure sont indéniables, la réponse du Gouvernement est indispensable.