Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du mercredi 30 octobre 2019 à 15h00
Condamnation de l'offensive militaire turque dans le nord-est syrien — Discussion générale

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Comme vous l'avez tous souligné, l'offensive lancée par la Turquie début octobre et le retrait concomitant des forces américaines ont conduit à une situation très grave dans le nord-est de la Syrie. Elle est de nature à remettre en cause le résultat des cinq ans d'efforts de la coalition internationale contre Daech, avec le partenariat des Forces démocratiques syriennes. C'est pourquoi le Gouvernement soutient cette proposition de résolution.

Le Gouvernement a condamné clairement l'offensive turque et a fait partager cette condamnation par les vingt-huit États membres de l'Union européenne, ce qui n'était pas acquis d'avance.

Nous vivons donc ici un moment fort. Je ne suis pas toujours d'accord avec M. Mélenchon, mais il a affirmé tout à l'heure que notre condamnation unanime pouvait peser lourd : oui, elle pèsera lourd. Je me réjouis de l'initiative de Mme de Sarnez.

Sans détailler longuement la situation sur le terrain, je signale que, comme vous devez le savoir, le contenu de l'accord entre les Américains et les Turcs est en grande partie rendu caduc par l'arrangement conclu à Sotchi le 22 octobre, qui acte le retour du régime syrien et de la Russie dans le nord-est syrien, conséquence logique de la décision américaine en date du 13 octobre de se retirer des forces de la coalition.

L'accord turco-russe se déploie. Les Forces démocratiques syriennes ont indiqué qu'à ce stade, elles étaient prêtes à respecter l'arrangement négocié entre Russes et Turcs et à se retirer des zones frontalières entre la Syrie et la Turquie ; nous observons de près l'application de cette disposition, élément important pour l'avenir du combat contre Daech, compte tenu de la contribution irremplaçable que les Forces démocratiques syriennes ont apportée avec courage aux opérations de la coalition depuis 2015.

Je voudrais d'ailleurs rappeler l'histoire. Celles qui ont rendu possible l'éradication territoriale de Daech, ce sont les forces de la coalition, au deuxième rang desquelles se trouvait la France, et dont faisaient partie les forces irakiennes, qui ont payé un lourd tribut dans ce combat ; ce sont les Forces démocratiques syriennes, en appui au sol, qui ont notamment permis de libérer la ville symbolique de Raqqa, à laquelle nous portons un intérêt tout particulier.

Il ne faudrait pas que d'autres vainqueurs se déclarent a posteriori ; je crois d'autant plus utile de le dire que la défaite territoriale de Daech est récente, puisqu'elle date de mars dernier, avec la bataille de Baghouz.

Après sa défaite territoriale, l'organisation a choisi de se reconstruire dans la clandestinité. Comme plusieurs d'entre vous l'ont souligné, la fin de l'emprise territoriale de Daech, obtenue par un combat très dur, n'a pas signifié son éradication. Elle a mis fin à son organisation territoriale en Irak, puis en Syrie, mais les défenseurs de Daech n'ont pas disparu pour autant. Ils sont soit entrés dans la clandestinité, soit sont retenus dans les camps ou les prisons.

La mort d'Al-Baghdadi, chef de Daech, est un nouveau coup porté à cette organisation terroriste, mais ce coup n'est pas fatal ; il n'est qu'une étape en vue de la défaite définitive. Le combat n'est pas terminé, nous devons le poursuivre collectivement, avec une détermination intacte, dans le cadre de la coalition.

Le chaos créé par l'offensive d'Ankara permet donc la résurgence de Daech. Plusieurs attentats ont d'ailleurs eu lieu récemment en Syrie, notamment à Raqqa et à Qamichli, montrant qu'elle est en route.

Dans ce contexte, il est essentiel de garantir que les combattants de Daech resteront détenus dans des conditions sûres et fiables. C'est le cas pour l'essentiel, la situation est globalement sous contrôle, mais il faut suivre son évolution en détail et avec beaucoup d'attention – je vais y revenir.

Après la mort d'Al-Baghdadi, et parvenu à ce moment du débat, je voudrais avoir une pensée pour les victimes de Daech ; elles furent françaises, irakiennes, syriennes, et de bien d'autres nationalités. Car c'est Al-Baghdadi qui, après avoir participé à la prise de Mossoul et aux atrocités commises par Daech en Irak, dirigeait l'organisation terroriste lorsqu'elle a planifié les attentats de Paris en novembre 2015 ; il a également commandité de nombreux autres crimes commis par la suite, notamment en Turquie. Ce pays n'a pas été épargné par les attentats de Daech. Il faut le lui rappeler : trente-cinq attaques ont eu lieu sur son sol, causant 400 morts et près de 1 500 blessés depuis 2013.

Permettez-moi également de saluer l'action des Forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d'Arabes : le courage des hommes et des femmes qui les composent, les sacrifices qu'ils ont consentis face à l'ennemi commun que représente Daech, appellent toute notre reconnaissance. Le Président de la République la leur a témoignée en plusieurs occasions. Nous sommes toujours en relation avec eux, avec Mme Ilham Ahmed et le commandant Mazloum Abdi ; quelle que soit l'évolution des événements sur le terrain, nous serons attentifs à la situation des FDS, qui ont payé le prix du sang face à Daech, aux côtés de nos forces, de celles de la coalition : ce combat commun nous oblige et nous sommes redevables à l'égard des Forces démocratiques syriennes.

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