Le troisième enjeu concerne la stabilité régionale. L'offensive turque nous éloigne d'une solution politique à la crise syrienne, dont dépendent à la fois notre sécurité, l'avenir de la Syrie et la sécurité de ses voisins. À terme, elle pourrait même favoriser la reprise d'une offensive militaire dans le nord-ouest, sur Idlib, parallèlement à la reprise en main du nord-est par le régime. Tout cela est désormais largement soumis à la volonté de la Russie et de la Turquie.
Dans ce contexte, le début des travaux du comité constitutionnel syrien, aujourd'hui même à Genève, est un pas dans la bonne direction. La démarche paraît néanmoins éloignée de la réalité de la situation sur le terrain ; elle ne sera efficace que si elle s'accompagne de mesures concrètes sur le plan politique, dont on ne voit pas pour l'instant le début.
Dès le début de l'offensive turque, la France a proposé une réunion ministérielle de la coalition contre Daech. Nous étions en effet extrêmement surpris : à sa création, l'ensemble des pays concernés s'étaient réunis pour décider d'une action commune ; alors que la coalition commençait à remporter des victoires territoriales significatives, deux membres – les États-Unis d'Amérique et la Turquie – ont pris, sans la consulter, des initiatives allant à l'inverse de sa logique de lutte contre l'organisation terroriste.
Nous avons sollicité la réunion de la coalition, qui, avec l'approbation de l'ensemble des membres de l'Union européenne, se tiendra le 14 novembre. Bien entendu, la France y participera. Au cours de cette réunion de clarification et de vérification, je porterai à nos partenaires un message franc et exigeant.
D'abord, nous devrons nous mettre d'accord sur la nécessité de poursuivre les efforts de la coalition contre Daech et mettre à jour les plans à cet effet. Chacun doit prendre en compte l'évolution de ces dernières semaines. Nous souhaitons que chacun des membres de la coalition assume ses responsabilités et que, les uns et les autres, nous en tirions des conclusions. Dans ce contexte nouveau, une clarification des intentions de chaque partenaire de la coalition s'impose.
La question est simple : comment poursuivre ensemble la lutte contre Daech ? La réponse doit être claire. La parole doit être fidèle. Elle doit être aussi en cohérence, ainsi qu'en soutien et en maintien du respect et de l'autonomie des Forces démocratiques syriennes. C'est le grand enjeu de cette réunion ministérielle que nous avons souhaitée et qui va enfin se tenir que d'opérer cette indispensable clarification.
Je souhaite aussi que la réunion de la coalition permette une discussion très franche sur les combattants de Daech. Cette question est centrale pour la sécurité de la région, de l'Irak et aussi de la France.
Je comprends la répétition des interrogations sur les combattants français. Ceux-ci sont soixante-deux. Ce chiffre important peut paraître relativement faible si l'on songe que plus de 10 000 combattants de Daech sont détenus dans les prisons du Nord-Est syrien. Il faut traiter globalement la question des combattants et faire en sorte qu'elle soit centrale pour les Russes, les Tunisiens, les Marocains et les Irakiens, afin que nous puissions y apporter, avec ceux qui le souhaiteront, une réponse collective.
Enfin, la réunion de la coalition devra dresser un point précis sur nos activités de soutien humanitaire et de stabilisation. Au-delà du Nord-Est syrien, l'Irak, qui connaît une situation très difficile, doit aussi pouvoir bénéficier d'aides et de soutiens pour faire face à l'afflux de réfugiés supplémentaires venus de Syrie.
Au-delà de la coalition, et de cette réunion de vérification et de clarification, il importera aussi – certains d'entre vous l'ont souligné – de clarifier, début décembre, donc quinze jours plus tard, lors du sommet de l'OTAN, le statut de la Turquie comme alliée de l'OTAN.
La réunion doit être l'occasion d'un échange important entre alliés, d'un échange franc et exigeant, d'un échange avec la position américaine comme avec la position turque. Comme vous le savez, le Président de la République a fait part de sa disponibilité pour participer à une rencontre préparatoire avec le premier ministre britannique, la chancelière allemande et le président de la République de Turquie pour évoquer, avant cette réunion, l'état de nos relations avec la Turquie. Cette offre est toujours sur la table, gage d'une volonté de clarification très nette des intentions des uns et des autres.
Je vous rappelle que nous avons suspendu notre aide à la Turquie et que nous aurons, au cours des deux rencontres à venir, une position extrêmement ferme, claire et exigeante.
Pour terminer, je tiens, à l'instigation de certains d'entre vous, à revenir sur un point. J'ai eu l'occasion de dire il y a quelques jours, à l'Assemblée nationale, que j'avais vécu deux moments tragiques de la guerre civile syrienne. Le 31 août 2013, en tant de ministre de la défense, j'ai constaté l'impact d'une décision américaine de non-action. Le 13 octobre 2019, en tant que ministre des affaires étrangères, j'ai observé à nouveau les conséquences d'une décision de non-action américaine.
Depuis cette crise, nous sommes, me semble-t-il, à un tournant stratégique, ce qui nous montre l'impérieuse nécessité d'un vrai sursaut européen. Nous devons aller vers plus de souveraineté européenne et plus d'autonomie stratégique européenne. Le temps du partage des responsabilités est venu. L'Europe doit assumer les siennes. Le temps de l'exigence européenne est également venu. Sinon, l'Europe sortira de l'Histoire.
Il faut reconnaître que la concomitance entre l'action turque et la décision américaine sème un trouble dans la relation transatlantique. Je tenais à le dire en conclusion de notre débat. Le Gouvernement apprécie l'unanimité qui se dégage dans cet hémicycle, ainsi que la volonté commune de poursuivre le combat contre le terrorisme et d'affirmer solennellement ici notre solidarité avec les Forces démocratiques syriennes.
Le 22/11/2019 à 23:02, chb17 a dit :
La non-action (de 2013) évoquée par le ministre concerne un bombardement punitif souhaité par F. Hollande suite au soupçon d'utilisation par Damas d'armes chimiques. Or ce soupçon n'était pas étayé, comme le montre une récente polémique au sein de l'OIAC.
On relève qu'à plusieurs reprises, la coalition anti-syrienne a attaqué le « régime » sous un prétexte similaire et probablement fallacieux, puisque chaque fois le « régime » syrien n'avait rien à gagner par lesdites attaques chimiques sinon d'attirer une réplique meurtrière de la coalition ennemie.
Par ailleurs, la France, visant officiellement le renversement du président al Assad, a longtemps appuyé des groupes qui se sont avérés terroristes (ou le sont devenus au gré de changements de bannière). Cette erreur chronique, dénoncée en vain par d'éminents spécialistes, est à rapprocher du fructueux commerce d'armes avec les dictatures du Golfe, où Mr LeDrian a souvent fait office de VRP.
De fait, être vassal de l'empire nous a menés à violer comme lui une règle internationale après l'autre, et au diable la morale et la paix tant qu'on ramasse des profits !
En ce qui concerne l'agression turque qui a suivi une n-ième trahison des Kurdes par les USA, le ministre est sans doute surtout attristé par le rapprochement Turquie – Russie que l'aventure a permis. Erdogan se moque de nos cris d'orfraie comme de sa première chemise, et l'oncle Sam "sécurise" le pétrole de l'est-syrien !
L'Assemblée nationale se fait plaisir en pleurant à l'unisson sur les pauvres kurdes ? Voilà une bonne nouvelle, mais pourvu que ses mouchoirs ne nous aveuglent pas trop longtemps sur les crimes perpétrés en notre nom, contre un peuple syrien qui en pâtit depuis huit ans.
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