Le nouveau règlement de l'Assemblée ne me donne que cinq minutes pour évoquer, avec vous, la mission « Défense » et la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ». Je le déplore. C'est une énième manifestation de mépris à l'égard du Parlement mais également des anciens combattants, tout comme l'absence d'un secrétariat d'État qui leur serait dédié.
Le budget consacré aux anciens combattants présente plusieurs points d'incertitude et soulève des questionnements que je citerai rapidement : la revalorisation du point d'indice des pensions militaires d'invalidité n'est pas à l'ordre du jour ; la baisse drastique des fonds alloués à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre ainsi qu'à l'Institution nationale des invalides est inquiétante – elle efface la hausse revendiquée l'an dernier par le Gouvernement – ; l'avenir du Val-de-Grâce n'est pas clair, et il y a fort à craindre que l'aubaine que représentent de tels bâtiments pour des promoteurs immobiliers fasse oublier l'intérêt général, en particulier celui de la défense. Enfin, la libéralisation du transport ferroviaire menace l'attribution d'une réduction sur les billets de train aux personnes ayant un taux d'invalidité d'au moins 25 %.
De manière générale, ce budget accorde beaucoup aux choses, et peu aux hommes.
À rebours de la communication gouvernementale qui fait miroiter un budget à hauteur d'hommes, les choix opérés sont rarement à l'avantage de ces derniers. Toutes les lignes budgétaires qui concernent directement les hommes sont à la baisse, comme – exemple emblématique – la perte de 8 millions d'euros que subit l'action sociale dans le programme 212.
Pour prétendre que le budget de la défense est en hausse, comme le fait la ministre des armées, il faut jouer avec les faux-semblants. Le changement de périmètre des différents programmes permet de donner une image flatteuse de l'évolution des crédits. Ceux qui sont dédiés à la préparation et à l'équipement des forces semblent croître, mais ils financeront dorénavant une partie de l'exploitation de l'immobilier de la défense. Un tour de passe-passe fait croire que les crédits dédiés à la préparation des forces terrestres augmentent de 20 millions d'euros, mais la masse salariale baisse de 150 millions. Il faudra expliquer cette contradiction.
Enfin, les annulations de crédits de l'an dernier – et donc le report de charges – , la hausse des surcoûts des opérations extérieures, ou encore l'augmentation du budget consacré au renouvellement de la dissuasion, absorbent intégralement la prétendue hausse du budget. Aucune marge de manoeuvre n'est dégagée pour les années à venir. Le Gouvernement donne le change, mais en définitive, ce sont plutôt les industriels qui se frottent les mains.
Comme le laissaient déjà percevoir les choix – ou plutôt les non-choix – de la revue stratégique, aucune réflexion sérieuse ne vient éclairer ce budget. Au catalogue des menaces répond la croyance naïve que la technologie protégera nos soldats, nos concitoyens et notre patrie. Il suffirait de faire comme avant en plus fort, plus rapide et plus agressif !
Un budget est normalement la traduction chiffrée d'une politique, d'une vision. Or celui-ci est en réalité vide de politique. Il n'a qu'un objectif : approcher les 2 % de PIB consacrés à la défense, comme l'exige l'OTAN. On est bien en peine de trouver, dans ce budget, les pistes qui permettront de sortir victorieusement des conflits dans lesquels nous sommes engagés ou qui nous menacent. Au Sahel, comment ce qui a échoué hier pourrait-il ne pas échouer demain ? Aucune inflexion n'est pourtant à l'ordre du jour.
Du fait de l'agression turque contre nos alliés kurdes en Syrie, notre dépendance à l'égard de l'OTAN est devenue tout à fait claire, même aux esprits les plus obtus. Pourtant, rien dans ce budget ne sert l'indépendance nationale. La perspective d'une fumeuse défense européenne suffit à éteindre toute discussion.
Le Gouvernement veut faire preuve de modernisme. L'innovation est dans toutes les bouches, mais les avancées sont bien maigres. En particulier, le fonctionnement de l'Agence de l'innovation de défense et sa relation avec la DGA ainsi qu'avec les opérateurs de la défense et les différents services ministériels sont encore très nébuleux. L'exécutif a prétendu procéder à une mise à jour des doctrines en matière de cyberdéfense et de défense spatiale, mais tout cela est, encore une fois, on ne peut plus flou. Qu'en sera-t-il, par exemple, du Commandement de l'espace, qui doit remplacer celui qui existe déjà ? Quelles seront ses prérogatives ? Pourquoi le placer sous l'autorité de l'état-major de l'air, alors que chacun s'accorde à dire que les opérations spatiales intéressent toutes les armes ? Les moyens qui lui seront consacrés sont peu clairs. On nous demande, une nouvelle fois, de voter les yeux fermés.
Cyberdéfense, défense spatiale et dissuasion : avec ces mots d'ordre, le Gouvernement est décidé à embarquer le pays dans une course aux armements qu'il juge inéluctable, plutôt qu'à faire vivre une singularité française qui articulerait astucieusement la maîtrise technique de pointe, la rusticité et la défense d'un ordre international fondé sur le droit.
En réalité, l'idéologie de la « start-up nation » est incapable de produire la synthèse intellectuelle qui s'impose, car elle néglige les ressources et les besoins de notre peuple. Les députés La France insoumise voient un parfait exemple de ce dédain dans le projet de service national universel, dont il est clair, désormais, que la défense devra prendre une partie à sa charge, malgré les promesses du Président de la République. Tel qu'il a été expérimenté cet été, le service national universel est inutile à la défense et aux jeunes gens. Il sera coûteux, mais ne figure pourtant pas au budget. Voilà encore un de ces fameux faux-semblants que sème partout le Gouvernement, et qui ne permettent pas de voter le budget en l'état.