Les années passent et, peut-être, se ressemblent. C'est déjà la troisième fois qu'avec mon collègue Xavier Roseren nous intervenons en tant que rapporteurs spéciaux du rapport 134 relatif au développement des entreprises dans le cadre du projet de loi de finances.
Une forme de lassitude commencerait-elle à poindre ? Peut-être. Non face aux enjeux traités, dont la richesse et l'impact sur le quotidien de millions d'entrepreneurs et de salariés ne cesseront jamais de nous stimuler, mais devant les incohérences de notre pratique budgétaire, devant les insuffisances, les données incomplètes, l'absence d'information, devant cette sensation de perte de contrôle que, parfois, même les représentants de la nation éprouvent sans jamais s'y résoudre sans doute. Soyons clairs : le sentiment que j'exprime en notre nom à tous les deux, c'est celui d'un doute profond quant à la possibilité d'apprécier véritablement l'ampleur de l'effort financier de l'État au service du développement des entreprises à travers la seule étude de ce programme 134. Un programme qui, d'un côté, reste cette année encore toujours aussi foisonnant, peu lisible, peu responsabilisant pour les gestionnaires de crédits et qui, de l'autre, n'aborde pas des sujets incontournables comme les efforts pour stimuler l'innovation – dont une partie est retracée ici avec les dotations aux pôles de compétitivité et une autre dans le programme 192 à travers les crédits accordés à Bpifrance – ou l'action d'opérateurs de terrain au contact des entreprises et des territoires.
Ce programme mélange à peu près tout, du soutien aux associations de tourisme social à une subvention à La Poste au titre du transport de presse, mais il échoue à rendre compte de la politique économique globale. Sa maquette, ses objectifs comme ses indicateurs restent très difficiles à faire évoluer. C'est pourtant notre tâche de rapporteurs spéciaux mais elle ne nous est pas facilitée. Comment pourrions-nous par exemple nous satisfaire de l'incertitude qui, depuis maintenant trois ans, plane chaque automne sur l'activité garantie de Bpifrance ?
L'an dernier, nous avions rétabli une dotation minime pour cette activité que le Gouvernement proposait de sortir des lignes budgétaires et nous revoilà aujourd'hui dans le même cas de figure, avec des protagonistes qui campent sur les mêmes arguments. Que doivent en penser les rapporteurs spéciaux ? Le raisonnement semble pourtant simple : soit il y a faille de marché et la puissance publique intervient à travers un financement rendu transparent et laissé sous contrôle du Parlement, soit il n'y a plus de faille de marché et le financement de cette activité de garantie ne procède plus que du recyclage des dividendes de Bpifrance ou d'autres moyens. Pour trancher, encore faut-il que les faits soient connus et que le Parlement soit informé ! Comment, sinon, préparer l'avenir avec, parallèlement, une baisse des crédits du programme 192 affectés au soutien de Bpifrance, à l'innovation ? Le message, au mieux, est brouillé, au pire, illisible.
De la même façon, comment nous prononcer avec exactitude sur la place et l'avenir des pôles de compétitivité ? Cette année, ils étaient engagés dans une nouvelle phase de certification, dans un effort de modernisation indispensable, et ils sont pourtant restés pendant des mois dans le noir le plus total, dans l'attente de décisions gouvernementales et administratives qui impactaient directement l'ensemble de leurs projets.
Quelles positions les rapporteurs spéciaux adoptent-ils dès lors ?
Si j'aborde d'abord les points noirs de ce programme, il existe aussi des avancées. Derrière la lassitude exprimée, il y a aussi la satisfaction de voir un projet de loi et un programme qui se suivent, s'imbriquent, consolident et amplifient les priorités en matière de soutien aux entreprises depuis 2017.
Nous avons déjà parlé de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés ou de la sacralisation des abaissements de charges. Néanmoins, vous le savez, une politique économique ne se limite pas à des considérations fiscales, comme ce programme 134 vient vivement nous le rappeler.
C'est notamment ici que sont traduites les réformes en faveur des entreprises lancées depuis deux ans, notamment à travers la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises. C'est aussi à travers ce programme que nous présentons les crédits d'acteurs fondamentaux, en pleine transformation comme la direction générale des entreprises (DGE), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou, encore, Business France. Ce sont des réformes, des transformations réfléchies, concertées, parfaitement conduites et c'est là l'aveu sincère de rapporteurs spéciaux qui suivent cela de très près.
L'exemple le plus marquant reste incontestablement celui de la DGE. Sa transformation doit nous donner foi dans la capacité de l'administration à se moderniser. Je salue encore une fois, avec mon collègue Roseren, l'effort accompli par Thomas Courbe – et ses équipes – qui fait d'ores et déjà figure d'exemple à suivre dans le cadre du déploiement d'Action publique 2022.
Il faut ainsi rappeler que les efforts prévus dans ce programme sont soutenus et suivis, pas simplement par les deux rapporteurs spéciaux ou par les rapporteurs pour avis qui les entourent, mais par toute une administration concentrée sur l'application des mesures, sur la concrétisation des orientations décidées par les autorités exécutives et législatives. Les enjeux, en la matière, sont innombrables. Je n'ai pas le temps de les aborder tous mais, une fois encore, je martèle un message bienveillant, celui du suivi, de l'implication des parlementaires, de la reprise du contrôle de politiques publiques trop longtemps considérées comme s'auto-pilotant. C'est un appel à un sérieux budgétaire sacralisé pour les décisions d'hier comme pour celles de demain. Certains d'entre nous ont déjà entendu cet appel, d'autres oeuvrent pour qu'il résonne encore plus fortement et je veux croire que le Gouvernement, comme l'administration, y seront sensibles.