Le budget de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, d'un montant de 519,5 millions d'euros, est en baisse cette année de 3,3 %, notamment en raison de transferts de crédits vers un autre programme, tandis que les crédits hors titre II, à périmètre constant et inflation comprise, reculent de 2,8 %. Ce programme comporte cependant des éléments positifs, comme la poursuite du renouvellement progressif de la flotte d'avions.
Le programme que nous examinons ce matin ne représente qu'une faible part des 6 milliards de crédits consacrés chaque année à la sécurité civile en France. L'État contribue à hauteur du tiers de ce montant par l'intermédiaire des crédits inscrits dans plusieurs programmes du budget général et de la fraction de taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA) transférée aux départements pour le financement des services d'incendie et de secours.
En tant que rapporteur pour avis du programme « Sécurité civile », je me suis tout particulièrement intéressé, cette année, d'une part à la question des effectifs des sapeurs-pompiers, qu'ils soient professionnels ou volontaires, d'autre part aux plateformes communes de réception des appels d'urgence. Les deux sujets sont intimement liés puisque, ces derniers temps, les plateformes communes ont été présentées par le Gouvernement comme la réponse aux maux des sapeurs-pompiers. La mise en oeuvre effective de ce projet reste toutefois problématique et des arbitrages sont attendus de la part du Gouvernement.
Le modèle français de sécurité civile traverse aujourd'hui une crise profonde. Les sapeurs-pompiers sont pris en étau entre une stagnation de leurs effectifs et un accroissement sans fin de leur sollicitation opérationnelle. Leurs missions de secours d'urgence aux personnes ont augmenté de 64 % au cours des quinze dernières années. Alors qu'en 2003, elles ne représentaient que 59 % de l'ensemble des interventions des services d'incendie et de secours, elles représentent aujourd'hui 78 % de leur activité. Comme le souligne la Cour des comptes dans son récent rapport, le système a atteint ses limites opérationnelles. Les sapeurs- pompiers eux-mêmes crient leur détresse et leur ras-le-bol depuis plusieurs mois, et ont défilé dans les rues de Paris il y a quelques jours encore. Le système est à bout de souffle, monsieur le ministre, et des solutions de court terme sont attendues de manière urgente.
Il en découle une crise d'identité chez les sapeurs-pompiers. Ils étaient des soldats du feu, ils sont devenus des substitutifs de notre système de santé, chargés des urgences pré-hospitalières et utilisés comme un recours gratuit et toujours disponible dans les déserts médicaux, qu'ils soient ruraux ou urbains.
Les sapeurs-pompiers subissent également une perte de sens de leurs missions. Leur sur-sollicitation rend d'autant plus insupportables les missions indues dont on les charge, qui sont très éloignées du secours d'urgence. Par ailleurs, les phénomènes climatiques censés être exceptionnels, mais qui le sont de moins en moins, s'accroissent en fréquence et en intensité. On ne peut qu'avoir une pensée ce matin pour les très nombreux secouristes mobilisés sur le pourtour méditerranéen.
Les pompiers représentent le dernier recours quand les autres services publics n'ont plus les moyens d'intervenir et, de ce fait, sont confrontés à la détresse, et parfois à la violence, des personnes auxquelles ils portent secours. Vous le savez, monsieur le ministre, nous sommes au coeur d'une véritable crise des vocations de sapeur-pompier volontaire ou professionnel.
Je trouve encore plus préoccupant la différence de point de vue, de langage et de vision de l'avenir entre votre ministère, plutôt enclin à chercher des solutions, et le ministère de la Santé, qui n'a pas du tout la même approche. Il aurait d'ailleurs fallu, pour que cette audition soit exhaustive, que la ministre de la Santé puisse être parmi nous. Mais elle est actuellement dans l'hémicycle, où l'on débat du PLFSS.
Je souhaite vous poser plusieurs questions s'adressant au Gouvernement dans son ensemble. Alors que des annonces sur les pompiers volontaires ont été formalisées par votre prédécesseur il y a plus d'un an et demi, rien de concret n'a encore été fait. Cela entraîne une exacerbation des tensions, comme en témoigne le débat très difficile qui a eu lieu la nuit dernière dans l'hémicycle sur un amendement au PLFSS relatif aux mesures incitatives en faveur des employeurs de sapeurs-pompiers volontaires – je dois dire que personne n'a compris la violence des réactions du rapporteur général de la commission des Affaires sociales.
Quelles décisions entendez-vous prendre, Monsieur le ministre, conjointement avec la ministre de la Santé, au sujet des carences ambulancières ? Des moyens supplémentaires sont indispensables si l'on veut délester les sapeurs-pompiers des interventions indues en les transférant au secteur ambulancier. Il faut aussi élargir les compétences des associations agréées de sécurité civile en leur permettant de transporter vers l'hôpital les personnes qu'elles secourent.
Les sapeurs-pompiers expriment aujourd'hui une souffrance. Vous savez, Monsieur le ministre, qu'ils ne peuvent plus attendre. Ils demandent une meilleure reconnaissance du rôle qu'ils jouent dans la société, une clarification de leurs missions au sein des systèmes de secours et de santé et un meilleur pilotage de la ressource précieuse qu'ils représentent au niveau national, nécessitant une gestion prévisionnelle plus perspicace et une clarification des règles qui leur sont applicables en matière de temps de travail.
Quelles réponses entendez-vous apporter aux demandes des sapeurs-pompiers professionnels qui ont manifesté en nombre à Paris la semaine dernière ? Et aux demandes des sapeurs-pompiers volontaires, encore plus nombreux, que l'on ne pourra plus longtemps retenir de faire de même ?
Quelles mesures de court terme envisagez-vous de prendre pour assurer la mise en conformité du modèle français de sécurité civile avec les règles européennes relatives au temps de travail, comme le recommande la Cour des comptes, dans l'attente d'une éventuelle modification du droit européen ?
Par ailleurs, allez-vous enfin prévoir, en contrepartie de la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires pendant leur temps de travail, un mécanisme fiscal ou social de compensation de charges pour l'ensemble des entreprises privées ?
J'en reviens aux plateformes communes de réception des appels d'urgence avec le Samu, la police et la gendarmerie ainsi qu'au numéro unique d'appel d'urgence. Il s'agit d'un engagement du Président de la République traduisant une volonté, à laquelle on ne peut que souscrire, de tendre vers une meilleure interconnexion entre les services chargés de l'urgence et une organisation plus efficace pour les sapeurs-pompiers, leur permettant de se recentrer sur leur coeur de métier.
Mais qu'en est-il réellement deux ans après cette annonce du Président de la République ? Au fil des auditions que j'ai menées, j'ai clairement constaté que des contradictions profondes empêchent ou retardent la mise en oeuvre de ces outils et reportent sine die la mutualisation et l'optimisation des moyens des services impliqués. Au sein même de votre ministère, vous incitez la police et la gendarmerie à développer des plateformes interdépartementales ou régionales, spécifiques à leur service, ce qui compromet tout projet de plateformes communes départementales.
Ces orientations divergentes sèment le trouble sur le terrain. Les habitudes de travail tissées entre les services au fil des ans, au niveau départemental, ont pourtant permis de faire des avancées importantes, reposant sur un attachement très fort à l'échelon de la proximité, garant d'une excellente réactivité. Les responsables que nous avons auditionnés abondent dans ce sens. J'ai également constaté cet état d'esprit dans mon département de l'Aveyron, où les services travaillent déjà main dans la main depuis de nombreuses années. Ils ont du mal à comprendre les mutualisations interdépartementales que vous encouragez pour la police et pour la gendarmerie. L'Aveyron est d'ailleurs parfaitement emblématique de nombreux territoires où le bon sens a largement permis de contourner certains obstacles dans l'attente d'orientations claires de la part du Gouvernement. Monsieur le ministre, allez-vous mettre fin à ces projets interdépartementaux et privilégier clairement les plateformes départementales de réception des appels d'urgence ?
À cela s'ajoutent des divergences manifestes entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Santé qui durent depuis des années, notamment au sujet de la régulation médicale. On peut notamment s'interroger sur le devenir du numéro unique d'appel d'urgence face à l'annonce d'un nouveau numéro unique d'accès aux soins qui devrait être opérationnel dès l'an prochain. Quels seront, monsieur le ministre, les périmètres respectifs de ces deux « numéros uniques » et comment vont-ils se coordonner ?
Parallèlement, le lancement sans stratégie d'ensemble des projets de modernisation des systèmes d'information traitant les appels d'urgence reçus par les pompiers, le SAMU, la police et la gendarmerie aboutit à une juxtaposition de ces outils qui risque de compromettre une mise en oeuvre rapide et efficace du numéro unique. Si leur interopérabilité semble prévue, elle reste accessoire. Les logiques et besoins différents qui les structurent limiteront les possibilités d'échanges de données à l'avenir. Qu'entendez-vous faire, monsieur le ministre, pour mettre en oeuvre une réelle interopérabilité fonctionnelle entre les systèmes d'information de vos services ? Cela impliquerait davantage une évolution de leurs cultures « métier » qu'une simple modification de langage informatique.
Après de multiples expérimentations de plateformes communes, de nombreuses missions et une succession de rapports, que nous propose-t-on aujourd'hui ? Si j'en crois les propos du secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur, tenus la semaine dernière dans l'hémicycle alors que les pompiers professionnels manifestaient dans la rue, il n'est prévu que de nouvelles expérimentations.
De toute évidence, il manque à la mise en oeuvre du projet présidentiel, énoncé dès 2017 et répété de manière constante depuis, un véritable arbitrage interministériel. Il faut une décision forte, prise au plus haut niveau, pour déterminer les modalités de mise en oeuvre de plateformes communes et du numéro unique. Nous nous proposons donc, avec d'autres parlementaires, de contribuer utilement et positivement à ce travail en échangeant avec vous et éventuellement avec le Président de la République sur les remontées et les expériences de terrain qui nous paraissent justifier une mise en oeuvre rapide dans le respect de tous les professionnels engagés au service de la sécurité des Français.