Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 24 octobre 2019 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Permettez-moi d'évoquer Mayotte, où le Président de la République et moi-même venons de nous rendre, où l'on peut – et l'on doit – construire une politique de gestion de l'immigration efficace.

Cette politique commence par l'international, avec une coopération forte, visant à soutenir les territoires voisins. En l'occurrence, nous sommes liés avec les Comores par un engagement de coopération et un montant élevé d'aide publique au développement, pour garantir certains services, à commencer par les soins. La coopération s'accompagne d'une politique de gestion migratoire, qui permet cette année d'atteindre le chiffre de presque 25 000 reconduites à la frontière, correspondant au flux des arrivées que ce territoire a connu, voire subi.

Aujourd'hui, la moitié de la population mahoraise est en situation irrégulière, une situation qui n'est certes pas représentative de ce que nous vivons en métropole ou dans d'autres territoires d'outre-mer. Ceux qui connaissent ce territoire, comme vous, madame la présidente qui vous y êtes rendue, savent les tensions qui peuvent en découler.

Je prends cet exemple pour expliquer l'importance de gérer le phénomène migratoire, qui est très sensible. Outre l'immigration comorienne, que nous connaissons et que nous tentons de gérer par la coopération, un phénomène de migration se développe depuis la région des Grands lacs africains, entraînant de nombreuses demandes du statut de réfugié. Mayotte devient ainsi un hub depuis l'Afrique vers l'Europe… Je n'exprime pas de jugement en disant cela, mais je veux saluer, notamment sur ces territoires, non seulement la mobilisation de nos services, en particulier dans la lutte contre l'immigration irrégulière, par le démantèlement de filières de passeurs, mais également l'efficacité de dispositifs tel le centre de rétention administrative (CRA) que vous avez visité madame la présidente, où la durée moyenne de rétention est de 17 heures. On ne retrouve pas de tels chiffres dans le territoire métropolitain.

Outre cette mobilisation de toutes nos forces, je veux saluer la volonté politique du Président de la République, qui, il y a quelques mois, a décidé des changements en profondeur dans la gestion migratoire. Je me suis rendu sur place au mois d'avril. Nous avons décidé de faire en sorte que là où cinq opérateurs intervenaient dans la gestion du dossier migratoire, il n'y en ait plus que deux sur mer et un troisième, la marine, dans la coordination d'ensemble et dans l'air, ce qui a apporté une amélioration significative.

Après ce propos liminaire, qui est d'actualité, je vais à présent vous présenter le budget de la mission « Immigration, asile et intégration », dont il est inutile que je répète l'importance. Ses évolutions depuis le début du quinquennat démontrent l'engagement du Gouvernement dans la politique migratoire, tout en traduisant les impulsions et les orientations que nous avons souhaité lui donner depuis plus de deux ans.

Ainsi, le budget de la mission est de nouveau en forte augmentation cette année, pour permettre la mise en oeuvre de cette politique, souhaitée par le Président de la République. Pour 2020, les crédits de la mission sont de 1,82 milliard d'euros, en augmentation de 9,6 %, soit 162 millions d'euros, à périmètre constant.

Le débat qui s'est tenu à l'Assemblée nationale il y a quelques semaines a été l'occasion d'aborder nos politiques d'immigration dans leur ensemble, et non de manière trop partielle ou excessivement technique. Ce débat a montré de vraies différences politiques mais elles sont parfaitement légitimes, l'Assemblée nationale étant le lieu privilégié de leur expression. Il est donc bon que les divergences dans la mise en oeuvre des politiques aient pu s'exprimer.

Ce débat était aussi l'occasion de mettre à plat un certain nombre de phénomènes que nous connaissons, sans donner prise à l'emballement médiatique ou à l'hystérisation que l'on peut connaître dans d'autres instances que l'Assemblée nationale ou le Sénat. Cela a permis au Gouvernement de rappeler les fondements de sa politique, ainsi que les contraintes auxquelles notre pays est confronté.

Sans revenir sur les propos que j'ai tenus, j'ai le souvenir d'avoir évoqué le phénomène migratoire dans sa facette officielle : 250 000 entrées régulières dans le territoire national en 2018 et 120 000 demandes d'asile, qui ont encore augmenté en 2019. C'est un record alors que l'Europe connaît une baisse significative du nombre de demandeurs d'asile, elle est de 18 % en Allemagne.

Ces chiffres expliquent l'effort budgétaire que traduisent les crédits du programme « Immigration et asile », qui atteindront 1,38 milliard d'euros en 2020, soit une augmentation de 133 millions par rapport à 2019. Ils expliquent également la très forte pression qui pèse notamment sur les services du ministère de l'Intérieur. Je pense non seulement aux préfectures, que nous avons évoquées ce matin dans la discussion sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État », mais aussi à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). L'objectif de traitement en six mois d'une demande d'asile est une priorité. C'est pourquoi, cette année encore, nous y consacrons des moyens significatifs.

Le renforcement de l'OFPRA est ainsi l'un des éléments saillants de ce PLF : 200 équivalents temps plein travaillé (ETPT) y seront créés, soit une augmentation de 25 % de ses effectifs, qui atteindront ainsi 1 005 ETPT en 2020. C'est un effort important, qui démontre tout notre investissement pour atteindre les objectifs ambitieux qui sont fixés.

Le renforcement de la CNDA se poursuit également : après 102 ETPT en 2018 et 122 en 2019, ce sont de nouveau 59 ETPT qui sont créés en 2020.

Cette pression continue de la demande d'asile justifie notre décision d'augmenter nos capacités d'hébergement depuis le début du mandat. À cet égard, le budget pour 2020 permettra de consolider les créations de place mises en oeuvre depuis 2017, à savoir 3 000 places dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) et 5 000 places d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA). La diminution des délais d'instruction de la demande d'asile devra permettre de libérer des places d'hébergement plus vite, et ainsi, d'améliorer encore la prise en charge des demandeurs d'asile, tout en considérant que ce n'est qu'une partie du chemin qui est fait, notamment au regard de l'intégration.

Aujourd'hui, il est problématique que, dans certains endroits, 30 % des places d'hébergement soient occupées par des personnes qui ont obtenu une protection. Je ne leur en fais pas reproche car ils n'ont pas d'autre espace, que la rue. C'est là une véritable anomalie que des personnes à qui nous donnons la protection se retrouvent dans la rue. Chacun sait que, porte de La Chapelle, porte d'Aubervilliers ou avenue du président Wilson, à Saint-Denis, il est nécessaire d'intervenir pour corriger cette anomalie.

Un chiffre ne figure pas dans le budget mais devrait relever du volontarisme politique : si tous ceux qui attribuent des logements sociaux mobilisaient 4 % de leur pouvoir d'attribution pour loger des réfugiés, nous n'aurions plus aucune personne réfugiée dans la rue. Cet engagement, que l'État doit prendre en termes de quota réservataire, doit aussi être demandé aux collectivités territoriales, pour qu'elles soient à nos côtés sur ce sujet.

Enfin, depuis mai 2017, nous avons sincérisé le budget de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) : 448 millions d'euros sont prévus dans le PLF pour 2020, soit une augmentation de 33,4 % et 112 millions d'euros supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, et 229 millions d'euros de plus par rapport à la loi de finances initiale pour 2017.

La sincérisation est une obligation que nous avons envers les parlementaires. Lorsqu'un dépassement de crédits se produit, comme c'était le cas cette année, le Gouvernement met tout en oeuvre pour assumer cette allocation. Nous devons à la représentation nationale d'essayer de refléter la réalité de notre dépense engagée en crédits au titre de l'ADA. Cela est difficile, car il est délicat de prévoir la croissance des demandeurs d'asile. Nous devons cependant tout faire pour parvenir à sincériser ce budget.

Notre politique de lutte contre l'immigration irrégulière est également dotée de moyens robustes. C'est le corollaire indispensable de l'acceptabilité par nos concitoyens de l'augmentation de l'ADA, notamment. On ne peut pas prétendre à la solidarité si on assume que des filières de criminalité soient organisées dans la gestion de l'immigration irrégulière. C'est la raison pour laquelle il nous faut avoir des moyens sérieux.

Notre politique de lutte contre l'immigration irrégulière se dote naturellement d'outils budgétaires, sur lesquels je reviendrai, mais aussi de dispositions juridiques. Sur le plan du droit, la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a été une première étape. Je pense notamment à l'allongement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours, qui a permis d'améliorer notre taux de reconduite, sans pour autant augmenter la durée moyenne de rétention, qui n'a augmenté que de 1 jour. En revanche, les personnes qui dépassent les 45 jours de rétention et obtiennent un laissez-passer consulaire, dont le nombre est d'ailleurs en très forte augmentation, sont éloignées dans 60 % des cas. Nous avons donc le moyen d'être beaucoup plus efficaces.

Je pense également à la possibilité offerte aux préfets de prendre des mesures d'éloignement dans certains cas, après décision de l'OFPRA, une fois celle-ci confirmée par les juridictions. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, 3 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prononcées.

Si vous corrélez ce fait avec l'amélioration des laissez-passer consulaires, nous avons aujourd'hui les moyens de rendre plus efficace notre capacité de reconduite à la frontière.

Les crédits dédiés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont de 122,5 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2020, en diminution faciale de 13,6 millions d'euros, soit 10 %, baisse qui s'explique par la réalisation des investissements immobiliers dans les CRA. Ainsi, 289 des 480 nouvelles places de CRA créées entre 2018 et 2020 sont déjà ouvertes à ce jour. Les dernières seront financées cette année, ce qui portera l'augmentation totale du parc à 35 % par rapport à 2017. C'est l'engagement que le Gouvernement avait pris devant la représentation nationale et auquel la majorité était attentive.

Enfin, vous le savez, notre politique d'immigration comprend également une politique d'intégration, dont l'ambition a été profondément revue à la hausse. Des mesures fortes ont été prises. Nous avons revu notre parcours d'intégration pour doubler le nombre d'heures de français et de formation civique, allant dans certains cas jusqu'à 600 heures de formation en français. Réussir l'intégration implique la maîtrise de la langue.

De la même façon, nous avons considérablement renforcé les programmes qui favorisent et permettent l'insertion professionnelle. Il a beaucoup été question dans le débat du programme Hébergement orientation parcours vers l'emploi (HOPE), qui figure dans les formations proposées par les branches professionnelles. C'est la bonne façon d'amener les personnes vers l'emploi car les branches professionnelles connaissent les viviers d'emploi et les carences de formation. De plus, ce sont ces branches qui financent les formations.

Les moyens budgétaires dédiés aux politiques d'intégration ont été portés en deux ans à des niveaux sans précédent dans l'histoire de ce pays. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2020, 137,6 millions d'euros sont consacrés au programme 104, soit une nouvelle augmentation supplémentaire, de 30 %. Globalement, les dispositifs d'accompagnement à l'intégration connaissent une hausse de 70 %. Au-delà des leçons que certains donnent, je préfère les notes et les actions. À cet égard, nous présentons un programme ambitieux.

Il faut avoir en tête que ces crédits permettent de poursuivre la mise en oeuvre des mesures du comité interministériel à l'intégration de 2018, où le budget a augmenté de la façon la plus significative, passant de 90,4 millions d'euros à 194,7 millions d'euros en deux ans.

Sans revenir sur la question de l'hébergement des réfugiés, que j'ai abordée, nous avons créé dans ce domaine 5 000 places depuis 2017, pour atteindre une capacité de 8 710 places aujourd'hui, pour un coût annuel de 80 millions d'euros.

Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement se donne les moyens de la politique migratoire et d'intégration qu'il porte depuis le début du quinquennat. Les budgets qui y sont consacrés sont significatifs. Si je n'ai pas présenté la politique de gestion du phénomène migratoire, c'est que ce n'est pas l'objet de cette réunion, d'autant que nous avons pris le temps du débat, il y a quelques jours, à l'Assemblée nationale puis au Sénat. Dans les semaines qui viennent, le Premier ministre aura l'occasion de s'exprimer sur les conclusions qu'il tire de ces débats et sur des plans d'action pour conforter la politique que nous avons appliquée depuis 2017. Il s'agit de faire en sorte que là où il y a une volonté politique, comme à Mayotte, compte tenu des attentes de la population, cette politique puisse être mise en oeuvre.

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