Intervention de Élodie Jacquier-Laforge

Réunion du jeudi 24 octobre 2019 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis (Immigration, asile, intégration) :

Pour la troisième année consécutive, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent. Ils s'élèveront à 1,93 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,82 milliard d'euros en crédits de paiement en 2020, contre 1 milliard il y a seulement trois ans.

Le plan du Gouvernement Garantir le droit d'asile, mieux maîtriser les flux migratoires, présenté en 2017, s'est concrétisé par l'adoption, en 2018, de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Ce budget pour 2020 s'inscrit dans cette perspective, en maintenant l'effort engagé depuis le début de la législature.

Tout d'abord, le programme 303 « Immigration et asile » comprend l'essentiel des crédits de la mission et finance notamment la politique de l'asile ainsi que la lutte contre l'immigration irrégulière.

En ce qui concerne la garantie de l'exercice du droit d'asile, l'augmentation des crédits dédiés à l'hébergement permettra de poursuivre la rationalisation du dispositif national d'accueil. Celle-ci est en cours de finalisation autour des trois niveaux de prise en charge que sont les centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), l'HUDA et les CADA. Un grand travail de rationalisation des différentes structures a été mené. Le parc d'hébergement sera ainsi porté à 98 500 places.

Les crédits de l'allocation pour demandeur d'asile sont également en hausse, de l'ordre de 33 %. À partir du 5 novembre prochain, cette allocation ne sera plus versée sur une carte de retrait, mais sur une carte de paiement, afin de mieux maîtriser son usage et de limiter les risques de dépenses de l'allocation à l'étranger.

Cette dotation pour 2020 est bâtie sur une stabilisation de la demande d'asile et une baisse de 10 % des demandeurs d'asile placés sous procédure Dublin. Pouvez-vous, monsieur le ministre, justifier votre hypothèse et nous préciser la tendance de la demande d'asile pour l'année en cours ?

Enfin, la subvention de l'État à l'OFPRA est, elle aussi, en hausse, de près de 30 %. Cette hausse permettra à l'Office d'augmenter son plafond d'emploi de 200 ETPT. L'enjeu est de résorber le stock de dossiers en instance et de réduire les délais de traitement des demandes d'asile, qui sont en hausse. L'objectif d'un délai global de six mois d'examen de la demande d'asile est cependant maintenu à l'horizon 2021-2022.

Après une forte hausse en 2019 pour financer l'augmentation des capacités d'accueil des centres de rétention administrative, les crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont en baisse. Entre 2018 et 2020, le nombre total de places en CRA aura augmenté de 480, soit de plus de 35 %. La baisse est donc à relativiser : hormis les dépenses d'investissement immobilier qui ont été budgétées et réalisées, tous les crédits de cette action, y compris sur la prise en charge sanitaire et sociale des personnes retenues, sont à la hausse.

Enfin, les crédits consacrés à l'intégration, compris dans le programme 104, augmentent pour assurer le financement des décisions prises lors du comité interministériel à l'intégration du 5 juin 2018, reprises dans la loi du 10 septembre 2018. Il s'agit d'actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière, notamment des réfugiés.

Ces crédits s'inscrivent dans la forte dynamique insufflée sur la question de l'intégration. Ils doivent permettre de déployer sur une année pleine le contrat d'intégration républicaine, que l'opérateur du ministère, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), met en oeuvre. À ce propos, j'ai de nouveau été alertée de la difficulté pour l'OFII de recourir à des contrats durables pour certaines catégories d'agents, notamment ceux qui sont au contact des demandeurs d'asile. Cette année encore, un roulement important du personnel est constaté.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire pour remédier à cette situation et donner à l'OFII les moyens de remplir au mieux ses missions ?

J'en viens à présent au thème que j'ai choisi de développer cette année, celui des étrangers sans titre de séjour sur notre territoire.

Grâce à une meilleure connaissance de leur situation, l'objectif est de lutter de manière plus ciblée contre l'immigration irrégulière, tout en favorisant l'admission des personnes qui sont durablement intégrées dans notre pays. En effet, ces hommes et ces femmes sont nombreux à travailler et à payer des impôts et des cotisations sociales.

Si l'on s'interroge sur les voies de l'immigration illégale en France, on observe tout d'abord que le franchissement de la frontière s'opère le plus souvent de manière régulière, même s'il demeure des points de crispation aux frontières terrestres, principalement à la frontière franco-italienne. Je vous rappelle que, depuis le 13 novembre 2015, la France a rétabli les contrôles aux frontières intérieures, en application du règlement Schengen. Sur l'ensemble de l'année 2018, 71 179 mesures de non-admission ont été prononcées.

Le franchissement de la frontière s'effectue au moyen des 3,6 millions de visas que la France accorde chaque année. Certaines nationalités en sont exemptées, sans pour autant être dispensées des justificatifs exigés pour tout séjour en France.

Le maintien sans titre sur le territoire procède la plupart du temps d'un prolongement de séjour après l'expiration d'un visa ou d'un titre. Seul le système de contrôle des entrées et des sorties des frontières extérieures de l'Union, dit système ESS, permettra, à partir de 2022, de contrôler que la personne détentrice d'un visa a bien regagné son pays d'origine dans le délai prévu.

Comme vous le savez, les déboutés de la demande d'asile, soit environ deux tiers des demandeurs, représentent une proportion croissante des étrangers en situation irrégulière dans notre pays. Certains d'entre eux, notamment en provenance des pays d'origine sûre, c'est-à-dire 23 % de la demande actuellement, utilisent cette procédure comme une stratégie détournée de maintien sur le territoire.

Des mesures sont mises en oeuvre pour endiguer ce phénomène : introduction d'une procédure concomitante entre la demande d'asile et la demande d'un titre de séjour pour un autre motif ; fin du droit au maintien des demandeurs originaires de pays d'origine sûrs, après la décision de l'OFPRA, ou encore, conditionnement des conditions matérielles d'accueil au respect des exigences des autorités chargées de l'asile.

Mais aujourd'hui, nombre de nos dispositifs se trouvent saturés par une absence d'anticipation des flux migratoires, notamment irréguliers. Comme je le montre dans mon rapport, la procédure d'asile est menacée, alors même qu'elle doit être sanctuarisée. L'hébergement des personnes migrantes n'est pas satisfaisant et, malgré les moyens alloués dans le budget, les conditions de rétention se dégradent, notamment d'un point de vue sanitaire.

J'ai donc souhaité mettre en avant les outils qui doivent nous permettre de définir une politique migratoire plus circonstanciée et surtout, plus ambitieuse.

L'admission exceptionnelle au séjour, introduite par la loi relative à l'immigration et à l'intégration de 2006, dite loi Sarkozy, et harmonisée par la circulaire du 28 novembre 2012, ou circulaire Valls, est un outil intéressant, qui permet un traitement des demandes de régularisations au fil de l'eau. En particulier, la montée en puissance de la régularisation par le travail mérite d'être saluée. Depuis 2013, 192 057 admissions ont été prononcées au total.

Ce dispositif est cependant insuffisant et hypocrite, puisqu'il exige des personnes étrangères de fournir les preuves légales d'une présence irrégulière qu'elles ne devraient pas posséder, comme une fiche de paie ou une déclaration d'impôts.

Surtout, face à l'essor du travail clandestin dans de nombreux secteurs sous tension, j'estime qu'il est temps d'organiser la migration économique. Les principaux secteurs concernés par le travail illégal sont à 33 % celui du bâtiment travaux publics (BTP) et à 26 % celui de l'hôtellerie-restauration. Or les emplois concernés ne figurent pas dans l'arrêté de 2008, qui fixe la liste des métiers en tension, permettant que la préfecture, en lien avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation et de l'emploi (DIRRECTE), délivre une autorisation de travail, sans opposition de la situation de l'emploi.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement envisage d'actualiser cet arrêté, qui date de plus de dix ans maintenant ?

Sur ce sujet, plus que sur celui de la migration familiale ou l'asile, nous disposons d'importantes marges de manoeuvre, pour mettre cette question au coeur de notre projet migratoire. L'essor du dispositif Passeport talent, qui s'adresse à la migration très qualifiée, doit nous inciter à aller plus loin.

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