Je ne m'exprimerai pas au nom du groupe Les Républicains, mais à titre personnel.
Cela fait quasiment quinze ans que je m'intéresse à ces questions, d'abord comme conseiller juridique du ministre Nicolas Sarkozy en 2005, puis comme directeur de cabinet adjoint de Brice Hortefeux pendant plusieurs années au ministère de l'Intérieur, puis comme conseiller du Président de la République Nicolas Sarkozy, puis comme député d'opposition. Eh bien, au risque de vous surprendre, monsieur le ministre, je n'ai pas du tout envie de vous accabler en adoptant ce qui ne serait qu'une espèce de posture ou de pose politicienne. Je pense, en réalité, que vous vous inscrivez dans la continuité administrative des années Chirac, Sarkozy, Hollande et, désormais, Macron.
Si je puis surprendre en disant cela, je le crois néanmoins profondément. Je pense que vous êtes le prisonnier d'un carcan juridique, juridictionnel, constitutionnel, conventionnel. De même que je pense que les acteurs qui composent l'administration, acteurs que nous connaissons tous – et qui sont souvent les mêmes – font ce qu'ils peuvent dans un carcan constitutionnel et conventionnel identique et inchangé. Depuis une quinzaine d'années, l'administration fait de l'optimisation sous contrainte. C'est-à-dire que tous les dix-huit mois ou deux ans, on change un peu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), pour y modifier ici un délai, là une procédure… Ce faisant, on essaye de ne pas aller trop loin, de façon à être conforme à ce que le Conseil d'État peut dire, sans trop tangenter la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Bref, on fait ce qu'on peut pour ajuster le CESEDA.
De même, au plan budgétaire, vous faites ce que vous pouvez avec bon sens et de manière raisonnable. Vous essayez de négocier des crédits pour augmenter un peu le plafond d'emplois de l'OFPRA et de la CNDA, en cherchant à convaincre les fonctionnaires en charge des questions budgétaires que les crédits supplémentaires vont réduire le nombre des procédures et finir ainsi par amener des économies. Tout cela, je l'ai vécu : les mêmes arbitrages, les mêmes histoires… C'est l'histoire de Sisyphe.
J'ai vraiment l'impression que vous tenez quasiment le même discours que nous, il y a dix ans, à votre place ou à la place de vos collaborateurs. C'est aussi le discours que tenaient Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve. Certes, les inflexions et les styles des chefs d'État sont parfois un peu différents, de même que le langage varie un peu mais, en vérité, il y a une espèce de continuité administrative et bureaucratique que je trouve, pour ma part, non pas déprimante – je ne suis pas déprimé, puisque je suis engagé dans la vie politique – mais un peu désespérante tout de même. Car, in fine, les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Je voudrais illustrer mon propos en prenant l'exemple des éloignements. Encore une fois, je ne vous accable pas, car les résultats des uns et des autres ne sont pas si éloignés. Peu importe qu'il s'établisse à 8,5, ou 8,8, force est de constater que, même si vous l'avez augmenté d'un point, le taux de non-exécution des OQTF continue de s'établir approximativement à neuf sur dix…
Comme nous le faisions, vous essayez de prendre contact avec les ambassades pour faire augmenter le nombre de laissez-passer consulaires. Par le plan CRA, vous ouvrez des places dans les centres de rétention. Cela va d'ailleurs un peu moins vite que prévu, de telle sorte que, facialement, vos crédits diminuent. Je ne vous cherche pas querelle à ce propos. J'ai compris qu'il s'agit de gestion : la baisse des crédits de l'immigration régulière est complètement faciale. Là n'est pas la question.
Le problème est plutôt que, pendant ce temps-là, vous continuez à financer une absurdité des années Sarkozy, à savoir l'aide juridique aux clandestins qui essaient de faire échec aux procédures de vos préfets. C'est tout de même chose assez étonnante. Nous-mêmes – l'État, le Parlement, le Gouvernement – finançons les recours contre nos propres décisions ! C'est tout de même très original.