Intervention de Christophe Castaner

Réunion du jeudi 24 octobre 2019 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

Je ne vous contredirai pas et même lorsqu'elle est présente, elle ne veut généralement pas écouter ma réponse. Mme Obono, disais-je, se trompe donc dans les chiffres qu'elle avance.

Madame la rapporteure Élodie Jacquier-Laforge, vous m'avez également interrogé sur l'OFII, dont nous avions déjà discuté l'année dernière. L'adoption de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique va offrir à cet opérateur la possibilité de recruter des personnes sur la base de contrats de trois ans, ce qui lui permettra de retrouver la souplesse qu'il avait perdue par son évolution statutaire résultant de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Dès l'instant où les décrets d'application de la loi du 6 août 2019 seront publiés, ce qui devrait être le cas d'ici la fin de l'année, l'OFII pourra donc répondre à la problématique, réelle, de défaut d'attractivité de certains emplois.

J'en profite pour répondre à Mme Isabelle Florennes, dans la mesure où les préfectures étaient aussi confrontées à cette problématique, ce qui générait des difficultés de ressources humaines. Depuis 2017, 270 emplois ont été créés dans les préfectures et 1 600 vacataires y sont mobilisés chaque année pour améliorer les conditions de travail des agents qui sont loin d'être parfaites, dans les Hauts-de-Seine, où vous êtes élue, mais aussi dans d'autres préfectures. Vous souligniez également le nécessaire travail de coordination sous l'impulsion des préfets, qu'il faut consolider et améliorer : j'entends votre remarque et je la partage.

Madame la rapporteure Élodie Jacquier-Laforge, votre dernière question portait sur l'actualisation des procédures relatives à l'immigration professionnelle, longuement abordée lors du débat parlementaire sur la politique migratoire de la France et de l'Europe. Le Gouvernement réfléchit à la révision de la liste des métiers en tension mais aussi à une refonte plus ambitieuse de ces procédures, dans un souci de simplification sans toutefois renoncer au respect des règles essentielles en matière de droit social, afin d'éviter que l'immigration devienne une source de dumping social dans certaines filières. Je suis à titre personnel très favorable à la révision de cette liste mais il appartient au Premier ministre de se prononcer dans les jours qui viennent, en coordination avec la ministre du travail également compétente, ce qui explique la prudence de ma réponse.

Mme Marietta Karamanli a posé plusieurs questions. S'agissant de l'évolution du budget consacré à la lutte contre l'immigration régulière, la baisse n'est en réalité qu'apparente puisqu'elle est liée aux huit millions d'euros de transfert de la DGEF engendrés par la création de la direction du numérique.

S'agissant de l'hébergement, j'attire votre attention sur le fait que le nombre de places a doublé, passant de 50 000 en 2015 à 104 000 à la fin de cette année. Cette augmentation est considérable. Aucun territoire de France n'a porté une telle augmentation du parc social. On connait les difficultés liées à la problématique foncière mais aussi à l'absence, parfois, de volonté politique de faire. Si on avait assisté à une telle augmentation du parc social en parallèle, nous n'aurions pas de problème d'hébergement des réfugiés.

M. Stéphane Peu, je ne demande pas 4 % du quota réservataire pour les demandeurs d'asile. Il me semble qu'on doit pouvoir accorder la priorité aux demandeurs d'asile à qui on octroie la protection et qui vivent dans la rue. J'ai rencontré les collectivités territoriales, avec le ministre Julien Denormandie. Elles étaient très désireuses d'un plus grand engagement de l'Etat, mais je les ai invitées à être également très généreuses dans l'attribution de leurs quotas. Si on libérait 4 %, on permettrait d'éviter que des personnes à qui nous devons une protection, ce que nous avons reconnu, soient dans la rue. Il est certain que c'est difficile, puisque, je l'ai connu comme maire, dès lors qu'on attribue un logement, on fait plus de déçus que d'heureux. Mais c'est notre responsabilité collective que de participer à l'intégration de ces personnes. Il faut se coordonner. J'ai réuni l'ensemble des maires qui m'avaient saisi de cette question. Nous avons demandé aux préfets d'établir un diagnostic département par département des points de tension pour que nous puissions établir, ensemble, des positions construites au plus près des territoires.

J'ai répondu à votre première question sur l'évaluation. Elle nous a permis de considérer que la demande d'asile pouvait être stable et les procédures « Dublin » en baisse de 10 %.

M. Guillaume Vuilletet et Mme Caroline Abadie, je partage la philosophie de vos propos. Je les considère comme une exigence vis-à-vis du ministre de l'Intérieur. Vous avez raison, cela nous oblige, cela pose la question du cadre européen d'action. C'est bien dans ce cadre européen d'action que nous nous devons d'avancer. C'est d'ailleurs un élément de réponse que j'apporterai aux questions de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé, je ne partage pas votre avis sur l'intégralité de votre propos. Mais vous avez souligné le fait que nous nous trompons depuis de nombreuses années sur la manière dont nous posons le débat migratoire. Pendant trop longtemps, nous avons assisté à un débat stérile entre la gauche et la droite, l'un affirmant que l'autre était trop laxiste, l'autre trop sévère s'agissant des OQTF. Je pense que, fondamentalement, nous nous sommes trompés d'enjeu, car au moment où nous sommes en situation d'éloigner quelqu'un, il s'agit déjà d'un d'échec.

Je reviens sur un exemple que j'ai évoqué tout à l'heure : aujourd'hui il faut 441 jours pour éloigner un Géorgien, arrivé de Géorgie par avion à Beauvais ou à Bordeaux. Or, au cours de cette période, nous avons scolarisé son enfant s'il en a un, ce qui est normal, et la famille s'est installée. Puis, dans 96 % des cas, nous lui demandons ensuite de partir. C'est une situation d'échec et nous sommes en difficulté pour la mettre en oeuvre. On y arrive parfois, et des avions partent pour Tbilissi. Mais c'est toujours un échec. C'est la raison pour laquelle nous avons développé des échanges avec la Géorgie qui portent leurs fruits car nous constatons depuis quelques mois une baisse des demandes d'asile depuis la Géorgie. Il faut travailler sur l'amont. La question que nous devons nous poser, c'est pourquoi des gens viennent en France demander une protection alors qu'ils savent qu'ils ne l'obtiendront pas. Plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés, liés notamment aux politiques d'attribution des visas.

Il nous faut améliorer un certain nombre de choses car ces personnes, au fond, ne viennent pas demander notre protection en tant que combattants de la liberté.

Il nous faut améliorer un certain nombre de choses. Je ne reprendrai pas le terme de carcan, mais le droit d'asile constitue indéniablement un cadre juridique, constitutionnel et conventionnel au sein duquel nous devons inscrire notre action. Le droit d'asile participe de l'identité constitutionnelle de la France. Mais quand il est détourné, c'est un problème. Vous avez évoqué la nécessité d'une charte constitutionnelle, je ne partage pas cet objectif. Toutefois, j'estime que nous devons pouvoir revoir en profondeur les principes de Schengen sur certains points. Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit d'asile mais au contraire de le protéger. Soyons des Sisyphe heureux pour avancer sur ces sujets. Vous citiez Camus tout à l'heure, celui-ci disait aussi que « la réalité de l'absurde ne doit pas conduire au suicide mais à la révolte ».

M. Jean–Félix Acquaviva, le passage de la durée maximale de rétention de 45 jours à 90 jours a conduit à une augmentation moyenne de la durée de rétention d'un jour seulement ! C'est faible mais cela a permis de garder dans les centres de rétention administrative des personnes dont le laisser-passer consulaire était octroyé au-delà de la durée de 45 jours. J'attire votre attention sur le fait que la capacité d'éloignement des personnes qui restent en CRA au-delà de 45 jours atteint les 60 %, chiffre bien supérieur aux taux moyens sur l'éloignement donnés tout à l'heure par M. Larrivé, qui restent globalement faibles.

Vous avez également posé une question relative à l'enfermement des enfants. D'abord, je vous rappelle que ces enfants ne sont pas seuls mais qu'ils sont en famille. Soit on considère qu'on ne peut pas éloigner de familles avec enfants, soit on considère qu'on peut garder une famille pour un temps très court. Je voudrais rappeler les éléments factuels, même si on peut ensuite avoir un débat philosophique. 199 mineurs ont été retenus dans un CRA pour l'ensemble de l'année 2018 et ils y sont restés 34 heures en moyenne. Il faut savoir, en outre, qu'ils sont retenus dans un lieu dédié. Enfin, l'ensemble de cette procédure est placé sous le contrôle permanent du juge de la liberté et de la détention.

Mme Isabelle Florennes m'a interrogé sur l'OFII. Le choix stratégique qui a été fait jusqu'à présent était celui d'une augmentation des effectifs : 84 ETPT en 2018 et 7 supplémentaires en 2019, conformément aux arbitrages du comité interministériel à l'intégration et du Premier ministre de renforcer le volet intégration. Cette année, la priorité a été mise sur l'OFPRA pour l'instruction de ses dossiers parce que nous considérons que l'OFII a la capacité aujourd'hui de réaliser ses missions. Elle ferait certes mieux avec plus de moyens. Il ne faut cependant pas réduire cette question aux chiffres car je sais qu'à l'OFPRA comme à l'OFII nous avons des hommes et des femmes qui sont plus que des salariés. Ce sont des militants, au sens noble du terme. Il nous faut faire des choix budgétaires qui ont porté sur le renforcement des moyens de l'OFPRA.

Vous m'avez également interrogé sur le logement en général. Selon notre objectif, la baisse moyenne des délais d'instruction doit favoriser les taux de rotation dans les hébergements. J'ai répondu à Mme Marietta Kamaranli sur l'augmentation du nombre de places depuis 2015 mais je voudrais évoquer de nouveau mon entretien avec le ministre Julien Denormandie. Nous voulons effectuer un travail territoire par territoire avec les maires pour gérer les squats, les occupations illégales et les campements. Nous avons lancé une procédure à Saint-Herblain, dans un squat comprenant une centaine d'occupants, qui sera longue. Aujourd'hui nous intervenons de nouveau à Calais comme nous l'avons fait à Grande-Synthe il y a quelques mois. Nous prenons en compte systématiquement les situations individuelles. L'accompagnement est à chaque fois différent en fonction du statut des personnes sur place.

Je voudrais vous préciser, M. Stéphane Peu, que les associations qui sont actives sont financées, certes pas de façon généreuse, pour conduire un certain nombre d'actions par un contrat entre les opérateurs et l'État. Il est important de maintenir cet effort et ce partenariat, y compris avec des associations qui peuvent être critiques vis-à-vis de la politique du Gouvernement mais dont je sais que l'âme d'action est tournée, avec les moyens dont elles disposent, vers, non pas le bien-être car ce terme, trop luxueux, pourrait donner l'impression de dépenses dispendieuses, ce qui n'est pas le cas, mais des conditions d'hébergement les plus adaptées possibles.

Mme Danièle Obono nous expliquait qu'il n'y aurait pas de problème migratoire puisque la France se place au onzième rang du nombre de demandeurs d'asile ramené à la population. Je ne suis pas sûr que cette position soit partagée par tous les commissaires aux Lois. Je refuse le terme « d'organisation de la pénurie de logement ». J'aime beaucoup prendre des leçons et je ne me serais pas permis d'en donner mais je voudrais corriger le propos de Mme Obono qui disait que nous nous étions engagés sur 3 500 places supplémentaires qui n'avaient pas été réalisées. C'est faux : les places sont réalisées et seront opérationnelles et utilisées à 100 % d'ici la fin de cette année.

J'ai apporté à M. Jean-François Eliaou des éléments sur la rétention des mineurs. L'orientation directive est un sujet délicat et complexe sur lequel votre groupe politique, M. le député, a mis en place un groupe d'animation politique dédié pour y réfléchir. Il est important de l'appréhender politiquement. Il y a un vrai problème sur l'Île-de-France, Paris et le Grand Paris, car ce territoire concentre la moitié de la demande d'asile. Chaque semaine, les préfectures de région mettent à disposition entre 200 et 250 places pour accueillir les personnes présentes sur le site de la porte de La Chapelle. Beaucoup refusent ces places que nous parvenons cependant à pourvoir dans des territoires où il existe des offres de formation, une capacité d'hébergement, des perspectives professionnelles et de vraies opportunités. Il existe cependant une réelle appréhension de ne pas pouvoir trouver de travail en quittant la plaque parisienne. Ces personnes présentes à Saint-Denis ou porte de la Chapelle ne sont pas en France pour bénéficier des aides sociales mais pour travailler. J'estime qu'il s'agit d'un vrai sujet sur lequel nous devons travailler.

Les orientations directives, et c'est leur avantage, ne correspondent pas au phénomène que l'on a connu à l'époque du démantèlement du camp de Calais. Sur 10 000 personnes, 8 000 avaient été relogées de manière massive. Des communes en province avaient vu arriver 80 à 100 personnes dans un centre de vacances abandonné et réquisitionné dans ce cadre. L'intégration fut difficile car il fallait trouver la bonne association dans un département qui n'en avait pas forcément. Avec des orientations directives partagées, l'intégration doit pouvoir être confortée. Dans les communes qui se sont retrouvées dans la situation que j'ai décrite, on s'aperçoit que la crise politique a été largement exploitée par quelques-uns lors des arrivées consécutives au démantèlement du camp de Calais. J'ai soutenu cette opération – je profite de l'absence de M. Alain Tourret pour le dire car c'était une décision de M. Bernard Cazeneuve – qui a été bien effectuée. L'effet masse a créé des tensions qui se sont apaisées dans la durée.

Il est aujourd'hui possible de travailler sur des orientations directives. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agit d'un moyen pour gérer la redynamisation des campagnes. Certains tiennent ce discours, mais ce n'était pas le vôtre, M. le député Eliaou, puisque vous aviez des appréhensions sur ce sujet sur lequel il nous faut travailler.

M. Fabien Matras m'a interrogé sur le contrat d'intégration républicaine en 2020 et la ventilation des crédits. Le contrat d'intégration républicaine va bénéficier d'une augmentation de 15 millions d'euros. 12,7 millions d'euros seront consacrés à la formation linguistique, 500 000 euros à la formation civique et 2,3 millions d'euros financeront des actions en faveur des réfugiés, individuellement et spécialement, qui ont besoin d'un accompagnement adapté à leur situation particulière.

Mme la présidente, je crois avoir répondu à l'ensemble des questions qui m'ont été posées, à commencer par la vôtre. Mais s'il manque des réponses, c'est également de leur faute ! Quoi qu'il en soit, j'indique aux parlementaires qu'ils peuvent solliciter des réponses écrites aux questions qui auraient été oubliées afin que ma présentation puisse être complète.

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