Intervention de Jean-Pierre Vigier

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Vigier, rapporteur pour avis sur les crédits des programmes 112 Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire et 162 Interventions territoriales de l'État de la mission Cohésion des territoires :

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, la mission « Cohésion des territoires » revêt une importance particulière par les actions qu'elle recouvre. Le développement et l'aménagement du territoire, le renouvellement urbain, la solidarité entre les territoires, le logement sont en effet des thèmes essentiels pour les collectivités territoriales, et plus largement pour les Français.

Si le budget de la mission est en baisse par rapport à 2019, les programmes 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » et 162 « Interventions territoriales de l'État », dont il est ici question compte tenu des compétences de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, et qui représentent malheureusement seulement 2 % des crédits de la mission, voient leur budget globalement en hausse par rapport à la loi de finances pour 2019.

Cela me conduit à émettre un avis favorable, tout en exprimant plusieurs réserves.

Les crédits du programme 112 contribuent au financement de nombreux contrats pluriannuels conclus entre l'État et une ou plusieurs collectivités territoriales – notamment les contrats de plan État-région (CPER) et les contrats de ruralité. Pour la mise en oeuvre des CPER, la mission « Cohésion des territoires » est mise à contribution, pour 2015-2020, à hauteur d'environ 918 millions d'euros via deux de ses programmes.

J'observe que sur certains territoires, plusieurs contrats se recoupent, tandis que d'autres territoires, malheureusement, se trouvent exclus de toute contractualisation, faute d'information suffisante sur leur éventuelle éligibilité aux différents dispositifs et surtout sur les démarches à effectuer.

Je remarque que, dans le cadre des travaux d'élaboration de la nouvelle génération de CPER, le Gouvernement envisage un élargissement du périmètre de la contractualisation à des thématiques qui ne figurent pas dans les CPER actuels, et souhaite en particulier qu'un volet consacré aux coopérations entre les territoires soit systématiquement inclus dans les futurs contrats. C'est une bonne chose, et c'est un point important en ce qui concerne les territoires ruraux.

Dans ce souci d'élargissement, j'attire votre attention sur le fait qu'il est vital que l'État apporte un vrai soutien financier aux projets structurants de nos régions, et en particulier aux infrastructures routières et ferroviaires qui sont un pilier essentiel du développement des territoires, en particulier ruraux. Le volet « Mobilités-Transport » des CPER est absolument primordial, et je me permets de mentionner tout particulièrement les « petites lignes » ferroviaires. J'espère que celles-ci ont un avenir et qu'elles seront défendues par le Gouvernement, car elles sont menacées. Sur un sujet aussi majeur, ce n'est pas seulement aux collectivités locales de se battre, mais cela relève bien plus de la compétence de l'État, qui ne peut s'en décharger : cela constitue un véritable point de vigilance.

Le 29 septembre dernier, le Premier ministre a présenté le plan d'action du Gouvernement en faveur des territoires ruraux, l'« Agenda rural », sur la base du rapport présenté par la Mission ruralités, dont il reprend 173 des 200 propositions. Le Gouvernement s'engage notamment, parmi celles-ci, à encourager la création de commerces dans les communes de moins de 3 500 habitants, à mener des actions en faveur de la jeunesse, à encourager l'implantation de 1 000 cafés ou encore le déploiement de 33 campus connectés. Sur le principe, ce plan est bienvenu. Mais j'exprime deux regrets : d'une part, le caractère trop tardif de l'intégration de l'Agenda rural dans le projet de loi de finances pour 2020, même si j'ai bien noté que la ministre, lors de son audition par notre commission, a indiqué que toutes les missions budgétaires seront mises à contribution en 2020. D'autre part et surtout, il s'agit d'une réorientation de crédits préexistants vers la ruralité, et pas de moyens financiers supplémentaires nouveaux. Or, les territoires ruraux ne peuvent se satisfaire des crédits existants : par leurs spécificités, et les problématiques très larges auxquelles elles sont confrontées, nos collectivités territoriales méritent un soutien plus massif et plus important de la part de l'État. Il en résulte qu'une simple réorientation des fonds ne saurait, à mon avis, suffire au bon développement des territoires.

Dans un second temps, et dans le cadre de notre discussion, les thèmes de l'accès au numérique et de l'accès aux services publics méritent d'être évoqués.

En plus du développement des infrastructures de transport, le développement de la couverture numérique est le deuxième pilier du développement des territoires. Comme vous le savez, l'égalité numérique des territoires est un impératif. Pour l'accès aux services, le dynamisme économique et l'attractivité, notamment des territoires ruraux, il est vital de disposer d'une couverture numérique de qualité, et ce n'est pas encore le cas. Les territoires ruraux sont en effet des territoires d'avenir, et se réaliseront en tant que tels grâce à leur désenclavement, par les infrastructures routières et ferroviaires et par les infrastructures numériques.

Lancé en 2013, le plan « France Très haut débit » doit permettre de couvrir l'intégralité du territoire français en très haut débit d'ici 2022. Je remarque que cet objectif ne sera atteint que si une vraie vigilance est exercée par les pouvoirs publics. J'ai également observé que, dans le cadre de l'Agenda rural et en complément de l'accord historique conclu en début d'année avec les opérateurs, le Gouvernement s'est engagé à résorber les « zones blanches » de téléphonie mobile en cinq ans et à faire déployer, d'ici fin 2020, la 4G sur tous les pylônes existants. C'est tout à fait indispensable.

Concernant l'accès aux services publics, le programme 112 apporte la contribution financière de l'État aux maisons de services au public (MSAP), dispositif très important mais tout à fait perfectible.

L'activité des MSAP est essentielle pour renseigner en un seul lieu les usagers de plusieurs organismes administratifs, pour les orienter vers la bonne structure et les aider à accomplir certaines démarches, notamment les démarches dématérialisées. Mais la qualité n'est pas partout au rendez-vous : si, en termes quantitatifs, les objectifs de déploiement ont été atteints, force est de constater que certaines MSAP ont été créées sans analyse préalable des besoins réels de la population, tandis que d'autres ne répondent pas, en réalité, aux exigences du cahier des charges. Victime de son succès quantitatif, le dispositif n'est plus en capacité d'assurer le financement de nouvelles maisons.

Les maisons « France Services » pourront représenter, je l'espère, une amélioration qualitative. Je salue les ambitions de la démarche « France Services », mais je déplore que le plan de financement demeure à ce stade non défini et je tiens à exprimer une des préconisations du rapport de la Mission ruralités : il est indispensable de développer l'accueil de premier niveau dans les mairies, en lien avec les MSAP et les maisons France Services. Je souligne également que la performance globale du dispositif, qu'il s'agisse des MSAP ou des futures maisons France Services, dépend directement d'une couverture numérique du territoire digne de ce nom.

Deux points de vigilance méritent d'être signalés.

Le développement de ces maisons ne saurait se faire « sur le dos » des services publics existants. Ces nouveaux dispositifs ne sauraient être un prétexte pour vider ce qui existe déjà, ou pour supprimer – on va le voir en 2020 – des trésoreries. Ces organismes de proximité assurent en effet un vrai rôle pour la population.

S'agissant des personnels, si des efforts de formation peuvent être menés, les agents ne peuvent faire les frais d'une politique qui viserait à supprimer des services publics de proximité. Cela est d'autant plus vrai dans les territoires ruraux, où le service public est aussi un service social pour la population. Dans les « petits » départements, les services publics assurent un lien social avec nos compatriotes.

Permettez-moi enfin d'évoquer la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui est issue de la fusion de trois organismes existants : une grande partie des services du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA), et deux des trois pôles de l'Agence du numérique.

Visant à répondre au souhait des élus locaux de disposer d'un accès plus simple aux services de l'État et à ses différents opérateurs qui interviennent dans les territoires pour soutenir leurs projets, l'ANCT doit apporter une aide « sur mesure » à travers un appui en ingénierie par la mobilisation et la coordination des ressources de l'État et de ses opérateurs.

Mais plusieurs conditions doivent impérativement être remplies, et compte tenu des auditions que j'ai menées, j'exprime une vive inquiétude sur la réunion de ces conditions avant le 1er janvier 2020. Il ne faut pas mettre en place une « usine à gaz ». Si le projet de loi de finances prévoit effectivement un budget et des effectifs pour l'ANCT, aucun des textes réglementaires d'application de la loi n'a encore été publié. Je me fais également le relais des personnels de l'EPARECA et de l'Agence du numérique, qui manifestent une certaine inquiétude sur les modalités de leur intégration dans la nouvelle structure et sur la possibilité de conserver ensuite leur « identité », leur expertise et leur niveau de performance. Il convient d'y être très vigilant.

Pour conclure, vous l'aurez compris, j'émets un avis favorable sur les crédits des programmes 112 et 162, tout en émettant certaines réserves. Le développement de nos territoires, dont l'État est le principal garant, est un impératif qui mérite une mobilisation budgétaire, humaine, politique, de tous les instants. En lien direct avec les collectivités territoriales, l'État doit mener une action publique de développement territorial, soucieuse de tous, en garantissant les mêmes droits à tous les Français. C'est bien parce que nos territoires sont un véritable atout pour notre pays qu'ils méritent d'être fortement soutenus. Je vous remercie.

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