Intervention de Geneviève Chêne

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Geneviève Chêne :

Aujourd'hui, je suis particulièrement honorée de me présenter devant vous pour cette audition, ma candidature étant proposée par le Gouvernement pour la direction générale de Santé publique France. Je tiens à remercier Mme la ministre et, à travers elle, le Gouvernement pour la confiance qui m'est accordée.

Votre commission auditionne régulièrement les responsables et les scientifiques de Santé publique France. Je sais moi-même d'expérience la très grande qualité de ces professionnels engagés au service de la santé des populations. En ce moment solennel d'audition devant vous, je ressens à la fois beaucoup d'enthousiasme et aussi une certaine gravité d'être proposée pour un poste de cette importance, à la tête d'une agence de l'État aux missions essentielles de service public.

Je souhaite d'abord me présenter en décrivant brièvement mon parcours, puis en vous faisant part des raisons qui me motivent aujourd'hui, pour prendre la tête de Santé publique France.

Pour résumer ce parcours, je suis une scientifique et je suis convaincue que les connaissances scientifiques en santé publique doivent servir les décisions en matière de politiques publiques. Je suis aussi convaincue que ces connaissances doivent impérativement faire l'objet de transferts vers les pratiques, ce qui implique d'être attentif à la fois aux besoins des territoires, et aussi à l'affirmation d'une dimension internationale.

La santé publique est l'engagement de toute ma vie professionnelle, depuis ma formation initiale en médecine, puis en épidémiologie et en biostatistique, et en couvrant aussi progressivement de nombreux champs de la santé publique. Toute ma vie professionnelle a été consacrée à construire une approche pour résoudre des questions de santé qui se posent à l'échelon des populations, et aussi à rendre visible l'importance de cette approche.

Parmi les positions les plus marquantes de ce parcours, je voudrais mettre en avant cinq de mes expériences.

La première est la direction d'une équipe de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dans le domaine de la recherche clinique et en santé publique sur le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) syndrome d'immunodéficience acquise (sida) et les maladies infectieuses, la coordination de grands programmes scientifiques européens et aussi mon engagement plus récent à transférer ces savoir-faire dans le domaine des maladies neurodégénératives et du vieillissement cérébral.

Dans le domaine du VIH sida, en particulier grâce à l'organisation coordonnée par l'Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS), ce n'est pas seulement l'ambition de l'excellence scientifique qui m'a marquée, c'est aussi une relation différente avec les malades debout et participatifs, avec lesquels les scientifiques et les médecins ont coconstruit une réponse aussi appropriée que possible du point de vue scientifique, et aussi du point de vue éthique et humain, voire citoyen.

Ma deuxième expérience marquante est mon rôle d'enseignante, en particulier comme professeur des universités depuis 1999, dans tous les cycles de médecine et au niveau master de santé publique à l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement (ISPED) de l'université de Bordeaux. À l'ISPED, nous enseignons pour des étudiants en formation initiale et en formation professionnelle, pour des étudiants français et étrangers, présents ou à distance. Ce qui me marque ici, c'est la perception de l'attente très forte vis-à-vis de la France, dans l'espace francophone au moins, et souvent bien au-delà pour la transmission des savoirs.

La troisième expérience est mon expérience managériale à l'université comme directrice de l'ISPED, depuis juin 2017. L'ISPED est un institut qui compte environ 100 personnels, plus de 60 enseignants en santé publique. C'est une masse critique qui est unique en France et qui est positionnée parmi les meilleures écoles de santé publique en Europe. Cet institut, je l'ai engagé dans un processus d'accréditation internationale, avec l'appui de l'initiative d'excellence (IDEX) de l'université, et aussi dans une action volontariste de transfert d'expertise en santé publique vers les acteurs territoriaux, en tout premier lieu, l'agence régionale de santé (ARS) Nouvelle–Aquitaine, à laquelle nous sommes liés par une convention et un programme opérationnel.

Quatrième expérience, là aussi managériale, elle est au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, où j'ai dirigé pendant huit ans le pôle de santé publique. C'est un ensemble de services et d'unités qui comptent environ 350 personnels soignants et administratifs couvrant l'ensemble des domaines de santé publique, depuis la formation en santé à l'analyse et la gestion des risques, à la fois pour les patients et les professionnels de santé. J'ai contribué à créer début 2019, un service qui est entièrement dédié au soutien du développement de l'offre de prévention à l'échelon de l'établissement du groupement hospitalier de territoire et de la région Nouvelle-Aquitaine.

Enfin, dans le domaine des politiques publiques, mon expérience au sein du comité des sages pour la préparation de la stratégie nationale de santé 2013-2017, puis à la direction de l'Institut Santé publique (ISP) de l'INSERM et de l'Institut de recherche en santé publique (IReSP) pendant trois ans, entre 2014 et 2017. Cela m'a forgé une solide expérience dans la conception et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de recherche en santé publique.

Cette expérience, je souhaite la mettre au service des missions et des activités de Santé publique France. Vous l'avez souligné, Santé publique France a pour mission d'améliorer et de protéger la santé des populations. Il s'agit d'une mission qui s'organise autour de trois axes majeurs : anticiper, comprendre et agir.

Anticiper consiste à mettre en oeuvre un système national de veille et de surveillance pour détecter et anticiper les risques sanitaires, et également apporter les éléments de décision à la puissance publique.

Comprendre consiste à améliorer la connaissance sur l'état de santé de la population, sur les comportements, sur les risques pour la santé et se fonder sur ces connaissances pour concevoir les stratégies, pour intervenir en prévention et promotion de la santé.

Agir consiste à promouvoir la santé, agir sur les environnements, expérimenter et mettre en oeuvre les programmes de prévention, répondre aux crises sanitaires.

En seulement trois années, Santé publique France, officiellement créé en 2016, a démontré sa capacité à bâtir ce que l'on appelle « l'axe populationnel » du système français d'agences sanitaires. L'axe populationnel, c'est répondre aux besoins des connaissances de l'état de santé, protéger, préserver la santé et le bien-être de la population.

J'ai bien conscience aussi de la construction tout à fait remarquable qui a été menée sous la direction du Dr. François Bourdillon, qui a capitalisé sur les forces et les talents des opérateurs que vous avez cités : InVS, INPES, EPRUS et aussi l'organisme d'écoute Addictions drogues alcool info service (ADALIS), et qui s'appuie aussi sur un maillage territorial qui est assuré par les quinze cellules d'intervention en région (CIRE) de Santé publique France, qui sont présentes en métropole et en outre-mer.

Santé publique France est aujourd'hui un établissement qui développe une expertise au plus haut niveau, afin d'appuyer la décision publique et d'aider au déploiement de politiques publiques, bien sûr au plus près des besoins des populations. Cette expertise repose aussi sur des principes forts de transparence et d'indépendance.

Santé publique France a donc pris aujourd'hui toute sa place dans le paysage des agences sanitaires de notre pays, et aussi au-delà, à l'échelle de l'Europe et du reste du monde. Beaucoup a donc été fait et les fondations sont extrêmement solides.

Après cette phase incontournable de fusion et de structuration d'un grand établissement public, il est désormais crucial d'amplifier les actions de Santé publique France, au service des besoins du pays en matière de santé, tout en renforçant bien sûr la cohérence avec l'ensemble des partenaires, c'est-à-dire les autres agences sanitaires nationales, les agences régionales de santé et aussi l'ensemble des acteurs de santé publique en général.

Nous nous situons dans un contexte où les défis à relever en matière de santé des populations sont à la fois évidemment passionnants, mais particulièrement ardus. En particulier, je voudrais indiquer trois points majeurs.

Il s'agit tout d'abord des risques liés à l'environnement : ils sont avérés, ils nécessitent des observations et des interventions appropriées. Ensuite, la prévention et la promotion de la santé sont centrales pour améliorer la santé des populations ; pourtant, aujourd'hui, l'ensemble des actions est encore insuffisamment inspiré des meilleures pratiques. Enfin, il faut contribuer à maintenir le dialogue avec l'ensemble des parties prenantes ; le maintien de ce dialogue est particulièrement exigeant.

La stratégie nationale de santé 2018-2022 et le plan Priorité prévention donnent un cap très important. Santé publique France dispose d'une programmation stratégique qui reprend ces éléments et la feuille de route du ministère de la santé.

Comme candidate au poste de directrice générale de Santé publique France, je vous propose quatre axes structurants et je propose qu'ils apparaissent comme prioritaires pour s'atteler et porter une vision renouvelée. Je suis une scientifique. Mon métier est donc de produire des nouvelles connaissances et ma culture est d'être jugée sur ses connaissances par mes pairs. Or la pérennité de l'Agence repose précisément sur la qualité de la production scientifique et des données probantes.

Le premier axe est de renforcer le dialogue dans l'espace scientifique, c'est-à-dire avec les organismes de recherche et les universités. Cela est essentiel, parce que l'excellente expertise de Santé publique France doit continuer à s'appuyer sur des productions scientifiques au meilleur niveau international et en lien avec la recherche. Pour cela, Santé publique France doit s'inscrire résolument dans un espace d'échanges scientifiques national, et aussi européen et international. La présence internationale de Santé publique France est déjà visible comme représentant de la France au sein du Centre européen de prévention et contrôle des maladies (ECDC). Nous assurons aussi le secrétariat général de l'Association internationale des agences nationales de santé publique (IANPHI). Je souhaite capitaliser sur cette visibilité pour accroître les collaborations scientifiques et techniques internationales qui doivent être au coeur du projet.

Le deuxième axe découle du premier. Le développement de ce premier axe n'est pas suffisant pour avoir un impact sur les politiques publiques et sur la santé. Il faut être également en capacité de mener des actions concrètes en réponse aux besoins. Par exemple, c'est le service que rend Santé publique France en situation d'urgence. De manière continue, l'utilisation des données probantes pour appuyer la décision publique doit être systématisée. Les travaux produits par Santé publique France, les actions déployées doivent être au plus proche des besoins des citoyens et doivent en particulier viser à réduire les inégalités sociales, environnementales et territoriales. C'est donc tout l'enjeu de l'investigation locale qui est soutenu par le réseau des CIRE en lien avec les ARS. C'est aussi l'enjeu des techniques de marketing social qui visent à construire des campagnes probantes, qui ont un impact pour faire évoluer les comportements favorables à la santé et au bien-être, en se fondant sur des leviers démontrés comme efficaces.

Bien sûr, il est essentiel de valoriser les travaux et les actions menés, c'est un troisième axe, d'expliquer les enjeux mis en évidence et les solutions choisies pour y faire face. Il faut aussi débattre, voire mobiliser des outils de médiation pour l'ensemble des catégories de la population et des professionnels qui sont concernés par les thématiques et les champs d'action de l'agence. Je souhaite donc aussi engager une réflexion approfondie pour refonder le lien avec l'ensemble des parties prenantes et des acteurs engagés, y compris les porteurs d'intérêts, car le temps pour écouter et expliquer doit pouvoir être pris. À la condition de respecter ses principes majeurs d'indépendance scientifique et de transparence, Santé publique France sait bien sûr être à l'écoute et dans le dialogue avec l'ensemble des citoyens.

Enfin, si j'attache une grande importance à ce que Santé publique France demeure le catalyseur de la mobilisation nationale et territoriale des acteurs de santé publique, je suis également très attentive à sa contribution au succès du virage préventif de la stratégie nationale de santé et du plan Priorité prévention. Il y a un fort soutien politique et c'est une condition incontournable pour réussir. Pour faire de ce virage préventif un succès, il faut également démontrer que les actions mobilisant de nombreux acteurs et financements sont efficaces. Le retour sur investissement des innovations technologiques et sociales pour la prévention et la promotion de la santé, le déploiement des interventions, doivent être évalués. Je souhaite donc pouvoir engager Santé publique France dans l'évaluation de l'impact de ces investissements sur le système de santé et sur la santé de la population en général. Pour cette vision renouvelée, nous aurons à apprendre des exemples étrangers. Sans oublier que Santé publique France est porteuse d'une vision globale de la santé de la population, issue d'un modèle de système de santé que la majorité des citoyens souhaitent durable et où ils se sentent protégés.

Pour réussir, j'aurai bien sûr besoin de l'implication de tous les agents autour d'une vision partagée du cadre d'action, et des rôles et des responsabilités de chacun. Cela sous-tend le renforcement d'une politique de qualité de vie au travail, qui implique l'ensemble des personnels et de leurs représentants.

En conclusion, ma candidature repose donc sur l'exigence forte d'allier une approche de santé publique fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles, une qualité élevée de communication vers les citoyens, la capacité à préserver la notoriété très positive de l'Agence, la volonté de rétablir la crédibilité de la parole publique chaque fois que nécessaire pour maintenir la confiance, et d'apporter un appui solide à l'accomplissement des orientations gouvernementales et des politiques publiques en matière de santé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.