Madame Vignon, je tiens tout d'abord à vous remercier pour vos remarques et à saluer le travail que vous avez accompli lors des deux derniers PLF, notamment sur la mission que nous examinons ce jour. Vous avez en effet travaillé sur ce sujet par le passé et émis un certain nombre de propositions concernant particulièrement les droits familiaux.
Il me semblait important de traiter cette année de la difficile question des réserves, qui constituait un angle mort non encore abordé dans nos discussions.
La diversité des politiques de placement reflète la diversité de notre système de retraites. Il y a autant de politiques que de régimes. Il n'existe pas véritablement de doctrine de placement ou d'utilisation, ce qui peut quelquefois surprendre. Ce sont les conseils d'administration qui, en fonction de certains paramètres et de trajectoires notamment démographiques, dessinent leurs perspectives de placement qui sont d'ailleurs encadrées par la loi. Par exemple, le code de la sécurité sociale prévoit que les fonds placés comportent au minimum 34 % d'obligations. Certains régimes se démarquent en revanche par des engagements plus forts et plus risqués, comme le FRR ou le RAFP. Mais ils répondent ce faisant à l'objectif qui leur avait été fixé lors de leur création. D'autres régimes sont beaucoup plus prudents. La question que nous pouvons nous poser, dans le contexte actuel de taux d'intérêt négatifs, est de savoir s'il ne faudrait pas revoir cette répartition des placements entre obligations et placements risqués.
S'agissant des conséquences comptables de l'utilisation des réserves, il s'agit d'un véritable « trou noir » technique. Nous avons posé cette question à l'ensemble de nos interlocuteurs, y compris au sein de l'administration, et avons obtenu peu de réponses. Nous pouvons envisager deux possibilités, que je rappelle d'ailleurs dans mon rapport. Le besoin de financer des droits nouveaux pourrait tout d'abord avoir un impact sur les critères de respect de nos engagements de Maastricht. Mais nous pouvons aussi imaginer que l'utilisation des réserves n'aura que des conséquences plutôt neutres. Je formule à tout le moins le voeu que ce débat technique, mais essentiel au regard de nos engagements européens, puisse être tranché avant la réforme.
Monsieur Viry, vous avez évoqué à juste titre toutes les difficultés, les incohérences et les injustices du système actuel, les différents chocs démographiques et la nécessité de changer de paradigme plutôt que de se contenter de changements paramétriques semblables à ceux proposés plus haut par notre collègue Adrien Quatennens – qui reviennent finalement à laisser perdurer les injustices et les iniquités du système. Vous avez mentionné également la volonté de clarifier les mécanismes. Or c'est l'objet de toutes les concertations qui ont démarré avec les partenaires sociaux et les représentants des différentes professions et des caisses. Le régime universel n'a pas vocation à nier les singularités et les spécificités que vous évoquez et que vous avez exprimé le souhait de conserver. Il reviendra à la future gouvernance d'assurer une piste de représentation de l'ensemble des professions, par le biais notamment des partenaires sociaux.
Je partage vos analyses sur les réformes Woerth et Touraine, qui sont de droite, mais aussi de gauche. Je tiens à le rappeler. Concernant la réforme à venir, j'ai moi-même retranscrit dans mon rapport les propos tenus par le Président de la République à Rodez le 3 octobre 2019. Ces déclarations ne s'opposent pas du tout à un fléchage, qui serait légitime pour les professions concernées.
Madame Firmin Le Bodo, je reconnais le soutien constant de votre groupe à la suppression des régimes spéciaux et d'une manière plus globale à la réforme visant la mise en place d'un système universel et voulais vous en remercier.
La modification de périmètre concernant la RCO des non-salariés agricoles inscrite au PLF 2020 a vocation à rationaliser ce régime, et le laissera en excédent. La fraction des droits de consommation sur les alcools affectée à la MSA augmentera par ailleurs en 2020.
Madame Dubié, j'en viens à votre question concernant l'avenir des réserves au regard des régimes ayant été moins prévoyants que les autres. Lorsque je parle d'État garant, il s'agit d'une véritable expression comptable liée au versement des pensions. Les partenaires sociaux seront évidemment associés à la construction du plan de convergence prévu et à la nouvelle gouvernance qui reste à définir. L'État devra donc être garant des engagements repris de l'ensemble des régimes. Mais il va de soi qu'il ne pourra pas oublier les 14 points de PIB à gérer destinés aux retraites. C'est pourquoi il sera important qu'il soit aux côtés des partenaires sociaux pour gouverner ce futur système. Il me semble prématuré toutefois d'entrer dans les éléments techniques de la concertation en cours.
M. Quatennens a évoqué beaucoup de sujets, notamment l'enveloppe de 14 points du PIB consacrée aux retraites que je viens de mentionner. Cette enveloppe n'augmente plus depuis plusieurs années. Mais elle est supérieure à celle des pays voisins. Notre objectif est de préserver ce niveau sans fragiliser nos politiques publiques. L'utilisation des réserves dans ce nouveau régime doit permettre, comme dans le système actuel, de faire face aux chocs démographiques et aux difficultés économiques – en profitant des cycles hauts et en décaissant dans les cycles bas, quelquefois sur une ou plusieurs générations –, mais aussi de mettre en oeuvre un meilleur lissage tout en demeurant dans l'enveloppe des 14 points de PIB.
S'agissant du niveau de vie, je propose comme piste d'affecter une partie des réserves au bénéfice des professions les ayant constituées. Plutôt que de continuer à agir comme nous le faisons aujourd'hui en réponse aux chocs démographiques et aux difficultés économiques, en lissant notamment dans le temps les engagements pris pour payer les pensions, nous pouvons imaginer qu'une partie des réserves servira à améliorer le niveau de vie de nos retraités les plus nécessiteux. Je rappelle que dans les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), à régime constant, c'est-à-dire si nous ne faisons rien, nous risquons d'assister à une dégradation du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs. Le niveau de vie des retraités progresserait en effet moins rapidement que celui des actifs. Il faut pouvoir le prendre en compte. Les réserves peuvent constituer aussi une piste sur ce point.
Monsieur Nilor, vous avez axé votre propos sur la perte de pouvoir d'achat actuelle des retraités, liée selon vous à des décisions que nous aurions prises, mais évoquée aussi en vue de la mise en place du nouveau système. Concernant le niveau de vie des retraités, il faut arrêter de caricaturer. Le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs selon les données du COR. La France est le seul pays européen à se trouver dans cette situation. Cependant, le niveau des retraites augmente historiquement moins rapidement que celui des salaires. Pour limiter la dégradation du niveau de vie des retraités, je propose donc dans mon rapport qu'une partie des réserves financières puisse être utilisée à la discrétion des caisses au bénéfice de leurs anciens cotisants.
Par ailleurs, s'agissant du soutien aux retraites les plus faibles, le Président de la République a annoncé que le minimum retraite pour une carrière complète ne pourrait être inférieur à 85 % du salaire minimum de croissance (SMIC), soit 1 000 euros. Il s'agit d'une avancée considérable, vous l'admettrez. Cette mesure est particulièrement attendue par les exploitants agricoles, dont la retraite moyenne s'élève actuellement à 855 euros par mois pour une carrière complète. Je rappelle que la « loi Touraine » de 2014 a porté le niveau minimal de retraite pour une carrière complète d'agriculteur à 75 % du SMIC.
Sur la question du pouvoir d'achat, qui me paraît essentielle, je souhaite également évoquer les règles d'indexation sur les retraites. Je fais notamment référence à l'intervention de notre collègue Boris Vallaud, qui a mentionné ce sujet en commission dans le cadre de l'examen du PLFSS la semaine passée. Plusieurs règles d'indexation coexistent aujourd'hui dans le système de retraites, comme c'est le cas dans de nombreux régimes, ce qui en complexifie la gestion. Il existe notamment des règles définies par la loi et des règles définies par accord national pour l'AGIRC-ARRCO. Or je tiens à rappeler que le Conseil constitutionnel n'a jamais jugé inconstitutionnelle l'existence de règles distinctes inhérentes à l'organisation de notre système de retraite. Ce constat milite néanmoins en faveur de l'instauration d'un régime universel. Dans le régime universel, il n'existera en effet qu'une seule règle d'indexation, source de lisibilité et d'équité. C'est en tout cas notre volonté.
Je pourrais vous citer d'autres engagements pris par notre majorité, mais je souhaite prendre le temps de répondre aux autres questions qui ont été posées.
Monsieur Hammouche, concernant la mise en place concrète de l'harmonisation des régimes existants, nous devons faire preuve de vigilance quant à l'ensemble des efforts à fournir. C'est précisément l'objet de la concertation. Je ne voudrais donc pas trop m'avancer sur ce sujet.
S'agissant de l'avenir des réserves, j'évoque dans mon rapport la possibilité de flécher tout ou partie de ces réserves en direction de certaines professions au sein du futur régime universel, au moins dans la période transitoire qui précédera la mise en place définitive du régime universel à l'horizon 2040.
Monsieur Perrut, je ne peux que penser du bien de l'association des caisses aux discussions concernant l'avenir des réserves puisque je l'ai moi-même proposée dans mon rapport. Et je vous remercie pour votre soutien.
Monsieur Delatte, la prise en compte de l'espérance de vie montre que le défi démographique est commun à l'ensemble des professions. Cette réalité confirme la pertinence de la mise en place d'un régime universel. Dès lors que chaque régime devra faire face au même choc démographique, la volonté à travers le régime universel est de mettre en commun les difficultés rencontrées pour pouvoir les traiter non de manière unique mais de façon cohérente en leur donnant le maximum de lisibilité.
Il me reste une dernière réponse à apporter à M. Michels. La concertation se limite aujourd'hui aux partenaires sociaux, et je propose de l'étendre aux caisses de retraites. Cela me paraît essentiel, car une forte inquiétude s'exprime de leur côté. Et il me semble important de compléter le regard que peuvent avoir les caisses à travers leur expertise par les échanges que le haut-commissaire aura dans les semaines à venir avec les partenaires sociaux. Cela me semble indispensable pour retrouver une certaine confiance. Cette proposition est sur la table. J'espère qu'elle recevra un accueil favorable.