J'ai le plaisir d'accueillir en votre nom M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, chargé de la protection de l'enfance, dans le cadre des travaux menés par la Délégation aux droits des femmes en parallèle du Grenelle des violences conjugales, lancé le 3 septembre dernier par Mme Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la rapidité avec laquelle vous avez répondu à notre sollicitation, rapidité qui traduit sans nul doute la forte mobilisation du Gouvernement face aux alarmantes violences faites aux femmes. Nous avons tenu à vous auditionner car il nous semble essentiel de faire une place aux enfants victimes des violences conjugales. En 2018, vingt-et-un enfants ont trouvé la mort dans ce contexte, quatre-vingt-deux sont restés orphelins et des milliers d'autres ont été témoins de scènes de violence qui les marqueront à vie. D'après l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, 41 % des enfants qui grandissent dans un contexte de violences conjugales subissent eux-mêmes des maltraitances, et 84,5 % sont témoins des violences subies par l'un de leurs parents.
L'enfant, dans les situations de violences conjugales, ne doit pas être envisagé comme un « dommage collatéral ». Enjeu pour le conjoint violent, moyen de faire souffrir une femme visée par la haine d'un homme, l'enfant ne doit pas être traité comme un témoin mais pour ce qu'il est : la victime de violences directes ou indirectes qui créent chez lui un stress post-traumatique, source d'angoisses profondes et durables entraînant des retards de développement, des difficultés d'apprentissage, des ruptures scolaires, des conduites addictives, des comportements autodestructeurs.
« Il ne peut y avoir plus vive révélation de l'âme d'une société que la manière dont elle traite ses enfants », disait Nelson Mandela. Dans cet esprit, il est crucial de remettre en question le rôle du parent violent en proscrivant la garde. Un père violent ne doit pas disposer des moyens juridiques de perpétuer son emprise sur la mère et l'enfant. Nous avons encore beaucoup trop souvent le réflexe d'opposer la relation conjugale à la relation parentale, comme si les auteurs de violences ne s'en prenaient qu'à leur conjoint – ce qu'illustre très bien le film Jusqu'à la garde.
Des progrès ont été faits, notamment grâce à la loi du 9 juillet 2010 créant l'ordonnance de protection pour les femmes et leurs enfants ; celle du 4 août 2014 établissant que toute juridiction doit se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale ; celle du 3 août 2018 qui a allongé les peines encourues pour des violences conjugales commises en présence de mineurs. Malgré cela, la société française pense encore l'organisation de la famille en fonction du principe quasiment exclusif de co-parentalité, et notre loi tend toujours à favoriser le maintien du lien entre l'enfant et son père même quand celui-ci est condamné pour violences conjugales. Il en résulte que le père violent garde son pouvoir de nuisance pendant des années.
Il est donc crucial de faire évoluer cette situation et de reconnaître des exceptions au principe de coparentalité en suspendant ou en retirant l'autorité parentale à l'homme violent et en ne l'accordant qu'à la mère. À ce sujet, je salue l'engagement du Gouvernement de donner la possibilité au juge pénal de suspendre ou d'aménager l'exercice de l'autorité parentale, et de suspendre de plein droit l'autorité parentale en cas de féminicide dès la phase d'enquête ou d'instruction. Toutefois, dans les faits, le recours à cette ordonnance de protection n'est pas encore généralisé, et la suspension ou le retrait de l'autorité parentale restent des décisions marginales.
Parce que les violences intra-familiales sont la première cause d'intervention des institutions de protection de l'enfance, il nous faut aller plus loin – c'est l'objectif de cette audition. Nous devons envisager la problématique dans son ensemble pour y apporter des solutions tangibles telles que la prise en charge psychologique systématique des enfants témoins de violences conjugales ou la généralisation du droit de visite médiatisé instauré par Mme Ernestine Ronai en Seine-Saint-Denis.
Aux côtés du Gouvernement, le Parlement se mobilise par le biais de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale : nous élaborons un Livre blanc dont les recommandations, à la hauteur de l'urgence, permettront de créer de nouveaux dispositifs dont les femmes pourront se saisir afin d'échapper à de telles situations.