Parce que nous entendons agir en matière de prévention, nous avons lancé une réflexion sur les mille premiers jours de la vie de l'enfant et installé à cette fin une commission interdisciplinaire d'experts présidée par M. Boris Cyrulnik. Le concept des « mille premiers jours », qui existe depuis une trentaine d'années, a progressé avec le développement des neurosciences. Nous visons à définir les modalités d'accompagnement des futurs parents dès la phase prénatale, sinon pré-conceptionnelle, et jusqu'au deuxième anniversaire de l'enfant. On sait en effet que 80 % de la vie future, en matière de santé et de développement cognitif se joue pendant la période préscolaire ; c'est aussi le moment où se forgent les inégalités sociales.
Beaucoup de nos concitoyens nous disent la difficulté d'être parent ; la déstabilisation du couple qu'entraîne l'arrivée d'un enfant, quoique taboue, est bien réelle et la dépression post-partum est peu évoquée. On estime à 40 % la proportion de violences conjugales apparues pendant la grossesse. Le stress qui en résulte pour la femme enceinte a de graves conséquences : un plus grand risque de dépression post-partum pour elle et un impact sur les capacités cognitives de l'enfant.
Les difficultés liées à l'arrivée d'un enfant dans un couple traversant toutes les couches de la population, une approche universaliste est nécessaire. Mais une attention singulière doit être portée, dans la politique « des mille jours », aux vulnérabilités particulières que sont les violences, la prématurité, la naissance d'un enfant handicapé et la parentalité de personnes handicapées. Toutes les mesures prises en faveur d'une éducation bienveillante convergent : ainsi, je ne doute pas que le vote par le Parlement de la loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires aura un impact sur la manière dont les parents se comportent à l'égard de leurs enfants, sur le harcèlement scolaire et, plus généralement encore, sur les relations entre les êtres.
La politique « des mille jours » ne vise pas à dire aux parents ce qu'est être un bon parent mais à les aider en leur donnant des repères validés scientifiquement. De grands efforts pédagogiques sont toujours nécessaires pour faire comprendre les effets de certains comportements. Je l'ai encore constaté lors d'une table ronde organisée à l'hôpital Necker, à Paris, sur le syndrome des bébés secoués : en dépit de campagnes de communication répétées, nombreux sont les parents qui ne sont toujours pas conscients des conséquences de ce geste. De même, bien des parents n'ont pas conscience de l'effet délétère pour leur développement cognitif de l'exposition des jeunes enfants aux « écrans nounous ». Le projet « des mille jours » sera aussi l'occasion d'informer les parents sur l'impact des violences intrafamiliales, des insultes et du stress que ces comportements provoquent chez les jeunes enfants. Cette pédagogie contribuera à réduire les violences que peuvent subir les enfants dans le cadre du foyer.
Avant même d'envisager un suivi médical au long de la vie, il faut s'interroger sur la prise en charge du traumatisme immédiat, et nous avons encore des efforts à faire sur ce plan. Il faut interrompre le cycle qui fait que celui qui a subi des violences en fera subir à d'autres ou en subira toute sa vie, avec le coût terrible que j'ai rappelé en termes de santé publique. Dix unités de prise en charge du psychotrauma ont déjà été ouvertes sur le territoire national. Elles peuvent accueillir des enfants atteints de traumatismes aigus ; le plan à venir de lutte contre les violences faites aux enfants sera le cadre permettant de poursuivre ce maillage territorial. Par ailleurs, des permanences de soin du psychotrauma destinées aux enfants victimes de violences sont expérimentées à Nantes et à Paris ; elles sont en phase d'évaluation pour estimer s'il convient de multiplier ces structures au niveau national et de quelle manière. Enfin, je rappelle qu'une couverture santé complémentaire permet, pour 95 % de la population, la prise en charge des frais de soins à la suite de violences intrafamiliales.
La présidente a rappelé les mesures annoncées en matière d'autorité parentale en cas d'uxoricide : le juge pourra, dès la mise en examen, suspendre l'exercice de l'autorité parentale de l'auteur du crime. Dans un autre domaine, le groupe de travail ad hoc a préconisé de décharger les enfants de l'obligation alimentaire envers le parent condamné pour homicide volontaire sur l'autre parent. Le juge des enfants sera systématiquement saisi en cas de féminicide pour apprécier comment protéger l'enfant, à qui il doit être confié et s'il est possible de le remettre à la garde de sa famille élargie. Nous étudions aussi la généralisation du protocole « féminicides » mis en place à Saint-Denis pour bien articuler protection de l'enfance et soins et assurer une prise en charge sociale, psychologique et somatique.