Intervention de Caroline Fiat

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat, rapporteure pour avis :

J'ai l'honneur de vous présenter mon avis sur les crédits de la mission Santé. Comme l'a souligné la ministre, cette mission subit cette année une transformation structurelle, puisque le financement de deux grandes agences sanitaires, l'ANSP et l'ANSM, est désormais assuré par l'assurance maladie, et relève donc de la loi de financement de la sécurité sociale, comme nous l'avons vu la semaine dernière. Du fait de ce transfert, les crédits de la mission perdent près de 20 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019 et se montent, cette année, à un peu plus de 1,1 milliard d'euros contre plus de 1,4 milliard d'euros en 2019. Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins supporte seul la diminution des crédits de la mission. Il perd près de 265 millions au titre de ses crédits de fonctionnement, soit les trois quarts de ce qui avait été voté l'an dernier.

Les crédits destinés à l'INCa connaissent une légère diminution. L'INCa est certes soumis au même régime d'économies que les autres opérateurs, mais on peut se demander si cette diminution est pertinente, au moment où des efforts particuliers sont engagés, notamment en matière de cancérologie pédiatrique. Même si elle ne relève plus, désormais, de ce programme, je ferai une remarque identique concernant l'ANSM, dont les moyens sont réduits dans des proportions encore supérieures. J'observe en outre que la quasi-totalité des agences sanitaires sont extraites de la mission Santé, ce qui devrait sans doute nous inviter à la réflexion. L'action 11 s'intitule encore Pilotage de la politique de santé publique mais, concrètement, elle ne sert plus à piloter grand-chose, puisque Santé publique France est désormais financée par l'assurance maladie et que la très grande part des crédits de cette action financent l'ONIAM et diverses actions juridiques et contentieuses. Peut-être Mme la ministre pourra-t-elle nous faire part de la réflexion du Gouvernement sur cette question ?

Cela étant, je relève, au sein de ce même programme, que les crédits de l'agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna bénéficient d'un accroissement considérable, notamment pour développer la prévention et contribuer à réduire, à terme, le poids exorbitant des dépenses liées aux évacuations sanitaires. La forte augmentation – à hauteur de 40 % – des crédits destinés à la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation, dans le cadre de l'action 15, est également à souligner.

Avant de vous présenter les deux axes d'analyse que j'ai choisi de traiter dans cet avis budgétaire, je voudrais saluer une autre nouveauté de cette mission : la présentation d'un document de politique transversale portant sur le programme 204. Cette étude répond à une demande que nous avions formulée l'an dernier, par un amendement qui reprenait une proposition faite par Ericka Bareigts et Cyrille Isaac-Sibille dans leur rapport d'information sur la prévention santé en faveur de la jeunesse. Ce document permet d'avoir enfin une vision d'ensemble des crédits que l'État consacre à la prévention. L'amélioration de l'information du Parlement sur ce sujet est précieuse.

J'en viens à la présentation des deux sujets – d'une brûlante actualité – qu'il m'a paru opportun, et je dirais même essentiel, d'étudier. Le premier, qui concerne le programme 204, a trait à l'indemnisation des victimes de la Dépakine. Cette année a en effet été marquée par deux événements : d'une part, l'annonce par Sanofi, en début d'année, de son refus de participer au dispositif d'indemnisation ; d'autre part, le vote par notre assemblée d'une résolution demandant notamment la fusion du collège d'experts et du comité d'indemnisation institués auprès de l'ONIAM, afin de faciliter les procédures et d'accélérer l'indemnisation des victimes. J'ai tenu à auditionner l'ensemble des parties prenantes de ce dossier douloureux, à savoir Sanofi, l'Association des parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anticonvulsivant (APESAC), l'ANSM et l'ONIAM.

Je retire de ces entretiens que la position de Sanofi est – objectivement – tout à fait inacceptable et que la décision de Mme la ministre des solidarités et de la santé de demander à l'ONIAM de se retourner contre le laboratoire est entièrement justifiée. Il ne fait en effet aucun doute que la responsabilité du laboratoire est fortement engagée, tant en ce qui concerne la défectuosité du médicament que le manque d'information sur les risques encourus par les patientes. C'est ce qui a été jugé en première instance en 2015 et confirmé en 2017 en appel. C'est également ce qui ressort de l'instruction des dossiers par le collège d'experts auprès de l'ONIAM, qui a reconnu Sanofi unique responsable dans les deux tiers des dossiers. Dans d'autres cas, le laboratoire partage la responsabilité avec l'État. Globalement, la responsabilité de Sanofi, intégrale ou partielle, est engagée dans plus de 90 % des cas. Malgré cela, l'entreprise nous dit clairement qu'elle s'en lave les mains et que la solidarité nationale peut payer. Le laboratoire allègue que le dispositif n'est pas impartial et qu'il n'admettra l'éventuelle mise en cause de sa responsabilité que devant les tribunaux. En tout état de cause, estime-t-il, sa position n'empêche pas les victimes d'être indemnisées par l'ONIAM. Cette attitude est, de mon point de vue, scandaleuse.

Cette entreprise dispose évidemment de tous les moyens pour faire traîner les procédures au mépris de l'intérêt des familles, et elle ne s'en prive pas. J'ajoute que les propos qu'a tenus le président de Sanofi France au cours de son audition ne me rassurent aucunement : absolument rien ne garantit que, si la cassation était favorable aux victimes, Sanofi considérerait que cette décision ferait jurisprudence. On peut craindre des procédures interminables dans chaque affaire où le laboratoire sera impliqué et pour laquelle l'ONIAM se retournera contre lui. Je vous renvoie à mon avis pour plus de détails, mais il me paraît d'ores et déjà indispensable de s'assurer de la soutenabilité financière du dispositif à long terme. Madame la ministre, où en est la réflexion du Gouvernement sur ce point ? Je salue le travail de l'APESAC, et tout particulièrement de sa présidente, Marine Martin, dans sa bataille sur le dossier de la Dépakine.

Le second volet de mon propos porte sur l'AME, financée par le programme 183, à l'égard de laquelle de fortes inquiétudes se sont manifestées ces derniers mois. Elles sont nées du lancement, au début de l'été, d'une nouvelle mission confiée à l'IGAS et à l'IGF, sur laquelle très peu d'informations ont filtré. Cela a alimenté l'angoisse des acteurs de terrain, qui y ont vu un risque de remise en question d'une prestation sociale d'une importance majeure, ainsi que Mme la ministre l'a souvent rappelé. Cette question me semblant essentielle, j'ai tenu à consacrer une grande partie de mon avis budgétaire à une analyse détaillée des arguments avancés contre l'AME. Je vous invite bien sûr à vous y reporter pour avoir connaissance de tous les détails, mais je voudrais vous en exposer les principales conclusions, qui montrent que l'adage « qui veut noyer son chien l'accuse de la rage » n'a rien perdu de son actualité.

Tout d'abord, l'AME serait une prestation sociale trop coûteuse. Qu'en est-il, en fait ? Nous y consacrons certes plus de 900 millions d'euros, mais il faut rappeler que ce budget ne représente que 0,4 % des quelque 203,5 milliards de la consommation globale de soins et de bien médicaux. Cela ramène le sujet à de justes proportions. En outre, malgré l'importance de la part prise par les hospitalisations, sur laquelle je reviendrai, il faut aussi savoir que la consommation médicale par bénéficiaire de l'AME est très inférieure à la dépense moyenne par assuré social.

Ensuite, l'AME proposerait un panier de soins trop important. En fait, ce dernier est plus réduit que celui des bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), et un certain nombre de prestations ou de dispositifs en sont exclus, comme l'accès aux programmes de prévention. À ce propos, l'ensemble des acteurs de terrain – parmi lesquels on peut citer Médecins du monde, France Assos Santé, le Samu social ou encore l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) – ainsi que d'autres observateurs – le Défenseur des droits ou l'Académie nationale de médecine – plaident instamment pour un rééquilibrage.

C'est pour bénéficier de l'AME qu'on immigrerait en France, entend-on parfois. En fait, toutes les études montrent que les raisons médicales ne constituent un motif de migration que pour 3 % des intéressés. La preuve en est que plus de 80 % des migrants en situation précaire ayant droit à une couverture maladie n'en ont, en réalité, aucune. Par ailleurs, dans leur très grande majorité, les migrants découvrent leur état de santé dégradé lorsqu'ils consultent, tardivement, bien après leur arrivée dans notre pays. C'est précisément la raison pour laquelle les hospitalisations, que j'évoquais précédemment, représentent une part aussi élevée dans les dépenses de l'AME. Enfin, les principales pathologies pour lesquelles sont soignés les bénéficiaires de l'AME sont liées à la grande précarité – VIH ou tuberculose, notamment – et ont fréquemment été contractées dans notre pays.

La France serait aussi plus généreuse envers les migrants que ses voisins. En fait, globalement, ce que proposent la Belgique, l'Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni n'est pas fondamentalement différent de ce que notre pays a inscrit dans le panier de soins.

Un autre argument est encore avancé, selon lequel l'AME ferait l'objet d'une fraude très élevée. En réalité, c'est une prestation particulièrement contrôlée à tous les niveaux.

Deux pistes sont le plus souvent évoquées : l'introduction d'un droit de timbre et la réduction du panier de soins. Contre l'avis de l'IGAS et de l'IGF, qui avaient vivement déconseillé cette mesure, qu'elles considéraient économiquement inefficace et dangereuse pour la santé publique, le Gouvernement avait néanmoins introduit un droit de timbre en 2011. Il a dû brusquement rétropédaler un an plus tard. Quant à la réduction du panier de soins, on se rappelle, par exemple, les amendements déposés en ce sens lors du débat sur la loi immigration l'an dernier. En 2012, l'Espagne a restreint le panier de soins aux seules urgences pour éviter un prétendu « tourisme sanitaire ». Il en est résulté une augmentation du taux de mortalité au sein de la population migrante de 15 %, et le gouvernement espagnol est revenu sur cette mesure l'an dernier. Toute la communauté médicale, les associations, nombre d'experts internationaux – tels ceux de l'Organisation internationale pour les migrations – sont vent debout contre l'hérésie et la catastrophe que représenterait, pour la santé publique et notre système de soins, l'introduction d'une telle mesure dans notre pays.

Compte tenu de ces éléments, je voudrais demander à Mme la ministre – même si elle a largement abordé ce sujet dans son propos liminaire – quelles sont les pistes de travail que le Gouvernement explore actuellement et quels volets de l'AME il entend réformer, pour quelles raisons et quelles finalités.

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