Intervention de Delphine Bagarry

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 17h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Bagarry, rapporteure pour avis :

Dotés de 17,8 milliards d'euros en 2017, les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances progressent fortement sous cette législature puisque pour l'année 2020, ce sont 25,5 milliards d'euros qui sont programmés, soit une hausse de 30 % du budget consacré aux solidarités avec, en particulier, la revalorisation de la prime d'activité et l'élargissement du champ des bénéficiaires, celle de l'AAH et la mise en oeuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, sur laquelle je reviendrai.

Au-delà de ces postes de dépense symboliques, ce sont l'ensemble des actions du programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes qui sont dynamiques : augmentation conséquente des crédits destinés aux pratiques innovantes, à l'aide alimentaire, à la protection et à l'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles ; doublement de l'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine – qui malgré tout semble insuffisante, mais nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.

En tout, le programme 304 progresse de 14 %, passant de 10,4 milliards d'euros de crédits de paiement en 2019 à 11,9 milliards d'euros pour 2020.

La hausse des crédits du programme 157 Handicap et dépendance est quant à elle plus modérée. Outre l'augmentation de l'AAH, les crédits consacrés à l'emploi accompagné bénéficieront d'une enveloppe supplémentaire de 3 millions d'euros, ce que je tiens à souligner.

Le programme 137 Égalité entre les femmes et les hommes reste stable. Il est en très léger reflux puisque sa dotation diminue d'environ 25 000 euros en raison d'un transfert vers un autre programme. Les crédits alloués à l'égalité entre les femmes et les hommes sont, en fait, répartis entre les différentes missions du budget et s'élèvent au total à 1,116 milliard d'euros. Nous pourrons évaluer grâce au document de politique transversale si les financements mobilisés augmentent réellement et permettent de suivre les orientations retenues pour cette grande cause nationale du quinquennat.

Le programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative voit ses crédits baisser, notamment à cause d'un transfert vers d'autres missions.

J'ai décidé de réaliser, dans le cadre de mon rapport pour avis, une étude approfondie du budget consacré à la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, qui est dotée de 215 millions d'euros pour 2020. Le but de cette stratégie est avant tout de lutter contre les inégalités de destin et l'assignation sociale. Un des axes prioritaires consiste à agir au stade de l'enfance et de la petite enfance, ce que la plupart des personnes auditionnées ont salué.

La stratégie interministérielle repose tout d'abord sur une contractualisation avec les départements, pour un montant total de 175 millions d'euros. Tous les départements, sauf deux, se sont mobilisés, ainsi que deux métropoles. C'est indéniablement un succès.

Cette démarche, qui est placée sous la conduite du délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, Olivier Noblecourt, a permis aux acteurs concernés de s'approprier la stratégie, grâce au partage d'un état des lieux et d'objectifs à atteindre. Un travail spécifique a porté sur les indicateurs de performance retenus afin d'évaluer les résultats de la stratégie dans les territoires. Je tiens à saluer l'esprit de coconstruction qui a prévalu.

La publication de rapports d'exécution au niveau départemental permettra de revoir chaque année l'attribution des crédits en fonction des actions réalisées. Je crains, à cet égard, qu'une indexation des dotations sur les résultats des indicateurs de performance puisse nuire à la réussite du plan dans certains territoires. En tout cas, il ne faudrait pas priver de crédits les départements où la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté aura le plus de mal à produire des résultats, malgré les efforts consentis : c'est peut-être, au contraire, dans ces territoires que les financements devront augmenter. La contractualisation pourrait atteindre là ses limites.

Par ailleurs, des mesures d'investissement social, auxquelles 40 millions d'euros sont consacrés, commencent à être mises en oeuvre.

En ce qui concerne les petits déjeuners à l'école, la phase de préfiguration qui s'est déroulée de mars à juin 2019 a concerné 37 000 élèves, dans 300 écoles. L'évaluation de cette mesure à la fin de l'année scolaire permettra de définir des indicateurs quantitatifs et qualitatifs.

Le dispositif de tarification sociale des cantines, qui est une incitation destinée aux communes de moins de 10 000 habitants éligibles à la dotation de solidarité rurale (DSR) cible, ne semble pas avoir donné des résultats satisfaisants à la rentrée 2019 : seulement 100 mairies rurales y ont eu recours. Les délais nécessaires à l'instauration d'une tarification sociale et la perspective des élections municipales peuvent avoir constitué des freins pour les communes.

Nous espérons qu'il y aura des résultats plus significatifs à la fin de l'année prochaine. La restriction aux écoles élémentaires, qui est la principale difficulté identifiée, sera levée l'an prochain, mais je m'interroge également sur la pertinence du critère d'éligibilité à la DSR cible. Députée d'un territoire appartenant à l'hyper-ruralité, je connais les règles d'attribution de cette dotation et leurs limites : on voit bien l'écart entre le critère qui a été retenu et la situation de certaines communes rurales.

S'agissant de la mixité sociale dans les crèches, plusieurs acteurs que j'ai auditionnés ont dit craindre que le dispositif n'aboutisse, dans certaines structures, non pas à de la mixité mais au contraire à une concentration de publics précaires. Olivier Noblecourt a souligné, en réponse, que l'objectif était précisément d'éviter toute forme de spécialisation ou de concentration et qu'un travail était en cours avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) afin d'identifier les meilleurs critères possibles pour l'attribution du bonus.

Comme la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes est de nature interministérielle, l'étude que j'ai réalisée va au-delà des crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances : je me suis également intéressée à d'autres mesures relatives à l'enfance, à la jeunesse et à l'insertion par l'emploi.

La contractualisation entre l'État et les départements ne peut se comprendre que dans le cadre d'une approche globale. À titre d'exemple, les maraudes mixtes État-département qui visent à détecter les enfants à la rue n'ont aucune utilité si elles ne permettent pas de réaliser une mise à l'abri des familles. Il faut donc étudier leur articulation avec le plan « Logement d'abord », qui relève du ministère de la ville.

Pilotées par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, les maraudes mixtes qui vont commencer dans les prochaines semaines s'adressent à un public large, dans une logique d'accompagnement social consistant à aller vers les publics en grande difficulté.

En ce qui concerne le logement, la précarité énergétique doit être au coeur des réflexions : les mineurs exposés à l'humidité et aux moisissures, au manque de luminosité, au bruit et au froid courent bien plus que les autres le risque d'attraper des maladies pouvant conduire à des inégalités en matière d'apprentissage.

L'obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans fait également partie de la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Cette mesure entrera en vigueur à la rentrée 2020.

Deux chantiers essentiels font encore l'objet de concertations. Il s'agit, d'une part, du revenu universel d'activité, qui vise à simplifier les conditions d'accès aux prestations sociales en fusionnant le plus grand nombre possible d'entre elles, à lutter contre le non-recours aux prestations, estimé à 30 %, et à favoriser le retour à l'emploi et, d'autre part, du service public de l'insertion, qui tend à remédier aux limites actuelles des dispositifs d'insertion des publics les plus éloignés du marché du travail, notamment les bénéficiaires du RSA.

Je précise que cette présentation n'est pas complète : la stratégie interministérielle traverse, en effet, tous les champs de l'inclusion sociale...

Au-delà des multiples aspects positifs de cette stratégie, j'ai constaté lors de mes auditions quelques manques sur lesquels je voudrais vous interroger.

La culture, le sport et les loisirs sont les parents pauvres, à ce stade, de la stratégie interministérielle. Ne faudrait-il pas intégrer davantage d'actions dans ces différents domaines qui offrent de vrais moyens d'action en matière d'émancipation et d'ouverture et constituent également des catalyseurs d'insertion ?

Les étudiants m'ont dit qu'ils étaient de plus en plus nombreux à ne pas avoir d'assurance complémentaire santé. La stratégie interministérielle ne pourrait-elle pas comporter des actions en la matière, notamment pour faciliter l'accès des étudiants à la complémentaire santé solidaire ?

Par ailleurs, même si ce sujet relève aussi du ministère de la cohésion des territoires, ne faudrait-il pas prévoir des moyens supplémentaires en ce qui concerne le droit opposable à la domiciliation ? C'est souvent la clef de l'accès aux droits.

Je voudrais évoquer, en dernier lieu, le calendrier de nos travaux. Cette mission budgétaire a déjà été examinée par la commission des finances : je me demande pourquoi nous nous prononçons dans un second temps alors que nous sommes censés éclairer, par notre avis, la commission saisie au fond. D'un autre côté, certains collègues de la commission des finances m'ont dit qu'ils avaient l'impression de ne servir à rien, car c'est nous qui entendons le Gouvernement.

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