Vous m'avez interrogée, en premier lieu, sur l'adaptation et la mise à jour de la position commune de l'Union européenne. Celle-ci remonte en effet à 2008 et doit être réévaluée, comme cela nous l'a été demandé. La France a été très active et a fait des propositions en ce sens. Je ne peux vous dire, à l'heure qu'il est, dans quel délai nous aboutirons. Ce qui est certain, c'est que nous avons nourri les travaux, en particulier pour renforcer les échanges de bonnes pratiques au sein du fameux COARM.
La nomination possible de Mme von der Leyen à la présidence de la Commission européenne – sous réserve, naturellement, de sa confirmation par le Parlement européen – m'est apparue, vous vous en doutez, comme une excellente nouvelle : je suis convaincue que Mme von der Leyen aura à coeur, si elle est appelée à présider la Commission européenne, de poursuivre l'ouvrage qu'elle a patiemment construit depuis plusieurs années, y compris avec mon prédécesseur, pour que l'Europe de la défense présente un visage concret, tangible.
Je voudrais insister, puisque vous m'en offrez l'occasion, sur la force de l'engagement personnel de Mme von der Leyen. Cela me permet de répondre, par anticipation, à la question qui m'a été posée sur la démarche de parlementaires allemands concernant le montage industriel susceptible de déboucher sur le char de combat du futur.
Il n'y a pas un pays au monde, me semble-t-il, dans lequel les industries de défense ne mènent pas une campagne active auprès des décideurs afin de promouvoir leurs produits, leurs équipements, leur activité. Si quelqu'un, ici, se sent à l'abri, qu'il me le dise… Mme von der Leyen a joué un rôle clé au moment où des parlementaires allemands, certainement très bien informés et instrumentalisés par plusieurs entreprises, souhaitaient instaurer un parallélisme absolu entre le projet de système de combat aérien du futur et le projet de char de combat du futur. Cette forme de parallélisation aurait en fait conduit à une véritable paralysie. Il faut reconnaître à Mme von der Leyen le mérite d'avoir résisté vigoureusement à toutes ces tentatives – ce qui ne signifie pas, naturellement, que le parlement allemand ne cherchera pas à poursuivre dans ce sens. Il faut lui rendre hommage pour avoir récusé ce type de tentatives. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, elle était présente au salon du Bourget, au côté de notre homologue espagnole, pour poser la première pierre du système de combat aérien du futur, grâce à la signature d'un accord-cadre, alors que des parlementaires allemands voulaient obtenir un engagement équivalent et simultané sur le char de combat du futur, ce qui n'a pas été le cas.
Avec mon collègue Bruno Le Maire, nous avons écrit à nos homologues allemands au sujet de l'entreprise KNDS (Krauss-Maffei Nexter Defense), coentreprise franco-allemande créée en 2015. Quelles que soient les intentions de Rheinmetall de prendre le contrôle de cette structure, il existe un accord avec des règles, un pacte, des actionnaires, parmi lesquels, du côté français, un actionnaire étatique. Avec Bruno Le Maire, nous avons rappelé que le char du combat du futur se ferait avec un acteur franco-allemand, à savoir KNDS. Cela ne signifie absolument pas que Rheinmetall ne peut pas participer à l'architecture ou à la construction de ce char ; mais il est hors de question de subordonner à des intérêts actionnariaux et patrimoniaux privés le bon déroulement d'un programme tel que le char de combat du futur. Il me paraissait important d'insister sur cette question, car on a parfois une lecture un peu trop capitalistique du déroulement de certains projets. Il faut aussi savoir reconnaître le sens des responsabilités de nos interlocuteurs au sein du gouvernement allemand, ce qui ne signifie pas, évidemment, que tout est toujours simple avec lui.
Cela m'amène à la question sur l'avancement des discussions sur les règles d'exportabilité des programmes, en particulier des grands programmes structurants que nous développons avec l'Allemagne. Conformément au traité d'Aix-la-Chapelle, nous devons nous mettre d'accord sur deux sujets. Le premier est celui des règles d'exportabilité, sur lesquelles nos deux pays s'engagent pour de longues années – il s'agit en effet de programmes extrêmement structurants. Le second concerne des programmes qui incluent d'ores et déjà, dans une certaine proportion, des composants issus de l'autre pays. J'avais eu l'occasion d'indiquer, lors de la précédente audition, que nous avions connu de sérieux blocages – à présent levés – qui avaient menacé la pérennité d'une entreprise française. Nous sommes toujours en discussion pour aboutir sur ces deux sujets. Il ne s'agit pas du tout, pour la France, de s'aligner sur les règles d'exportation de l'Allemagne ; chacun demeure souverain. Mais il faut aussi pouvoir se mettre d'accord, par anticipation, sur ce qui engagera nos industries et déterminera des financements publics extrêmement significatifs, et pour de très nombreuses années. Je ne veux pas m'engager sur un délai, mais je peux vous dire que l'on continue à y travailler très activement. Il faut aussi intégrer le fait que la situation du pays avec lequel nous dialoguons n'est pas très simple en ce moment. Je reste néanmoins très confiante sur le fait que nous aboutirons.
Josy Poueyto a relevé que le rapport ne comportait pas de détails sur l'implication des entreprises européennes dans un certain nombre de programmes. Permettez-moi de dire, tout d'abord, que le fait que des composants soient issus d'industries d'autres pays européens est très positif dans la perspective de la constitution d'une base industrielle et technologique de défense européenne. Votre idée me paraît très bonne ; il me semblerait en effet souhaitable que nous puissions fournir plus d'éléments d'information, dans ce domaine, à l'occasion du prochain rapport. Je ne vois en tout cas pas d'arguments majeurs pour m'y opposer.
J'en viens aux actions de communication et de pédagogie qui méritent d'être engagées sur les exportations d'armements – questions parfois passionnelles, en tout cas toujours intéressantes, car elles montrent que nos démocraties sont vivantes. Les efforts de pédagogie ne sont pas nouveaux. C'est en effet un sujet extrêmement médiatisé, et les médias contribuent aussi, à leur façon, à cette pédagogie – je le dis sans aucune malice, même si certains mettent en avant des opinions que je ne partage pas nécessairement, mais la presse est libre ! Elle s'est en tout cas largement emparée de ces questions. Je crois aussi aux vertus de l'exemple. C'est la raison pour laquelle j'ai consacré du temps, dans mon propos liminaire, aux sujets européens. Loin de moi l'idée qu'il faille rejeter certains contrats, attachés à des partenariats que j'ai décrits comme étant importants, profonds et extrêmement structurants pour la lutte contre le terrorisme. Cela étant, j'espère que la pédagogie dont je m'efforce systématiquement de faire preuve sera plus audible encore lorsque la part des exportations en direction des pays européens aura crû. Il n'y a aucune raison, toutefois, d'attendre d'en être arrivés là pour poursuivre le travail de pédagogie ; j'essaie de m'y livrer, comme vous, en toute bonne foi et de façon transparente. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, l'information doit d'abord être disponible pour nos concitoyens. Elle doit être la plus honnête, la plus transparente possible, et pouvoir être débattue par tous ceux qui ne partagent pas nécessairement ces opinions.
Une annexe du rapport est effectivement consacrée aux dons, ou plus exactement aux cessions, dont certaines sont à titre onéreux et d'autres à titre gratuit. Quelle que soit leur forme, ces cessions sont très utiles d'un point de vue opérationnel, puisqu'elles permettent de renforcer l'interopérabilité, le caractère multinational de notre action. Dans la mesure où elles sont bien connues de nos armées, le transfert d'expérience est plus simple. Elles sont également utiles sous l'angle industriel, puisqu'elles soutiennent le développement et l'activité de sociétés qui se sont spécialisées dans ce domaine. Elles sont susceptibles d'induire des activités de maintien en condition opérationnelle pour les clients auxquels elles sont destinées. Par ailleurs, elles ont pour avantage de réduire les coûts humains et financiers liés au stockage ou au démantèlement d'un certain nombre de matériels considérés comme obsolètes par nos forces. C'est, globalement, un bon moyen de faciliter la pénétration des marchés export avec des matériels éprouvés au combat. Pour les cessions à titre onéreux, il ne faut pas négliger le fait qu'elles fournissent des ressources – 57 millions d'euros ont été engrangés par ce biais en 2018. S'agissant des cessions à titre gratuit, une commission se réunit mensuellement pour juger de leur opportunité. En fonction de leur importance, en termes de contre-valeur, la décision peut être prise par mon cabinet ou par moi-même.
Comme vous avez dû le constater, le Liban est le premier bénéficiaire de cessions à titre gratuit, qui représentent au global l'équivalent de 54 millions d'euros. Si nous le faisons, c'est d'abord parce que le Liban se situe dans une région très exposée à la présence de réfugiés syriens, à la menace de Daech, qui est à ses portes et à d'autres formes de cohabitation, qui peuvent rapidement être inflammables, au sud de sa frontière. C'est de surcroît un pays confronté à une situation économique critique, marquée par un surendettement qui n'a probablement jamais été aussi aigu. Pour toutes ces raisons, nous considérons qu'il est essentiel d'être au côté du Liban, qui est un partenaire historique de la France. La cession à titre gratuit nous est apparue comme un bon outil, non exclusif de beaucoup d'autres. Je me suis rendue récemment sur place pour essayer de faire avancer une proposition que le président de la République a faite au président libanais, consistant en l'acquisition de matériels militaires, en particulier dans le domaine naval, en contrepartie de l'octroi d'un prêt à des conditions extrêmement compétitives. Comme vous le savez peut-être, le Liban compte sur des explorations pétrolières et gazières en Méditerranée. Si celles-ci s'avéraient fructueuses, l'importance de la protection de cette zone économique exclusive s'en trouverait encore accrue.
Une question m'a été posée sur le degré de détail des données mises à la disposition du public, et donc des parlementaires, sur le commerce des armes. Il n'y a pas d'équivalence stricte entre les informations fournies par la France au secrétariat du Traité sur le commerce des armes et celles figurant dans le rapport que nous vous fournissons – je ne sais pas si les chiffres sont en plus ou en moins, ce sont des documents différents. Nous essayons de répondre aux questions qui nous sont posées par le secrétariat du Traité sur le commerce des armes et d'enrichir le plus possible l'information que nous vous destinons. Le croisement des deux fournit une bonne image, me semble-t-il, de ce que nous faisons. Je rappelle que le rapport fourni au secrétariat du Traité est, lui aussi, public, et mis en ligne. On peut essayer de faire mieux, d'aligner davantage les informations mais, en tout état de cause, elles sont complémentaires et certainement pas contradictoires.
Avec l'édition 2019, que nous venons de fournir – je fais ainsi le lien avec l'autre question de Joaquim Pueyo –, nous n'avons pas à rougir de la qualité et de l'ampleur des informations transmises au Parlement français. Je n'en tire aucune gloriole particulière ; mais comme on se plaît souvent à faire état des procédures en vigueur dans d'autres pays, j'ai pris le temps de regarder ce qui est fourni dans d'autres très grandes démocraties, et je crois pouvoir vous dire que nous fournissons beaucoup de données, ce qui est, de mon point de vue, une très bonne chose.
Une mission d'information sur le contrôle des exportations d'armement a été constituée par la commission des affaires étrangères, dont Jacques Maire et Michèle Tabarot sont les co-rapporteurs. Elle définira les évolutions que l'on pourrait apporter au contrôle et au suivi que le Parlement exerce, ou à l'information qu'il détient. Il ne m'appartient pas à ce stade d'émettre des commentaires, car j'attends les propositions qui me seront présentées. Comme je l'ai dit précédemment, au-delà des opinions que je pourrais avoir, le Gouvernement est tenu par les règles constitutionnelles : nous verrons si les propositions faites seront compatibles avec l'article 20 de la Constitution ou si elles nécessiteront des aménagements – auquel cas cela dépasserait mon champ de compétence.
La première question du président Chassaigne concerne la diminution des exportations hors de l'Union européenne, en valeur absolue. Si le total des exportations progresse de 30 % entre 2017 et 2018, passant de 6,9 à 9,1 milliards d'euros, le montant des exportations hors de l'Union européenne atteint 6,8 milliards d'euros en 2018, contre 6,2 milliards en 2017, année où la part relative de ces exportations était bien plus importante. Ce sont donc 600 millions d'euros de plus : la progression des exportations hors de l'Union européenne se poursuit donc en 2018, mais leur part relative est beaucoup plus faible.
J'en viens à sa seconde question, qui porte sur la découverte de missiles en Libye. Ces missiles, de type Javelin, trouvés dans une localité appelée Gharyan, appartiennent effectivement aux armées françaises, qui les avaient achetés aux États-Unis – ce que nous avons confirmé aux autorités américaines. Ces armes étaient destinées à l'autoprotection d'un détachement français déployé pour assurer des missions de renseignement en matière de contre-terrorisme. Parce qu'elles étaient endommagées et hors d'usage, elles ont été temporairement stockées dans un dépôt, en vue de leur destruction. Elles n'ont donc pas été transférées à des forces locales.
Depuis longtemps, nous soutenons la lutte de toutes les forces régulières engagées contre le terrorisme en Libye, aussi bien en Tripolitaine, qu'en Cyrénaïque, et, d'une façon plus large, au Sahel. Je le répète, ces armes, détenues par nos forces, pour leur sécurité, n'étaient donc pas concernées par de quelconques restrictions d'importations en Libye où, vous l'avez dit, un embargo a été décidé. Il n'a jamais été question de vendre ni de céder, de prêter ou de transférer ces munitions à qui que ce soit en Libye.
S'agissant du Liban, je crois avoir répondu, par anticipation.
Pour ce qui concerne les matériels ARAVIS, il semble en effet que le rapport ne mentionne plus le nombre de véhicules de combat livrés, alors que la France avait déclaré en 2015 avoir livré 115 véhicules blindés de ce type.
Rappelons que cette information n'est pas demandée dans le cadre du Traité sur le commerce des armes : la France est tenue de transmettre un rapport sur ses « exportations et importations d'armes classiques », qui entrent dans le champ d'application du traité, mais il n'y a pas d'obligation quant aux données qui doivent être fournies.
Nous avons choisi de communiquer des informations relativement précises, en ventilant les transferts par pays, et en précisant à chaque fois la quantité et le type de matériel exporté. Nous remplissons donc parfaitement nos obligations au titre de l'article 13 du traité.
Certains de nos clients demandent que les quantités ou le type précis de matériels ne soient pas rendus publics. C'est pour cette raison que, sans contrevenir aux obligations qui nous incombent, nous n'entrons pas nécessairement toujours dans le plus grand détail.