Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 7 novembre 2019 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Santé ; solidarité insertion et égalité des chances

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales :

Je ne vais pas m'étendre sur le financement des programmes 204 et 183, qui reste stable à périmètre constant, du moins tant que nous n'avons pas voté les amendements gouvernementaux sur lesquels je reviendrai. Les programmes de la mission « Santé » sont l'occasion d'aborder deux sujets sensibles.

Je pense d'abord à l'indemnisation des victimes de la Dépakine grâce aux crédits du programme 204. Le laboratoire Sanofi a été reconnu responsable de ce scandale aussi bien par les tribunaux que par le collège d'experts indépendants placé auprès de l'ONIAM. Son refus de participer au dispositif d'indemnisation est un deuxième scandale qui fait supporter le coût de cette indemnisation par la solidarité nationale. Je tiens donc à apporter mon soutien à la décision de la ministre des solidarités et de la santé de demander à l'ONIAM de se retourner contre le laboratoire.

J'en viens à l'aide médicale d'État, financée par le programme 183 : c'est la première fois depuis plusieurs années que les crédits qui y sont consacrés ne sont pas en hausse. Quant au nombre de bénéficiaires, il n'augmente presque plus et le Gouvernement annonce vouloir mieux maîtriser la dépense par un accroissement de 20 % des contrôles au stade de l'instruction des demandes.

Ces derniers mois, les intentions du Gouvernement de réduire cette prestation sociale essentielle ont suscité de fortes inquiétudes. Mon avis budgétaire présente en détail l'ensemble des arguments exposés sur le sujet, mais permettez-moi d'en rappeler quelques éléments.

Primo : non, l'AME ne donne pas lieu à des fraudes massives. C'est l'une des prestations les plus contrôlées à tous les niveaux. Ramenons les choses à leur juste proportion : la fraude à l'AME ne représente que 0,06 % des dépenses qui y sont consacrées soit, à proportion égale, deux à trois fois moins que la fraude à l'assurance maladie !

Secundo : non, ce n'est pas pour bénéficier de l'AME que l'on immigre en France. À preuve, plus de 80 % des migrants en situation précaire ayant droit à une couverture maladie n'en ont aucune ! Comme le soulignent non seulement les associations mais aussi le Défenseur des droits et même l'IGAS et l'IGF, c'est, plus que la question d'un risque d'abus, celle du renoncement aux soins qui se pose, avec ses effets en termes d'épidémies et de santé publique. Répétons-le : non, l'AME n'est pas une prestation trop coûteuse. Elle ne représente que 0,4 % des quelque 204 milliards d'euros de dépenses de soins. En moyenne, un bénéficiaire de l'AME ne consomme que 2 700 euros contre 3 200 euros pour un assuré social, soit 15 % de moins.

Tertio, non, l'AME n'offre pas un panier de soins trop important puisqu'il est plus réduit que celui des bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, et qu'un certain nombre de prestations ou de dispositifs en sont exclus, notamment l'accès aux programmes de prévention.

Malgré tout, l'AME est l'objet de tous les fantasmes et de toutes les tentatives de réduction. L'IGAS et l'IGF ont eu beau expliquer, au début des années 2010, que l'instauration d'un droit de timbre serait inefficace et dangereuse pour la santé publique, le Gouvernement l'a néanmoins introduit en 2011 avant de rétropédaler rapidement quelques mois plus tard, au vu du désastre : certes, la mesure s'était traduite par une baisse du nombre de bénéficiaires et un surcroît de rentrées fiscales mais aussi par l'explosion de la dépense dans les services d'urgences !

Quant à la réduction du panier de soins que certains appellent inlassablement de leurs voeux, rappelons que d'autres pays l'ont expérimentée, notamment l'Espagne, pour lutter contre un soi-disant tourisme sanitaire. Résultat : une explosion du taux de mortalité dans la population migrante, de plus de 15 % en trois ans.

Je conclurai en rappelant que les professionnels de santé et l'ensemble des acteurs de terrain – Médecins du monde, France Assos Santé, le Samu social, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux ou UNIOPSS, mais aussi le Défenseur des droits et l'Académie de médecine, sans parler d'instances telles que l'Organisation internationale pour les migrations – sont vent debout contre l'hérésie et la catastrophe que représentent les réductions d'accès à l'AME en France. Il est totalement irresponsable de mettre l'AME sur le même plan que les déserts médicaux et de dresser les Français contre les migrants, comme le font certains argumentaires : c'est d'humain, de santé publique et d'effets sur le système de soins qu'il s'agit. C'est pourquoi il importe de ne pas amputer l'aide médicale d'État.

C'est au tout dernier moment, madame la ministre, que vous avez déposé des amendements visant à restreindre l'accès à l'AME et à instaurer un délai de carence de trois mois pour les demandeurs d'asile voulant accéder à la protection universelle maladie – PUMA. Un tel mépris à l'égard des parlementaires est insupportable ! Vous ne nous laissez que quelques heures pour réagir sur un sujet aussi crucial ! Ces mesures ne feront que reporter l'accès aux soins de personnes fragiles, aggraver les pathologies et engorger les services d'urgences. Que s'est-il passé en un an, madame la ministre ? Où sont les belles paroles humanistes et rassurantes que vous prononciez l'an passé ? Comment comprendre votre amendement visant à réduire de 15 millions d'euros le budget de l'AME, à la lecture de vos tweets de l'an dernier sur le même sujet ? Où est passée la ministre dont j'applaudissais alors les belles prises de parole ? Il serait de bon augure qu'elle réapparaisse ce matin en séance !

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