Les récents événements qui se sont produits à Chanteloup-les-Vignes montrent la montée inexorable dans tout le pays des incivilités, de la ghettoïsation et de la fin de la mixité sociale. Ces problèmes de cohésion sociale sont le fruit de l'irrésistible mouvement de métropolisation et de son lot de problèmes : transport, logement, insécurité…
À l'inverse, les campagnes et les bourgs-centres perdent inexorablement de la consistance. C'est toute la France périphérique et rurale qui se trouve dépeuplée de ses âmes. Là aussi, le mouvement de métropolisation continue de produire ses effets : ghettoïsation des petits centres, désertification des services, chute du secteur immobilier, fin de l'économie… et de ce fait, d'un bout à l'autre de la France, absence de cohésion. Jusqu'où irons-nous pour endiguer ce mouvement ?
Nous n'y parviendrons certainement pas en prenant des mesures qui visent à s'en accommoder. Car construire toujours plus, toujours plus vite, toujours plus haut, libérer du foncier, c'est s'accommoder : ce n'est pas endiguer la logique de métropolisation.
La mission « Cohésion des territoires » devrait avoir pour objectif essentiel de trouver de nouveaux équilibres démographiques ; on en est encore loin. Certes, il existe des dispositifs pour améliorer l'attractivité des territoires détendus, comme les pactes de développement territorial, les contrats de ruralité, les territoires d'industrie. Mais ces outils sont-ils suffisants ? Je pense que non, car il manque le lien entre les politiques de logement et les politiques économiques : c'est l'emploi, en réalité, qui fixe les populations.
Parallèlement à la présente mission budgétaire, la priorité serait de réaliser des politiques d'incitation à la création d'emplois en zones détendues, en particulier en zones AFR – aides à finalité régionale – et ZRR. Ne devrions-nous donc pas changer de logiciel ? N'est-il pas temps de parvenir à un meilleur équilibre en provoquant un choc de l'offre en zone tendue – le besoin est bien là, et il faut y répondre – , en même temps qu'un choc de la demande en zone détendue par le soutien à l'implantation d'activités ?
Le phénomène d'aspiration des populations produite par le mouvement de métropolisation est si important qu'il entraîne des effets que la puissance publique ne maîtrise pas. La ghettoïsation bat son plein. Le rapport d'information du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis en témoigne. Alors que 400 000 personnes irrégulières sont non recensées en Seine-Saint-Denis, l'État peine à assurer ses missions de service public pour contrer la ghettoïsation des quartiers et rétablir la mixité sociale.
La politique de la ville semble de plus en plus emblématique de ce recul de l'État, malgré un dispositif exceptionnel dérogeant au droit commun. Je vous propose d'analyser techniquement cette politique. À première vue, il n'y a aucun commentaire particulier à faire sur la stabilité des crédits qui lui sont alloués ; pourtant, votre absence d'ambition entraîne la fin de la mixité sociale. Le NPNRU – nouveau programme national de renouvellement urbain – en donne un bon exemple, car les crédits prévus pour l'année 2020 sont très en deçà de ceux nécessaires aux collectivités ayant formulé des engagements opérationnels pour leurs projets.
J'en viens à la question de l'emploi dans le cadre de la politique de la ville. Lors de la précédente législature, nous avons mis en oeuvre les emplois francs. Même si ce seul dispositif ne résoudra pas tous les problèmes, il fait partie des outils à développer. Il est pourtant mal connu, et les talents des quartiers sont sous-estimés. Vous êtes d'ailleurs loin, monsieur le ministre, de tenir les objectifs de fin de semestre – je crois que vous avez créé 12 000 emplois francs alors que l'objectif était de 20 000. Pensez-vous que l'objectif final de 40 000 emplois francs est encore atteignable malgré l'évolution des critères d'éligibilité ? Déploierez-vous ce dispositif dans les territoires ruraux ?
Comme ces derniers, les banlieues connaissent un sous-équipement chronique, et les services publics sont empêchés d'y accomplir leurs missions.
Or l'article 1er de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014, dite loi Lamy, dispose que l'État garantit aux Français un égal accès aux droits et aux services quel que soit le territoire dans lequel ils vivent. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que l'État viole aujourd'hui cet article ?
Dans le domaine de l'accompagnement social, vous portez un coup sévère aux APL au prétexte d'une actualisation des revenus pris en compte dans son calcul. Il s'agit, en réalité, d'une nouvelle atteinte au pouvoir d'achat des ménages les plus modestes.
Le groupe Socialistes et apparentés a donc déposé plusieurs amendements visant à rétablir la justice sociale. Ils proposent de tenir compte de l'inflation effective dans le calcul des aides au logement, mais aussi de rétablir l'APL accession telle qu'elle existait avant la loi de finances pour 2018.
J'aimerais évoquer également un problème qui paraît si lointain à certains et touche d'autres de si près : la pollution au chlordécone, face à laquelle l'État semble totalement dépassé. À cet égard, nous attendons beaucoup des travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat, présidée par notre collègue Serge Letchimy. L'augmentation des crédits alloués au plan chlordécone, qui les porte à 3 millions d'euros, est loin d'être à la hauteur de l'ampleur du scandale sanitaire.
Monsieur le ministre, quand appliquerez-vous une politique à la hauteur des enjeux de cohésion et de solidarité des territoires ?
Où en êtes-vous, enfin, concernant l'Agence nationale de la cohésion des territoires ?