Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 15h50
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes :

Merci, madame la Présidente, merci à tous et toutes de votre intérêt pour ces débats européens qui prennent beaucoup de temps, d'énergie à tous les chefs d'État, de gouvernement et à leurs équipes une fois par trimestre.

Sur le principe, je ne vois aucun inconvénient à vous rencontrer avant les Conseils, sénateurs et députés ensembles. Effectivement, je fais cet exercice au Sénat. Il est tout à fait intéressant de pouvoir échanger en amont du Conseil sur les priorités que nous allons défendre, les discussions que nous allons avoir, en sachant que parfois, les débats évoluent de manière inattendue. Il faut être prêt à ce qu'avant et après le Conseil, certaines choses soient confirmées et d'autres modifiées.

Je suis heureuse d'être avec vous pour ce traditionnel rendez-vous d'après Conseil européen. Le Président de la République a eu l'occasion de faire une conférence de presse très détaillée sur les échanges qu'il a pu avoir. C'était surtout la première fois que Mme Ursula Von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission, a pu participer au Conseil européen et présenter son agenda. Vous le savez, c'est un agenda dans lequel nous nous reconnaissons largement, puisque les priorités qu'elle s'est fixées reprennent des propositions que nous avons mises sur la table depuis maintenant plusieurs mois, voire plusieurs années, depuis le discours la Sorbonne.

Sa priorité absolue est de lutter contre le changement climatique, en présentant un nouveau pacte vert dans les cent premiers jours de son mandat, afin de faire de l'Europe le premier continent neutre en carbone à l'horizon 2050 et ainsi mettre toutes les politiques en cohérence avec cet objectif, que ce soient les politiques industrielles, les politiques de mobilité, la politique agricole, les fonds structurels. À notre grande satisfaction, nous avons également noté que la Présidente a mentionné un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières. Je ne sais pas s'il faut appeler cela une taxe carbone, mais en tout cas, c'est un mécanisme nous permettant de nous assurer que, lorsque nous importons certains biens – comme l'acier, l'aluminium ou le ciment – produits dans des conditions plus émettrices de CO2 que ce que nous autorisons sur nos propres sols, nous puissions ajuster les tarifs douaniers à l'entrée de manière compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et notre marché des permis carbone Emissions trading schemes (ETS) .

Ursula von der Leyen a également rappelé la priorité donnée au numérique et à ses différents aspects : fiscaux, concurrentiels, juridiques. Elle a fait valoir qu'elle ferait des propositions sur la réforme du régime d'asile, pour reprendre également des thématiques qui ont été au coeur de vos débats, ici à l'Assemblée, il y a quelques semaines, dans le cadre du débat lié à l'immigration. Elle a souligné que la Commission agirait dans un cadre géopolitique, qu'elle affirmerait sa place, et qu'elle arrêterait sa propre ligne tant en termes de politique économique que de défense.

Le deuxième sujet était le cadre financier pluriannuel. C'était la première fois que les chefs d'État et de gouvernement avaient une discussion de substance sur ce sujet. Ce débat suivait la discussion précédente, puisqu'une fois que les priorités sont partagées, il est opportun de se demander de quels moyens nous disposons pour les mettre en oeuvre. Pour être très honnête, à ce stade, nous connaissons les positions de nos partenaires. Elles n'ont pas changé et sont tout de même très éloignées les unes des autres, que ce soit sur le volume global, les priorités à financer, ce que certains veulent opposer entre les supposées politiques traditionnelles et les nouvelles politiques.

Le Président de la République a rappelé la position française. Premièrement, nous voulons le maintien de l'enveloppe UE27 de la Politique agricole commune (PAC) et surtout, nous ne voulons pas opposer le premier et le second pilier, comme l'a initié de manière implicite, mais tout de même visible, la présidence finlandaise dans sa dernière proposition. Pourquoi ? S'il n'y a pas d'agriculteurs, je ne vois pas comment nous pouvons faire du développement rural. Si, par le premier pilier, nous n'arrivons pas à soutenir les investissements et les revenus des agriculteurs, nous aurons bien du mal à développer les territoires autour desquels ils sont censés être en activité.

Je rappelle, à toutes fins utiles, que la PAC représente 0,3 % de notre richesse européenne, que nous déployons sur 80 % de notre territoire. Je crois donc que nous avons encore à consentir des efforts importants. 80 % de l'espace géographique européen sont des champs ou des forêts que nous exploitons. Certains nous disent que consacrer 30 % ou 35 % du budget européen, c'est beaucoup trop : je leur rappelle que c'est 0,3 % de notre PIB européen, que nous déployons sur 80 % de notre espace géographique. Pour nous alimenter en produits sains respectant nos normes et soutenant la transition écologique et environnementale, ce n'est pas très cher payé. Nous voulons également des ressources propres, dans les deux sens du terme « propre » : parce qu'elles seraient liées à une dynamique européenne, et qu'elles seraient vertueuses pour l'environnement. Ce serait par exemple une contribution sur le plastique non recyclé. Bref, c'est montrer que l'environnement est notamment ce que nous finançons, mais ce sont également des ressources que nous pouvons lever.

Nous voulons verdir le budget dans son ensemble, afin d'arriver à 40 % de dépenses compatibles avec le climat, la biodiversité et l'environnement. Nous avons également vu le coût de la pollution. Le Président de la République l'a dit très clairement, nous avons fait comprendre que nous ne nous exprimerions pas sur le volume, tant que nos demandes politiques ne seront pas satisfaites sur la PAC, le verdissement du budget, les ressources propres, la fin des rabais et les conditionnalités. Je crois que vous connaissez mon intérêt pour les questions budgétaires. Un budget est un outil politique, qui implique que nous ayons préalablement une idée claire de ceque nous voulons financer : il est difficile de partir d' un chiffre comme 1 % ou 1,1 % du RNB en pensant que c'est un chiffre magique, à partir duquel nous pourrons tout organiser. La discussion se poursuivra lors du prochain Conseil européen. Vous avez pu remarquer que le nouveau Président du Conseil européen, Charles Michel, avait indiqué qu'il en faisait sa priorité. Il nous faudra un accord dans les premiers mois de 2020, afin que les acteurs puissent se préparer à partir de 2021 à mettre en oeuvre ce budget. Je ne vais pas ici vous faire de dessin.

S'agissant de l'élargissement, il a fait l'objet de longs échanges et a donné lieu à une abondante couverture de presse. Je suis heureuse de pouvoir vous dire un certain nombre de choses ici. D'abord, s'il n'y a pas eu de conclusions plus détaillées du Conseil européen, ce n'est pas faute de propositions. Plusieurs versions ont circulé, mais aucune n'a fait consensus. Il est donc difficile de parler d'un veto français. Il n'y a pas eu de vote et nous n'avons jamais été en position d'être seuls à considérer que ce qui était sur la table ne convenait pas. Certains membres du Conseil voulaient ouvrir les négociations d'adhésion pour les deux pays immédiatement. D'autres ne voulaient les ouvrir que pour la Macédoine du Nord. Le Président de la République a écarté un tel scénario, car il reviendrait à abandonner d'une certaine manière l'Albanie à elle-même, quand bien même la Macédoine et l'Albanie ont entamé des réformes depuis 2018. Le troisième point est que d'autres États demandaient des réformes supplémentaires ou avaient des inquiétudes qui se sont exprimées au sein du Conseil. La France a défendu une ligne tout à fait crédible, pour ce qui est de l'Union européenne dans son existence et son mode de fonctionnement.

D'abord, nous avons voulu marquer un attachement renforcé et très lisible à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux. Depuis 2000, puis le sommet de 2003 à Thessalonique, ce sont des engagements forts qui ont été pris et la perspective d'adhésion existe. Je ne crois pas qu'il soit responsable ou raisonnable de la nier. Nous avons ensuite fait un deuxième point. Il est essentiel que les réformes que nous avons demandées aux deux pays lors des conseils de juin 2018 et juin 2019 soient menées à terme, que ce soit pour le parquet spécial en Macédoine du Nord ou le système judiciaire en Albanie, qui a certes fait face à une réforme très importante, mais n'est pas fonctionnel aujourd'hui.

Le troisième point concerne une demande récurrente de la France : rénover le processus d'adhésion préalablement à l'ouverture des négociations avec ces pays. Aujourd'hui, ce processus est purement bureaucratique. Le point politique est uniquement à l'ouverture et à la fermeture des négociations, mais surtout, cela n'empêche pas les migrations massives des pays sous négociation. Les populations, les classes moyennes, les jeunes ne voient pas l'intérêt de ce processus de négociation en termes de développement économique, culturel, universitaire, social. Accueillir des pays vidés de leur capital humain et économique ne fait pas beaucoup de sens et est très paradoxal. Si c'est pour avoir une négociation, mais qu'il ne se passe rien pour les citoyens, il nous faut résoudre une forme de paradoxe. Nous avons donc fait des propositions qui ont reçu une large majorité de soutien, afin de créer un processus plus réversible, plus crédible et qui surtout, au fur et à mesure des étapes, apporte des bénéfices concrets et tangibles aux populations de ces pays.

Je pourrais également revenir sur les discussions de la réforme de l'Union européenne elle-même. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas dire que nos décisions soient rapides, efficaces et qu'à 27 ou 28, nous fonctionnions bien. Il nous semble que des négociations pourraient s'ouvrir, si ces étapes que j'ai décrites précédemment pouvaient s'ouvrir avant le printemps 2020, mais quand il s'agira de l'adhésion, d'ici là – c'est pour cela que la conférence sur l'Europe sera importance –, il faudra absolument que les règles internes de fonctionnement de l'Union européenne aient été révisées. Le Président de la République l'a affirmé, la réforme du secteur bancaire est un projet de 2008 qui verra son terme en 2028. Si nous nous conformons à un système qui met vingt ans à prendre des décisions essentielles, je ne suis pas sûre que ce soit ce que les citoyens attendent de nous.

Le Brexit n'a pas fait l'objet de très longs développements au Conseil européen. Les chefs d'État et de Gouvernement étaient dans l'optique de se dire qu'ils avaient réussi à retrouver un équilibre politique et technique visant à répondre aux principales demandes exposées par Boris Johnson, équilibre qui répondait à ce que les députés britanniques avaient identifié depuis quelques mois comme étant des points de blocage. Cet accord respectait les lignes rouges que l'Union européenne s'était elle-même fixée : la paix en Irlande, la protection du marché intérieur, l'équilibre de la relation future en matière de concurrence loyale et équilibrée. Manifestement, l'accord n'a pas été accepté samedi dernier.

Néanmoins, une étape importante a été franchie hier. C'est la première fois depuis plus de neuf mois qu'un vote positif a eu lieu sur ce sujet au Parlement, puisque les députés britanniques ont adopté à la majorité les objectifs de l'accord. En soi, c'est une étape importante. Cela signifie qu'il y a une majorité pour un deal. Nous le savons depuis longtemps, mais il était bien de le réaffirmer. Là où ils ne se sont pas mis d'accord, c'est sur la rapidité d'examen du texte. Boris Johnson souhaitait se donner toutes les chances d'obtenir une ratification avant le 31 octobre : ce ne sera pas le cas.

Qu'est-ce qui est important pour nous ? Comme en avril dernier, dans une situation proche, nous devons absolument clarifier les enjeux et les échéances pour les citoyens britanniques, mais également les citoyens européens et français. Nous savons que si nous n'avons pas de délai clair, d'échéance rapprochée, la situation peut à nouveau s'enliser. Je vous rappelle qu'en avril dernier, c'est parce que le Président de la République a été très ferme que nous avons réussi à poser la date du 31 octobre. Nous avons pu faire des progrès dans les derniers jours précédant cette échéance. La question est maintenant d'obtenir une réponse claire du Parlement britannique. Veut-il ou non de cet accord ?

Une sortie sans accord, un no deal, c'est un vide juridique qui peut être pénalisant à tous points de vue. Nous devons donc, de toutes nos forces, limiter ce qui crée de l'incertitude, mine des millions de familles et d'entreprises. Si la récession industrielle sévit dans certains pays européens, c'est à cause de l'incertitude liée au Brexit. Il faut que nous en soyons conscients.

Hier était donc une étape importante, avec ce vote en faveur des objectifs de l'accord. Mais une nouvelle impasse se profile. Boris Johnson a pris la décision de suspendre l'examen du texte en cours, en attendant la décision européenne sur une nouvelle extension. Je vous le redis : il faut sortir de l'incertitude. Notre position est claire : s'il y a une extension, il faut qu'il y ait une justification. Si du temps est accordé, il faut que nous expliquions pourquoi. Si un début de ratification s'engage, il n'y a pas de problème à donner quelques jours de plus, afin que la ratification puisse se poursuivre. Si rien ne se passe, une clarification démocratique doit s'imposer. Le temps seul ne résout pas les problèmes, nous le voyons depuis des mois. Faut-il des élections, un référendum, un calendrier politique ?

Il nous faut maintenant trouver une voie de sortie. Nous avons une deuxième version de l'accord et nous devons la mettre en oeuvre sans délai, afin de faire cesser cette incertitude qui pénalise des millions d'entreprises et de citoyens.

Après mon audition devant la commission des affaires étrangères, nous avons eu des échanges sur la situation dans le nord-est de la Syrie, les forages turcs en Méditerranée, condamné les actions militaires unilatérales de la Turquie en Syrie, pris note de l'annonce par les États-Unis et la Turquie d'une pause dans les opérations militaires, et demandé que l'on mette une fin définitive aux opérations en cours. Conformément aux propositions du Conseil des affaires étrangères du 14 octobre, tous les pays membres ont confirmé qu'ils suspendaient les licences d'exportation d'armement vers la Turquie. Quant aux forages turcs en Méditerranée, le Conseil européen a endossé les conclusions du Conseil qui prévoyait l'adoption de mesures restrictives ciblées à l'encontre des responsables de ces forages illégaux, en réaffirmant la solidarité de l'Union européenne vis-à-vis de Chypre. C'est un point important.

Je conclurai en disant que la nouvelle Commission entrera en fonction dès le 1er décembre et qu'un échange a eu lieu entre les chefs d'État et de Gouvernement pour retrouver la confiance et donc la capacité à agir entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen. Nous le voyons bien, un agenda stratégique, des priorités, un engagement des États ne peuvent pas naître si aucune coalition stable ne se fait jour au Parlement européen, permettant à la Commission d'avancer.

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