Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 15h50
Commission des affaires européennes

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes :

Si vous le permettez, par amitié familiale, je vais commencer par la dernière question de M. Leclabart. Vous le savez, sur la plaine picarde, nous avons une solidarité immuable. Je suis totalement d'accord avec vous, monsieur le député, sur le fait qu'opposer des cultures n'est ni productif ni sain, puisque toutes les agricultures ont besoin les unes des autres. L'élevage a besoin de la production céréalière. Quand on fait un plan protéines, on parle de toutes les agricultures. Ce que vous dites sur l'agriculture de conservation et les pratiques agricoles qui peuvent permettre de réduire le bilan carbone et de faire de l'agriculture un puits de carbone, un lieu de stockage de CO2, ce sont des choses sur lesquelles la PAC cherche à intervenir aujourd'hui. Il faut que nous arrivions à montrer des exemples à beaucoup de personnes qui, au-delà de nos discussions, ne voient pas du tout de quoi nous parlons et ne voient pas comment, par une agriculture de grande culture, nous pouvons renforcer notre transition écologique et climatique.

Il est également intéressant de parler de méthanisation. C'est un autre élément permettant de boucler une agriculture circulaire. Grâce au cycle de production, les intrants des uns sont les déchets des autres. Nous arrivons donc à boucler. Je crois que les chambres d'agriculture et même des experts mènent des expériences très intéressantes dans beaucoup de nos territoires. Ce sont des choses très positives, sur lesquelles il faut renforcer nos investissements et notre pédagogie. Beaucoup de choses se font déjà, dont personne ne connaît l'existence et c'est très dommage, parce que ce sont de bonnes pratiques à soutenir. Quand je dis que la PAC doit devenir un outil d'investissement, c'est typiquement pour ce genre de choses.

Monsieur le député, je vous remercie pour vos alertes et je ferai le lien avec les propos de Liliana Tanguy sur la pêche. Bien sûr, le Brexit crée une inquiétude légitime. Cela crée de l'incertitude et, pour moi, c'est le pire poison du Brexit. Nous sommes mobilisés à fixer des échéances courtes sur l'accord en cours de ratification, et il faut que nous laissions ce processus se poursuivre. Si un accord est appliqué, nous ouvrirons une période de transition, pendant laquelle les pêcheurs pourront continuer leur activité dans les mêmes cadres qu'aujourd'hui. Ensuite, s'ouvrira une nouvelle période, avec un accord de relations futures. Il est essentiel pour nous que l'accès aux eaux britanniques soit maintenu. Je vous rappelle que 70 % à 80 % de la pêche dans les eaux britanniques sont transformés en France, à Boulogne-sur-Mer. La pêche dans les eaux britanniques est massivement exportée vers l'Europe et le marché intérieur.

Dans cette affaire, nous avons non pas de la rétorsion, mais nous avons des leviers de négociation. Néanmoins, nous savons que si nous isolons la pêche de tout reste, l'Union européenne ne sera pas dans une bonne posture. C'est pour cela que nous voulons agir à 27 et en faire l'un des piliers de l'accord des relations futures, qu'il nous faudrait négocier en tant que tel. Si nous mettons la pêche à côté, cela ne fonctionnera pas.

Vous savez que nous avons tout de même pris des mesures de court terme, notamment pour le soutien, par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), par des mesures de contingence, de stabilisation, notamment sur le droit du travail, afin de négocier avec la Commission. Un conseil a été dédié à ces sujets en septembre, avec la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique, l'Irlande, l'Espagne et l'Allemagne, tous les pays les plus concernés. Il faudra également que nous veillions aux questions de report de pêche. La problématique est bien identifiée. Aujourd'hui, il est difficile pour moi d'avoir un message clair, puisque le scénario et les dates d'entrée en vigueur d'un nouveau régime éventuel ne sont pas connus. Il est extrêmement important que nous puissions rassurer les pêcheurs sur le fait que nous négocierons d'une seule voix. Ce n'est pas un sujet que nous allons isoler. La mobilisation est totale, parce que nous connaissons le fait que c'est le secteur qui est le plus directement impacté dans ses activités quotidiennes.

Sur la présence du méga chalutier, je sais que Didier Guillaume a lui-même été saisi de cette question, il y a quelques semaines. Ses services d'inspection vétérinaire et de pêche cherchent à comprendre si toutes les normes européennes sont respectées, avec des pratiques très éloignées de celles que nous avons dans nos ports.

Monsieur Dumont, le Président de la République a été très clair sur le projet d'une haute autorité de la transparence de la vie politique européenne. Il s'agit de pouvoir juger de la probité des responsables politiques de manière indépendante, comme nous connaissons cela en France. Dans cette pièce, nous avons tous rempli des formulaires destinés à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique (HATVP) et répondu à leurs questions. Avec des personnes qui ont justement cette indépendance, nous mesurons l'intérêt qu'il y a à donner la situation patrimoniale, à la fois au début et à la fin de l'exercice d'une fonction publique.

Je l'ai dit récemment, le Parlement européen n'est pas un tribunal. Il faut que nous arrivions à remettre du droit là où il y a du droit et des jugements où il faut du jugement. Il ne faut pas substituer au rôle des juges celui des parlementaires. À la fois institutionnellement et politiquement, il y a là un grand risque. Je vous rassure, nous n'allons pas créer cette nouvelle autorité en deux semaines. Ce serait d'ailleurs très dangereux de le faire. Nous pourrions tous douter de la viabilité et de la solidité d'une telle organisation. Je pourrais citer beaucoup d'exemples qui viennent de pays ayant montré dans le passé que nous avons des progrès à faire sur la confiance que nous avons à générer auprès des citoyens. Il est essentiel que nous puissions avancer, que la politique fasse de la politique, que les juges rendent des jugements et que les personnes indépendantes rendent des avis indépendants sur les situations que vous décrivez.

Je crois également qu'il faut que cette autorité s'articule avec l'agence de protection des démocraties, que nous voulons mettre en place. Il s'agit d'une institution qui protégerait notamment l'information politique des manipulations, des fake news, des ingérences extérieures, notamment lors des périodes électorales. Dans beaucoup de pays, les périodes électorales sont le moment où notre souveraineté d'Européens et notre souveraineté démocratique sont mises à mal.

Monsieur le député Michels, oui, il faut rendre la transition écologique désirable. Il faut surtout la rendre possible. Pour moi, le plus grand défi n'est pas forcément que l'Europe soit le fer de lance de l'écologie au quotidien. Elle doit surtout être le fer de lance de l'investissement, de la mobilité durable, de l'agriculture. Elle doit aider les collectivités locales à rénover leurs bâtiments. Nous parlons d'un mur de financements, mais nous avons un énorme montant d'investissement à consentir. L'Europe doit nous permettre d'innover et de faire des économies par la mutualisation des moyens. C'est pour cela que nous voulons une banque européenne du climat. C'est surtout par la norme, notamment de l'investissement privé, que nous pourrons mobiliser plus d'argent. Nous ne pourrons pas tout financer, mais vous voyez que nous travaillons sur la taxonomie et la finance durable, afin que les masses d'épargnes privées soient allouées au service de la transition. Je trouve que c'est la bonne échelle pour travailler sur ces sujets. Ensuite, vous dites que la mobilisation citoyenne est essentielle. C'est le cas. Je ne suis pas sûre que ce soit à l'Europe de le faire, que c'est davantage sur le terrain. Nous parlons de politique de cohésion et je suis certaine que nous pouvons financer des activités et des développements, mais menés par le terrain et ne partant pas de Bruxelles. Sinon, ce sera toujours un peu décalé par rapport à l'attente des citoyens.

Monsieur Herbillon, sur l'élargissement, je vous rejoins. C'est un sujet devenu à la fois épidermique, caricatural et totalement illisible, pour des raisons très différentes. C'est pour cela que nous avons eu un message fort. Je vais essayer de clarifier les positions des uns et des autres, mais depuis 2006, la France pense que les processus de négociation sont illisibles pour les citoyens européens et les citoyens des pays candidats. C'est pour cela qu'en 2011, nous avons fait une première réforme. Elle n'est pas totalement satisfaisante, vu ce qui se passe en Serbie et au Monténégro. De manière informelle, j'ai proposé le mécanisme d'accès graduel à des politiques européennes, avant de pouvoir accéder à la table du Conseil. Conceptuellement, ces idées intéressent, y compris dans les pays candidats. Les gouvernements voient bien que si nous arrivons à avoir un mécanisme qui apporte plus rapidement des effets concrets des politiques européennes dans leur pays, c'est une situation bénéfique à tous.

Quand j'ai pris la parole sur ce point, personne n'a pris le micro pour faire part de son opposition à une révision du processus. Je ne vais pas dire qu'il y a eu l'unanimité, mais une petite dizaine de pays a fortement appuyé cette proposition. Ensuite, un travail précis est à mener, dont celui sur la réversibilité. Vous avez accès à une politique, si vous continuez vos réformes ; si vous vous arrêtez, vous perdez l'accès à cette politique. Vous imaginez bien qu'il faille définir les modes de décision. Tout un travail plus fin est à faire, mais conceptuellement, cet axe est bien compris.

Sur les décisions prises au Conseil européen sur la Macédoine et l'Albanie, globalement, une dizaine de pays était prête à ouvrir les négociations d'adhésion pour un seul des pays. Trois ou quatre étaient opposés à ce que nous ouvrions pour l'Albanie. Avec le Danemark et les Pays-Bas, la France était sur des positions très similaires. Quand il s'est agi de réfléchir à un texte commun dans les couloirs du Conseil européen, sept ou huit chefs d'État et de Gouvernement ont essayé de réfléchir ensemble, afin de trouver une position de consensus. De ce que j'ai vu de mon travail pendant cette semaine au Conseil européen, je n'ai pas du tout vécu ce qui se lit aujourd'hui dans les journaux. Il reste que nous sommes bien l'aiguillon moteur de la réforme du processus d'élargissement, et nous avons des alliés.

Il faut que les familles politiques arrivent, justement parce qu'elles sont présentes dans tous les pays, à construire cette pédagogie dont vous parlez. Les alliés du Parti populaire européen (PPE) veulent également pouvoir expliquer à leur famille politique ce qu'est l'élargissement pour eux. Dans toutes les familles politiques, je constate que nous avons beau appartenir au même groupe, avoir des positions communes à Strasbourg ou Bruxelles, chacun revient dans son pays avec des positions totalement différentes.

De manière bienveillante, je voudrais vous dire là que oui, les gouvernements, la Commission et les institutions européennes vont travailler à rendre tout cela beaucoup plus lisible et crédible, mais je vous dis également qu'un travail supplémentaire sera à faire dans l'écosystème politique. Je vois parfois de grands écarts entre ce que les membres d'une famille politique vont dire dans leur pays et ce qui sera défendu par la même famille politique au Parlement européen. Cela contribue au sentiment de défiance et de confusion sur ce sujet.

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