Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du vendredi 8 novembre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Sport jeunesse et vie associative

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Dans un excellent film, Le Président, Michel Audiard faisait prononcer à Jean Gabin une formule très appropriée aux discussions budgétaires : « le langage des chiffres a ceci de commun avec le langage des fleurs qu'on lui fait dire ce qu'on veut ».

Ainsi, en survolant la mission qui nous occupe aujourd'hui, on pourrait se féliciter de ce qui a l'apparence d'une augmentation budgétaire significative, surtout en ces temps d'austérité comptable : les crédits progressent de 24 %, et cela, pour des programmes qui sont essentiels à la vie de la cité, les associations, la jeunesse et le sport.

Cependant, le diable se cache souvent dans les détails. Si nous pouvons nous féliciter de telle ou telle augmentation de crédits, c'est la vision même que vous avez de ces trois programmes que nous contestons. Je peux la résumer ainsi : vous faites de la vie associative et de l'engagement des jeunes un palliatif dérisoire au désengagement de l'État ; chez vous, sport rime trop souvent avec gros sponsors.

En ce qui concerne le sport, il est en effet à noter que l'augmentation spectaculaire du budget concerne essentiellement le programme 350 « Jeux olympiques et paralympiques 2024 ». En augmentation de 64 millions, ses crédits ont en effet quasiment doublé.

Bien sûr, nous savons que les Françaises et les Français ressentent une légitime fierté à organiser les Jeux olympiques de 2024. On a pu arguer que ces jeux témoignent du goût pour une saine compétition et pour la haute performance, du rayonnement international de notre pays ; qu'ils permettront la construction de nouvelles infrastructures sportives, ou leur modernisation. Nous souscrivons à tous ces arguments.

J'y suis d'autant plus attentive que mon département, la Seine-Saint-Denis, souffre d'un déficit chronique d'infrastructures sportives : avec une moyenne de 16 équipements pour 10 000 habitants, contre 49 au niveau national, il est en effet l'un des moins bien lotis de la France métropolitaine. À titre d'exemple, près d'un enfant du 93 sur deux ne sait pas nager.

Et pourtant, qu'importe que demain une grande nageuse suscite admiration et vocation chez les plus jeunes lors des Jeux, si, parce qu'il manque des piscines, ils ne peuvent concrétiser cette envie nouvelle ?

De plus, l'héritage des Jeux ne saurait être réduit au bâti ; la démocratisation de la pratique sportive

De plus, l'héritage des Jeux ne saurait être réduit au bâti ; la démocratisation de la pratique sportive à moyen et à long terme est sans doute l'un des plus beaux héritages que pourraient nous laisser les JO. Pour cela, il faut aussi faire vivre la kyrielle d'associations et de bénévoles qui permettent au quotidien la pratique sportive dans notre pays, alors qu'ils ont été affectés par la suppression des contrats aidés et l'anémie budgétaire des collectivités.

Les modalités concrètes d'organisation des Jeux sont aussi pour moi une source d'inquiétude : ainsi, la construction envisagée d'une piscine olympique entre Bondy et Noisy-le-Sec, dans ma circonscription, reposerait sur un partenariat public-privé avec Auchan ; et elle serait flanquée de magasins, de parkings, d'hôtels.

De plus, l'Agence nationale du sport, qui aurait pu être un formidable levier, voit ses ambitions rabotées. Son budget à peine établi, on le diminue déjà, en se déchargeant sur les fédérations sportives, au prétexte d'accorder à ces dernières une autonomie accrue.

En bref, en matière de sport, vous ne vous préoccupez que de « haute performance » et de « gouvernance », au détriment du sport populaire, qui est un vecteur d'éducation populaire.

L'expression même d'éducation populaire semble d'ailleurs s'effacer de la documentation ministérielle. Le budget alloué à l'action « Aides en faveur de la jeunesse et de l'éducation populaire » ne dépasse pas 71 millions d'euros. Cette somme est véritablement dérisoire au regard des besoins d'une telle mission d'intérêt général.

Dois-je vous rappeler que près de 3 millions d'enfants ne partent pas en vacances, quand celles-ci permettent d'éveiller un goût et une curiosité nouvelle chez les plus jeunes, et contribuent à l'apprentissage du vivre ensemble ?

Dans un rapport parlementaire de 2013, le député socialiste Michel Ménard estimait qu'une somme de 600 millions d'euros suffirait à faire du droit aux vacances non plus seulement un voeu pieux mais une réalité.

Si le budget du programme « Jeunesse et vie associative » augmente de près de 51 millions, je suis plus que dubitative sur l'attribution de cette manne. La multiplication des services civiques, loin de permettre un renforcement du lien social, est bien plutôt le symptôme des défaillances de l'État et des grandes difficultés que traverse le secteur associatif. À Pôle emploi, dans les hôpitaux, dans les structures d'accueil pour personnes âgées et bientôt dans les écoles, on aperçoit cette main d'oeuvre facilement corvéable, peu formée, et surtout peu coûteuse, pallier les carences de l'État ou des services publics. Est-ce là votre ambition pour notre jeunesse ?

Plutôt que de renouer avec l'esprit de Léo Lagrange, doit-on se contenter du SNU ? Pour ces différentes raisons, le groupe La France insoumise ne pourra voter en faveur des crédits de cette mission.

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