Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du mardi 5 novembre 2019 à 21h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires chargé des collectivités territoriales :

Monsieur Chassaigne, je vous remercie pour cette prise de parole sincère et poétique !

Je prendrai le temps de donner l'avis détaillé du Gouvernement sur les amendements. Eh oui, monsieur Gosselin, le Normand n'est pas toujours taiseux, il est parfois bavard... Le président Bas l'a été : nous allons tenter de marcher dans ses pas pour corriger ce qui a été introduit nuitamment au Sénat !

Concernant l'eau et l'assainissement, monsieur Brindeau, j'ai commencé à répondre à vos questions devant votre groupe ce matin, mais d'autres députés sont également intervenus sur ce sujet, qui passionne les foules pour des raisons compréhensibles. Les difficultés locales sont certes liées à la raideur de la loi NOTRe, mais ce n'est pas une compétence comme les autres : l'enjeu écologique est important. Ainsi, entre un litre sur deux et un litre sur quatre d'eau potable est perdu pour cause de fuites. Je ne montre personne du doigt. Il s'agit des conclusions des Assises de l'eau, monsieur Gosselin, auxquelles votre collègue M. Saddier a participé. Vous pouvez l'interroger, il est légitime sur ces questions et s'est beaucoup investi. Interrogez également vos collègues des départements dont les ressources en eau sont mises à rude épreuve chaque été – les professionnels du monde agricole sont confrontés à des difficultés importantes d'irrigation. Je ne veux pas jouer les Cassandre, mais l'accès à l'eau potable va poser des difficultés importantes dans les années à venir.

La compétence doit donc être examinée en fonction de la qualité du service public rendu à nos concitoyens. Je le répète, je ne cherche à montrer personne du doigt mais force est de constater que, depuis trente ans, pour de bonnes raisons d'ailleurs, nous avons concentré les investissements sur les eaux grises et noires, grâce au système de subventions des agences de l'eau et aux primes épuratoires. Lorsqu'ils accompagnaient les projets, les départements et les régions ont aussi mis beaucoup d'argent dans les stations d'épuration ou les réseaux d'assainissement individuels ou collectifs.

Désormais, il faut massivement investir dans l'eau potable – le président de l'AMF François Baroin partage ce constat. Or les nappes phréatiques ne s'arrêtent pas aux limites communales ou intercommunales. Il faut donc organiser la solidarité entre les communes qui ont la chance d'avoir de l'eau et celles qui n'auront peut-être pas cette chance demain. Le sujet est très préoccupant. Lorsqu'avec Jacqueline Gourault, nous nous rendons aux congrès des maires, les élus sont partagés : ceux qui ont une source de production d'eau sur leur commune considèrent que le transfert obligatoire de la compétence de l'eau et de l'assainissement à l'intercommunalité est une contrainte, alors que ceux qui ne bénéficient pas de ressources en eau l'attendent.

Certains ont sans doute voulu politiser le sujet, mais soyons pragmatiques. Pour répondre à votre question, faut-il abîmer ce qui fonctionne bien – une régie qui fait le boulot depuis un siècle ou un syndicat d'eau, regroupant trois ou quatre communes, qui fonctionne bien depuis cinquante ans ? Je ne le pense pas. C'est pourquoi le projet de loi contient une novation juridique importante : la délégation. Une strate territoriale – l'intercommunalité – sera « propriétaire » de la compétence. C'est la maille raisonnable, nous semble-t-il.

Mais, dans certains départements, il n'est pas exclu que la compétence remonte par délégation à l'échelon départemental, en raison de l'importance des investissements. Vous verrez que certains parlementaires le réclameront. À l'inverse, notamment en montagne, la différenciation infracommunautaire peut être intéressante. C'est d'ailleurs ce qui a largement inspiré notre dispositif. Ainsi, la régie d'eau d'une commune située dans un col peut parfaitement fonctionner en autonomie. Dans la même intercommunalité, trois ou quatre communes de la vallée peuvent avoir besoin du syndicat qui fonctionne bien, alors que les autres communes ont besoin de la solidarité intercommunale. Même si la compétence est exercée au niveau de l'EPCI, le dispositif de délégation permet de déléguer tout ce que l'EPCI souhaite déléguer, par le biais d'une convention.

L'EPCI n'abandonnera ni ne transfèrera sa compétence, aucune compensation ne sera attribuée et la commission locale d'évaluation des charges transférées (CLECT) ne sera pas concernée. De manière pragmatique, l'EPCI pourra décider de conventionner. La convention comportera les éléments que l'on souhaitera y trouver : prix de l'eau – ou pas –, montant des investissements à prévoir, qualité du service, etc. Le président de l'EPCI et le conseil communautaire restent aux commandes, mais ce nouveau dispositif juridique permettra de s'adapter à l'ensemble des situations sur le territoire.

Au Sénat, avec la ministre, nous avons levé le gage concernant les indemnités des syndicats. Ce n'est pas anecdotique car certains syndicats qui fonctionnaient avaient d'importantes responsabilités. Il fallait donc pouvoir rétablir ces indemnités. Nous y reviendrons à l'occasion de l'examen des amendements.

Je l'ai dit très clairement au Sénat : certains veulent en faire un totem politique, mais je suis persuadé que nous aurons rendez-vous avec nos concitoyens dans dix ou quinze ans concernant l'accès à l'eau. Nous devons donc trouver une solution qui concilie libertés locales et exigence écologique, pour répondre à l'interpellation de Mme Taurine. L'eau et l'assainissement sont intrinsèquement liés à notre politique publique de l'eau, qui est l'un des plus grands défis de la transition écologique.

Monsieur Houbron, rassurez-vous, les services de police pourront être mutualisés mais on continuera de distinguer autorité de police et autorité de recrutement. La police municipale agit pour le compte du maire, officier de police judiciaire. Si un EPCI embauche des policiers, de statut municipal, ceux-ci ne pourront agir que pour la police intercommunale. Si un EPCI « emprunte » des policiers municipaux, par le biais d'une convention de mise à disposition, l'autorité d'emploi demeurera l'autorité périmétrique du pouvoir de police concerné – celui du maire ou celui de l'intercommunalité. On dissocie donc l'autorité d'emploi de l'autorité de police.

Mme Jacquier Laforge a consacré son intervention à la parité, question sur laquelle Mme la présidente de la commission souhaite avancer. Depuis les mesures prises sous le gouvernement de Lionel Jospin, les majorités successives ont chacune ajouté de nouvelles dispositions. Je dois reconnaître que la loi NOTRe, sur ce point, a marqué un progrès avec le système des binômes dans les cantons. Jusqu'où peut se faire la parité ? C'est la question qui se pose avec les communes de moins de 1 000 habitants.

Je m'accorde un détour par les intercommunalités. Le Sénat a imaginé un scrutin de listes pour l'élection des vice-présidents. Pendant plus d'une heure et demie, j'ai combattu cette disposition ; j'ai réussi à convaincre les sénateurs présents, mais le président Philippe Bas ayant sollicité un scrutin public, la mesure a été adoptée grâce aux suffrages des sénateurs Les Républicains absents. C'est pour le moins curieux puisqu'elle n'est pas bonne pour la ruralité.

Je m'explique : vous savez que le président de l'intercommunalité, une fois élu, fait appel aux candidatures pour les postes de vice-président. Chaque conseiller communautaire peut être candidat et tout maire peut tenter sa chance, de la manière la plus démocratique qui soit, en levant la main. L'élection, vice-président par vice-président, peut prendre plusieurs heures, un maire peut l'emporter sur un autre, ou sur l'adjoint au maire de la commune principale. Comme disent les Normands, « Au plus fort, la pouque » ! C'est un grand principe de démocratie locale qui permet, mine de rien, que chaque commune ait la représentation la plus spontanée.

Le scrutin de liste modifie considérablement l'exercice, puisqu'il instaure un filtre. Pour être vice-président, le conseiller communautaire doit aller voir le président et lui demander à figurer sur sa liste ; à défaut, il peut présenter une liste alternative. Vous parlez d'un assouplissement, d'une façon de faire régner le calme et le consensus ! Cela conduit aussi, et de façon mécanique, à une surreprésentation des élus des communes les plus importantes. Alors que nous allons prendre mille mesures, comme le pacte de gouvernance, pour créer des équilibres, permettre aux maires des communes rurales de s'exprimer et, pourquoi pas, aux oppositions municipales d'accéder aux conseils communautaires, ce scrutin de liste serait très dangereux. En en modifiant la substance et le fonctionnement, il transformerait peu à peu les intercommunalités en collectivités territoriales. Je vous proposerai de supprimer cette disposition qui va à l'opposé de ce que nous nous efforçons de faire dans ce projet de loi.

Pour revenir à la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants, la commission des Lois, puis l'Assemblée, puis les parlementaires réunis en CMP devront, dans leur sagesse, trancher un certain nombre de questions. Il ne fait aucun doute que nous voulons tous avancer, politiquement, vers la parité ; le Président de la République s'est exprimé à maintes reprises sur ce sujet qui fait consensus. Mais l'objectif de pluralisme est lui aussi constitutionnel et tout aussi contraignant, voire davantage. Or dans les communes les plus petites, le scrutin à la proportionnelle peut conduire à ce qu'il n'y ait qu'une liste. Lors de l'examen des articles, nous devrons nous interroger : à partir de quel seuil le pluralisme n'est-il plus assuré ? Mme la présidente de la commission répondra que l'on peut prendre un risque ; il faut alors le mesurer, et l'assumer. Si nous nous contentons de manier les concepts à Paris, les élus locaux se demanderont ce que nous avons bien voulu faire. Si nous choisissons d'avancer, faisons-le en connaissance de cause, sur le terrain du droit.

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