Tout d'abord, il s'agit de mettre au premier plan la lutte contre l'optimisation fiscale agressive. Dans le rapport de force qui oppose aujourd'hui les États aux multinationales et expose la puissance publique aux abus de pouvoir de la puissance privée, cette lutte me semble relever d'un enjeu de souveraineté. Pas moins de 40 % des bénéfices mondiaux sont consolidés dans des paradis fiscaux. C'est donc une base taxable de 600 milliards de dollars qui échappe chaque année aux États. Par ailleurs, 20 % de l'impôt sur les sociétés échappent aux pays européens, en particulier à la France.
L'amendement propose donc deux dispositifs : le premier, que j'avais déjà présenté l'an dernier, a été coconstruit avec Gabriel Zucman, dont la presse a récemment dressé de nombreux portraits élogieux – il est notamment l'un des inspirateurs de la campagne d'Elizabeth Warren. Ce dispositif tend à faire évoluer la définition de la base fiscale imposable en France, afin d'appliquer un principe simple : taxons en France le chiffre d'affaires qui y est réalisé.
En l'espèce, chaque société domiciliée à l'étranger et vendant des biens et services en France pour un montant supérieur à 100 millions d'euros deviendrait imposable en France au titre de l'impôt sur les sociétés, qu'elle y possède ou non un établissement stable. Les bénéfices imposables seraient calculés en multipliant les bénéfices mondiaux consolidés du groupe par la fraction des ventes réalisées en France. Par exemple, si le bénéfice mondial consolidé était de 10 milliards et le chiffre d'affaires réalisé à hauteur de 10 % en France, le bénéfice taxable se monterait à 1 milliard d'euros.
En outre, l'amendement prévoit une renégociation des conventions internationales et, pour préserver la base industrielle française, exclut de la répartition du chiffre d'affaires la masse salariale et capitale.
Pour lutter contre l'optimisation fiscale et promouvoir ces pistes dans les débats qui ont lieu au sein du G20, du G7 et de l'OCDE, il est important que la France donne l'exemple en faisant la police des multinationales. Le deuxième dispositif proposé dans l'amendement consiste en une forme de redressement, en France, du déficit fiscal consolidé des multinationales du fait de leur sous-imposition à l'étranger. Je vous donne un exemple très concret : si PSA vendait pour 1 milliard d'euros de véhicules en Irlande, taxés à 5 %, et pour 1 milliard à Jersey, taxés à 0 %, on pourrait rattraper ce déficit fiscal à un taux pivot de 25 % ; le bénéfice irlandais de PSA serait alors taxé à 20 % et celui réalisé à Jersey, à 25 %.
Songez que si les États-Unis avaient appliqué cette mesure pour l'année 2016, toutes choses égales par ailleurs, ils auraient récupéré 100 milliards de dollars ! Je n'entre pas dans le détail, mais je tiens à dire que pour éviter le risque de délocalisation du siège – même si on sait depuis les réformes Obama que l'on peut lutter efficacement contre le changement de nationalité et l'inversion fiscale – nous proposons que la disposition n'entre en vigueur qu'à partir du moment où quatre pays du G7, dont la France, l'auront adoptée.
Si la France était à l'avant-garde de cette mesure de lutte contre l'optimisation fiscale, comme elle l'a été avec la taxe GAFA, cela créerait un effet d'entraînement considérable dans les négociations.