Concernant la course aux armements en Asie, ses conséquences et la façon dont nous structurons notre réponse à cette situation, je ferai part de trois éléments.
Nous avons une présence militaire significative et permanente dans cette région et faisons donc face directement au durcissement de l'environnement militaire. Nous disposons de cinq commandements militaires répartis en trois forces de souveraineté : nos forces françaises pré-positionnées à Djibouti et aux Émirats arabes unis, ainsi que les forces armées de la zone sud de l'océan Indien et les forces de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Ces différents dispositifs conduisent à déployer en permanence 7 000 personnels. Nous avons également dans cette région 18 attachés de défense accrédités dans 33 pays.
Cette présence militaire permanente nous permet de capter de l'information, de décrypter les comportements de nos partenaires et de l'ensemble des compétiteurs et d'anticiper la manière dont les coopérations et partenariats peuvent être mobilisés pour défendre un ordre international fondé sur le droit, le multilatéralisme et le libre accès aux espaces communs.
Une grande partie des enjeux de non-prolifération, importants lorsque l'on considère l'augmentation des budgets de défense dans la région, sont traités à travers des initiatives que nous soutenons et auxquelles nous contribuons. Nous pouvons citer notamment le dialogue conduit dans le cadre du processus P5 des cinq États dotés, qui permet d'avoir des échanges sur les doctrines nucléaires et les enjeux de stabilité stratégique. De nombreux échanges se font également en matière de contrôle des armements. L'arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage, le Groupe Australie, le Régime de contrôle de la technologie des missiles (Missile Technology Export Control Regime – MTCR) et le Groupe des fournisseurs nucléaires (GFN) fournissent ainsi des plateformes d'échange sur les questions de prolifération.
Mais c'est finalement à travers l'architecture de sécurité collective à bâtir que nous devons mener nos efforts. De ce point de vue, la France s'intéresse de plus en plus à un rapprochement avec l'Association of South East Asian Nations (ASEAN), dont la centralité est constamment réaffirmée par les pays d'Asie du Sud-est, y compris pour traiter des questions de liberté de navigation. Un code de conduite y est à ce titre à l'étude.
Ce rapprochement nous donne un pied d'entrée pour tenter de favoriser la stabilité par le droit, à un moment où la course aux armements s'accroît.
J'ajoute qu'il s'agit d'une région où certains enjeux de prolifération comme la crise du nucléaire créée par la Corée du Nord nous concernent directement et menacent nos intérêts, compte tenu de la capacité de Pyongyang à nous atteindre par le biais des missiles qui ont été développés.
Monsieur le vice-président Pueyo, vous m'avez interrogée sur la situation en Syrie et sur les annonces récentes de la Turquie d'incursion dans le nord-est de la Syrie pour traiter de la question kurde.
La position de la France a été constante, avec d'abord le soutien à un processus politique en Syrie susceptible de fonctionner. La mise en place du Comité constitutionnel a représenté une étape importante. La France s'est aussi impliquée dans le rapprochement d'un certain nombre de formats – processus d'Astana, processus de Genève – afin de réunir l'ensemble des acteurs pour trouver une issue politique à la situation. Enfin, nous échangeons avec tous les pays concernés, y compris la Russie. Nous avons ainsi traité de la Syrie dans le contexte du CCQS, pour voir comment un rôle plus constructif de la Russie pourrait être recherché dans ce pays.
Il demeure que la Turquie, qui avait déjà annoncé en décembre 2018 son intention d'intervenir dans le Nord-est syrien, s'était engagée depuis lors avec les États-Unis dans la négociation d'un accord bilatéral, s'inspirant du modèle appliqué à la région de Manbij, pour tenter de sécuriser la zone à travers des patrouilles conjointes sur un bandeau de 30 kilomètres et stabiliser la situation.
La coalition contre Daesh a reconnu que cet accord avait des mérites, car il rendait possible la poursuite du soutien aux Forces démocratiques syriennes (FDS) qui, comptant sur des combattants kurdes, ont permis de repousser la menace de Daesh.
Aujourd'hui, notre stratégie est une stratégie d'accompagnement des efforts de la coalition pour qu'en cas d'incursion, les Kurdes puissent, autant que possible, se retrouver localisés sur des emprises sécurisées. L'enjeu est aussi d'éviter que les flux de personnes viennent déstabiliser plus avant d'autres régions de la Syrie ou se reporter sur le Kurdistan ou sur l'Irak – qui fait face par ailleurs à une vague de manifestations et est également dans une situation relativement fragile.
Enfin, je mentionnerai la nécessité de continuer à apporter un appui à travers l'OTAN à tous les appels à la retenue dirigés vers la Turquie et à faire levier autant que nous le pourrons auprès des États-Unis pour qu'ils maintiennent un dispositif crédible.
La préoccupation majeure à mes yeux est la situation dans les prisons et dans les camps, où l'on voit que la radicalisation a progressé. Même si la défaite du califat territorial de Daesh a été annoncée, nous savons que Daesh réapparaît de manière résurgente sous une forme insurrectionnelle. Nos collègues du Pentagone y sont très vigilants. Il faudra s'assurer également que les avancées obtenues en la matière seront bien consolidées et non remises en cause par les développements les plus récents.
Monsieur Cubertafon, s'agissant de la remilitarisation des relations internationales et des actions que nous déployons pour prendre en compte cette situation, la première réponse réside dans notre capacité à agréger les différents modes de conflictualité existants aujourd'hui. Notre vision du modèle d'armée dont nous avons besoin doit intégrer une compréhension et une intégration de ces différents modes. Aux modes traditionnels de l'air, de la terre et de la mer, s'ajoutent ainsi le cyber, l'espace, l'intelligence artificielle et la lutte informationnelle. Nous devons parvenir à avoir une vision d'ensemble de ces domaines.
Mais nous devons aussi être capables de relier des éléments extérieurs à la sphère Défense avec des actions civiles permettant de réagir à des scénarios ambigus ou hybrides. Pour ce faire, nous avons investi dans un centre d'excellence européen à Helsinki pour la lutte contre les menaces hybrides, qui fournit des résultats intéressants. L'Union européenne a également développé un centre de fusion de données sur les guerres hybrides qui aide à rehausser la compréhension des États membres sur les actions à conduire. Enfin, nous essayons, dans le contexte créé par le débat sur Huawei, de créer une capacité européenne à réaliser le besoin de résilience face aux influences chinoises – qu'elles se matérialisent par des investissements d'infrastructures portuaires ou technologiques ou par des prises de coopération scientifiques et intellectuelles susceptibles de remettre en cause une partie de la souveraineté européenne. Nous savons que l'initiative « 17 + 1 » de la Chine, qui concrétise la Belt and Road Initiative (BRI), est une préoccupation à prendre en compte.
J'en viens à présent à la question de M. le député Chassaigne, qui fait référence au contrôle des exportations de matériels de guerre. Je rappelle que la France poursuit un strict contrôle, à travers un examen interministériel poussé, de toutes les exportations de matériels de guerre et assimilés. Ce processus est conduit de manière responsable dans la mesure où il respecte pleinement nos engagements internationaux – qu'il s'agisse de la directive 200851CE du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 91477CEE du Conseil relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes, ou du Traité sur le commerce des armes (TCA) que nous avons rejoint en 2014. Ce processus est en outre mené de manière transparente par le biais du rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France que nous transmettons chaque année à l'ensemble des parlementaires.
À travers la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), nous instruisons près de 7 030 dossiers sur une base annuelle. Ces dossiers nous remontent par une procédure dématérialisée ou physique soumise à l'arbitrage du Premier ministre. Cette procédure prend en compte l'ensemble des préoccupations relevées dans les textes de référence que j'ai mentionnés. Elle les complète par une évaluation approfondie de la situation concernant la stabilité régionale des régions dans lesquelles ces exportations sont envisagées, analyse l'existence des tensions et des conflits ouverts qui peuvent y prévaloir, s'interroge sur le comportement des pays destinataires au titre du respect des droits de l'Homme et du droit international humanitaire et pèse nos intérêts de sécurité, de défense et de préservation de nos coopérations ainsi que les enjeux liés à la sécurité de nos forces et de celles de nos alliés.
Par ailleurs, je puis vous confirmer que la France reste pleinement déterminée à rechercher des solutions au conflit cruel qui dévaste le Yémen aujourd'hui.
Nous appuyons pleinement les actions de l'envoyé spécial des Nations unies, Martin Griffiths, et les derniers développements survenus à Stockholm en faveur d'un cessez-le-feu. Nous continuerons, dans le cadre des Nations unies, à favoriser la résolution politique du conflit et à porter une appréciation globale de la situation sur la région. Il existe actuellement un enjeu bien plus prégnant de stabilisation et de réduction des risques d'escalade dans cette région du monde.