Intervention de Alice Guitton

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 11h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie :

Je me permettrai de commencer par la relation franco-britannique, deux questions ayant été posées en lien avec les conséquences du Brexit et la façon dont elles sont traitées dans la gouvernance bilatérale.

Il est indispensable de rappeler que, comme pour l'Allemagne avec laquelle nous avons signé le traité d'Aix-la-Chapelle qui sera bientôt ratifié, une série d'efforts considérables est à mener avec le Royaume-Uni, en préparation notamment de Lancaster House 2020, pour que la coopération exceptionnelle et multidimensionnelle, unique en Europe, qui prévaut aujourd'hui en matière de défense entre nos deux pays puisse continuer à se réaliser pleinement. Cette coopération est liée tant à la géographie qu'à l'ADN de nos forces de défense.

Le Brexit aura évidemment des conséquences, mais qui seront en réalité relativement limitées pour la défense.

Il faudra notamment passer par une ordonnance pour garantir la poursuite du partage d'informations classifiées, en particulier pour les transferts de matériels de défense entre la France et le Royaume-Uni. En outre, d'un point de vue juridique, la complexification de ce partage d'informations sur certaines questions sensibles peut avoir une incidence, s'agissant notamment de certains programmes spatiaux.

Nous savons aussi que le Brexit aura des conséquences économiques sur Londres. Certaines incertitudes tarderont ainsi à être levées sur l'effort de défense à long terme du Royaume-Uni. Le budget approuvé cette année vaut en effet pour un an et ne s'inscrit donc pas dans un cadre pluriannuel. La capacité du pays à s'engager dans des programmes longs, comme l'exige tout programme industriel structurant, ne se matérialise pas pour l'instant. Or il est indispensable pour nous que le Royaume-Uni puisse, dans le cadre de la prochaine revue de défense, maintenir le cap budgétaire – 2,13 % du PIB – en matière d'effort de défense.

Par ailleurs, les conditions économiques dans lesquelles évoluent certaines de nos industries pourraient se détériorer. Cela est anticipé notamment dans le secteur de l'aéronautique comme dans celui des missiles.

La contraction de la livre et la dégradation du budget alloué à la défense pourraient également avoir un impact sur les projets capacitaires communs auxquels nous voulons travailler : développement de missiles antinavire, de missiles de croisière, projet de démonstrateur de drones navals, guerre antimines, etc.

Quoi qu'il en soit, Brexit ou non, nous resterons étroitement liés au niveau opérationnel pour continuer à coopérer au Sahel. Je rappelle que les Chinooks qui nous sont fournis par le Royaume-Uni sont extrêmement précieux pour l'opération Barkhane.

De plus, la montée en puissance de la CJEF, qui atteindra sa pleine capacité opérationnelle en 2020, nous offre des opportunités considérables pour l'avenir pour faire face à des situations où le besoin de déploiement expéditionnaire s'imposerait.

Rappelons-nous par ailleurs que, dans le cadre de l'opération Hamilton en Syrie, nous étions avec les Britanniques, qui disposaient des capacités et de la réactivité nécessaires.

Nous continuerons également à nous engager avec le Royaume-Uni dans le cadre de la présence avancée renforcée de l'OTAN en Estonie.

Les prochaines échéances stratégiques qui permettent de parler de toutes nos coopérations – que ce soit le conseil ministériel de défense, résultat de la comitologie du sommet franco-britannique de Sandhurst, ou l'anniversaire des accords de Lancaster House en 2020 – doivent nous conduire d'abord, après le Brexit, à réfléchir à la relation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni une fois le Brexit consommé, quelles que soient ses modalités. Elles doivent ensuite nous aider à garder une capacité à nous engager et à regarder loin pour identifier quels modèles d'armée, britannique et français, mettre en place, et comment les projets capacitaires peuvent se construire, avec des ambitions à la hauteur de ce que nos industriels sont capables de fournir et du niveau d'autonomie technologique et stratégique que leurs expertises et leurs savoir-faire peuvent garantir.

Enfin, dans cette période tumultueuse, si des irritants émergent, ils devront être traités pour ce qu'ils sont et non comme des éléments susceptibles de contaminer la relation politique plus large unissant nos deux pays. Cela fait bien sûr partie de ma tâche.

Dans ce contexte, j'ai confiance en la capacité de Londres et Paris à trouver des voies d'accord au niveau des ministres, des administrations centrales ou des régions, pour résoudre y compris des questions qui continueront de se poser, comme celle liée aux bateaux de pêche en baie de Seine.

Sur la question de savoir dans quelle mesure le Luxembourg pourrait trouver sa place dans l'IEI, je rappelle que l'IEI réunit des pays dimensionnés de manière comparable dans leur outil de défense, à travers leur budget de défense, et à travers leur volonté politique d'agir et de s'investir sur des théâtres d'opérations. C'est pourquoi il est précieux de pouvoir compter sur le Royaume-Uni, post Brexit, et sur le Danemark, nonobstant son opt out sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Comme cela a été observé lors de la dernière réunion ministérielle qui s'est tenue à Hilversum le 20 septembre 2019, tous les pays membres de l'IEI ont plusieurs points communs. Ils sont tous au Sahel avec nous. Ils ont tous matérialisé sur les dernières années des contributions importantes à des opérations de maintien de la paix ou de missions de l'Union européenne. Ils sont impliqués dans les projets de CSP et dans les initiatives européennes de défense que nous avons soutenues. Nous les retrouvons aussi en appui d'un projet comme celui de la facilité européenne de paix, qui nous donnera demain les moyens de fournir des équipements létaux à des pays qui en ont besoin et qui, dans une logique de prévention, pourraient ainsi ne pas basculer vers davantage de fragilité. C'est du moins ce que nous souhaitons.

Le Luxembourg a toute sa place dans les initiatives européennes de défense que j'ai mentionnées. Il a d'ailleurs fait partie des pays qui ont joué un rôle important dans le lancement de la CSP, du nouveau plan de capacités (Capability Development Priorities – CDP) et de la Coordinated Annual Review on Defence (CARD). Il fournit aussi de l'expertise. C'est également une nation qui a un rôle à jouer dans le domaine spatial et avec qui nous collaborons étroitement.

Il reste que les ministres des treize pays membres de l'IEI ont décidé en septembre dernier, de consolider d'abord l'initiative. Pour que les bénéfices de l'IEI soient pleinement saisis, il faut que les contacts entre militaires s'approfondissent et que les groupes de travail qui ont été constitués fournissent les efforts attendus.

La porte n'est cependant pas fermée. Le Président de la République a fait référence à son soutien à la candidature de la Grèce après l'arrivée de la Norvège, de la Suède et de l'Italie survenue cette année.

L'avenir dira jusqu'où l'IEI doit aller. Pour l'instant, nous sommes donc dans une phase de consolidation.

S'agissant du programme des PAD, je suis ravie de l'intérêt qu'il suscite. Comme vous le savez, cette initiative a été portée par la DGRIS dès 2008. Ce programme représente un investissement de 260 000 euros par an. Cette somme permet de couvrir chaque année le soutien apporté à l'accueil des personnalités, l'organisation de visites et le montage de programmes adaptés, personnalisés, et ciselés destinés à ces personnalités qui ont été identifiées, selon une méthodologie très stricte, comme rejoignant potentiellement les futures élites des pays concernés. Ces personnalités sont donc susceptibles de constituer des relais d'influence et de confiance.

Une trentaine de personnalités sont identifiées par an. Aujourd'hui, le programme des PAD compte plus de 250 membres. Le nombre de personnalités accueillies est en hausse depuis ces quatre dernières années et se stabilise autour d'une trentaine par an.

Sur la question de savoir comment il convient de faire évoluer ce programme, je crois que cela passe par un processus de sélection qui soit le plus efficace et intelligent possible.

Il faut donc bien recruter. Il faut également assurer des programmes véritablement intéressants et mobilisateurs, qui permettent d'exposer ces personnalités à tous les interlocuteurs nationaux pertinents afin de favoriser leur compréhension de la France et de développer leur intérêt pour les positions françaises et leur appréciation du rôle de la France.

Enfin, dans le suivi à long terme, il faut s'assurer que le flux bâti reste soutenable et durable, et dimensionné avec les ressources qui sont les nôtres.

Concernant la situation en Libye, elle est aujourd'hui dans l'impasse. L'offensive du maréchal Haftar ne conduit pas à un éclaircissement. Les différentes initiatives prises par la France et l'Italie et à nouveau, encore récemment, par la France à l'Assemblée générale des Nations unies à travers une conférence, demeurent des axes importants d'efforts pour tenter de relancer un processus politique là où la situation reste bloquée sur le terrain militaire.

Un travail reste à fournir du point de vue de la DGRIS : celui de la compréhension de la façon dont les autres acteurs et parrains d'une solution politique en Libye pourraient être mieux décryptés et mobilisés – que l'on pense à l'Algérie, à l'Égypte, ou à la manière dont la Russie pourrait apporter un soutien pour passer les bons messages au moment approprié afin de parvenir à la matérialisation d'un cessez-le-feu durable et à l'élaboration d'un processus véritablement inclusif impliquant toutes les composantes de la société libyenne.

Sur le modèle d'armée et la manière dont le regard peut être porté sur la LPM à l'aune de la capacité de la DGRIS à conduire des travaux de prospective pertinents à travers l'action 7 pour éclairer les besoins futurs et les éventuels écarts qui pourraient être observés, je répondrai selon deux angles : la prévention, et l'innovation. Je conclurai en disant que la LPM nous permet de répondre à la situation actuelle.

Sous l'angle de la prévention, la DGRIS a un rôle à jouer, à travers une approche globale de coopération avec nos alliés et nos partenaires et la volonté d'agir en amont des crises, pour configurer des points d'appui durables et des capacités au bon endroit au bon moment, qui nous permettent à travers nos forces, nos contacts politiques et notre réseau diplomatique d'articuler une capacité à amortir les crises. Les ayant anticipés, nous ne devons pas subir les aléas stratégiques que nous observons tous les jours dans la presse, mais avoir une capacité à rebondir y compris grâce à nos partenaires.

À titre d'exemple, dans la perspective des élections en 2021 en Côte d'Ivoire, nous devons soutenir ce pays pour éviter qu'il ne se fragilise davantage. C'est un pays qui sert de point d'appui, y compris du fait de la présence de nos forces dans la région.

De la même manière, outre nos forces de souveraineté présentes, nous devons parvenir à créer des partenariats utiles autour des départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) – partenariats qui nous assurent toute la sécurité nécessaire.

Sur le volet de l'innovation, les études amont qui bénéficient de 821 millions d'euros et d'un budget qui sera porté à 1 milliard d'euros en 2022 devront délivrer tous leurs effets.

Des projets majeurs sont examinés : SCAF, MGCS, les études sur le porte-avions de nouvelle génération, les moyens additionnels envisagés pour toutes nos armées, et la mise en place de moyens supplémentaires – 700 millions d'euros – alloués à l'espace.

Tous ces éléments sont une réponse à la nécessité de rester dans la course technologique, de maintenir nos savoir-faire et de renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) nationale.

La LPM me paraît par ailleurs dimensionnée pour répondre à nos besoins. Elle compte sur les axes d'effort importants qui ont été posés dans le contexte de la revue stratégique, dont nous voyons les constats s'amplifier et non forcément être remis en cause.

Nous continuons en outre à jouer tout notre rôle dans le cadre des coopérations et des partenariats noués, au sein de l'OTAN comme de l'Union européenne. Nous devons aussi compter sur l'effet démultiplicateur de nos initiatives pour que nos partenaires soient à nos côtés.

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