J'ai participé en septembre dernier à la conférence interparlementaire sur la politique extérieure de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) qui s'est tenue à Helsinki. Cette conférence est organisée tous les six mois dans le pays qui assure la présidence de l'Union.
Elle a réuni les représentants de l'ensemble des Parlements nationaux de l'Union européenne, la Haute Représentante de l'Union pour la politique étrangère et de sécurité, Federica Mogherini, les représentants du Parlement européen, dont le président réélu de la commission des Affaires étrangères, M. David McAllister et la présidente de la sous-commission en charge de la Défense, Mme Nathalie Loiseau.
Symbole de l'intérêt que la Finlande porte à la dimension parlementaire de sa présidence, c'est le président de la République en personne qui est venu ouvrir nos débats.
L'ordre du jour de la conférence est toujours étroitement dépendant des enjeux de politique étrangère et de défense du pays d'accueil. Aussi, outre les thématiques incontournables que sont le développement de l'Europe de la Défense ou la relation transatlantique, la Finlande a souhaité que soient évoqués, sous l'angle de la sécurité, deux nouveaux sujets : l'Arctique et le changement climatique.
Bien que ces deux thèmes soient évidemment liés, je voudrais plus particulièrement insister sur l'Arctique. L'Arctique a pendant longtemps été un non-sujet de sécurité. Depuis que la souveraineté du Danemark sur le Groenland a été reconnue par la Cour permanente de justice internationale en 1933, les pays limitrophes (URSS, Norvège et Canada) ont cherché à étendre leur souveraineté sur une partie des mers arctiques. Néanmoins, jusqu'aux années 2000, le pôle Nord et la majeure partie de l'océan Arctique ont été globalement considérés comme zone internationale. Il faut dire que la zone Arctique, hors ses régions les plus au sud comme le Groenland ou le nord canadien, présentait peu d'intérêt économique ou stratégique. Cette zone, peuplée principalement par les Inuits, est composée de mers gelées la majeure partie de l'année et d'une banquise mouvante. N'oublions pas que l'Arctique, à la différence de l'Antarctique, n'est pas un continent. En pratique, l'exploitation des ressources énergétiques n'était pas rentable du fait de voies maritimes largement infranchissables.
Mais aujourd'hui, on constate que le réchauffement de la zone arctique est deux fois plus rapide que la moyenne mondiale. À titre d'illustration, le 14 juillet 2019, la base canadienne d'Alert, lieu habité le plus au nord de la planète, à 817 kilomètres du pôle Nord, a battu son record absolu de température avec 21,0 °C. Pire encore, le 24 février 2018, il faisait 6 °C au cap Morris Jesup, au Groenland, alors que le thermomètre aurait plutôt dû afficher - 25 °C en cette période. Il faut savoir qu'en temps normal, dans l'océan Arctique, la glace se forme de septembre à mars mais du fait du changement climatique, cette période se raccourcit inexorablement au fil des années. En conséquence, les glaces sont moins épaisses, plus jeunes et couvrent moins d'océan. La vieille glace, c'est-à-dire celle âgée de plus de quatre ans, s'est réduite de 95 % depuis 30 ans. C'est un cercle vicieux : des glaces plus jeunes sont plus fragiles et fondent plus tôt au printemps. Moins de glace signifie moins de réflexion solaire, ce qui fait que l'océan absorbe davantage d'énergie et se réchauffe donc un peu plus. Ce phénomène est désastreux pour les peuples autochtones, la faune locale et pour la planète, puisqu'il participe à la hausse générale du niveau des océans et de celles des températures.
De plus, la fonte précoce de la banquise et le réchauffement général des températures permettent non seulement d'envisager l'exploitation des réserves d'hydrocarbures de l'Arctique, mais également de raccourcir considérablement les distances entre l'Europe et l'Amérique du Nord par l'ouverture de nouvelles routes maritimes. Ces perspectives économiques considérables ont aiguisé les appétits des États riverains de l'océan arctique et des grandes puissances qui ont commencé à se positionner en revendiquant leur souveraineté sur la zone arctique, notamment par la multiplication d'expéditions où le scientifique le dispute au militaire. Avec la fonte des glaces, l'Arctique est en effet en train d'acquérir une nouvelle importance stratégique qui n'a pas échappé à la Russie, laquelle a su très vite se positionner comme interlocuteur incontournable. Ainsi, en septembre 2013, Vladimir Poutine a prononcé un discours à bord d'un brise-glace nucléaire, appelant à poursuivre les efforts pour sécuriser les intérêts - je cite – « stratégiques, économiques, scientifiques et défensifs » de la Russie dans l'Arctique. Le risque est donc que l'Arctique devienne une nouvelle zone de tension entre la Russie et les autres puissances arctiques que sont le Canada et le Danemark, par ailleurs membres de l'OTAN. Ce risque apparaît suffisamment important pour avoir été pointé par le président de la République finlandaise lui-même.
Qu'en est-il de l'action de l'Union européenne dans la région ? Celle-ci est présente par l'intermédiaire de ses membres – en particulier le Danemark, mais elle n'est pas représentée au Conseil de l'Arctique, dont sont membres les huit États riverains (Canada, Danemark, États-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Suède, Russie) et les sept organisations de peuples Inuits. Il compte également treize pays observateurs, dont la France, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni. La candidature de l'Union européenne comme observateur a en effet été explicitement rejetée pour deux raisons :
– d'une part, sa volonté d'intervenir sur la scène arctique en soulignant le caractère international des passages arctiques et en prônant la signature d'un nouveau traité, qui gèlerait toute revendication maritime, a froissé les États riverains ;
– d'autre part, l'embargo sur les produits du phoque, acté en 2010, a largement détruit le marché des fourrures dont dépend une part importante des ressources des Inuits.
Voilà en quelques mots la situation de l'Arctique qui justifierait peut-être, Madame la Présidente, que notre commission s'y penche de manière plus approfondie dans un rapport d'information.
Pour conclure cette communication, je souhaite préciser que la conférence interparlementaire d'Helsinki fut la dernière à laquelle participait la Haute représentante Federica Mogherini. Ce fut donc l'occasion, pour elle, de faire un bilan de ses cinq années à la tête de la diplomatie européenne. Ces années furent très riches, marquées par de nombreuses crises mais également par de grands succès.
Parmi les crises, la Haute représentante a rappelé que celle en Ukraine n'a toujours pas été résolue et que l'agressivité russe aux frontières de l'Union européenne demeure constante. D'une manière générale, le voisinage de l'Union européenne, qu'il s'agisse du voisinage Est ou du voisinage Sud, est tout sauf le « cercle d'amis » qu'ambitionnait de constituer la politique européenne de voisinage, qui a largement échoué à le stabiliser.
Parmi les succès, le mandat de Federica Mogherini fut particulièrement remarquable en matière de défense européenne. Elle a ainsi rappelé les progrès enregistrés ces dernières années dans la construction de l'Europe de la défense et, en particulier, les avancées majeures que constituent le lancement de la coopération structurée permanente entre 25 États membres et la création d'un fonds européen de défense doté de 13 milliards d'euros dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Elle a appelé la nouvelle Commission à maintenir ses efforts en faveur de l'Europe de la défense et les Parlements nationaux à les soutenir.
Enfin, elle a pointé un regret qui est aussi une faiblesse majeure de la diplomatie européenne : l'absence de cohérence et de solidarité des États membres en matière de politique étrangère. Très fréquemment, elle a observé que les gouvernements privilégient, une fois de retour dans leur capitale, leurs intérêts nationaux au détriment des positions communes pourtant prises unanimement à Bruxelles. Tant que ce sera le cas, il est à craindre que les ambitions diplomatiques européennes restent largement irréalisables. Je vous remercie.