Nous sommes tous d'accord : il faut replacer les maires au coeur du fonctionnement de notre démocratie. Il est d'ailleurs particulièrement navrant qu'il ait fallu attendre le grand débat national pour que l'exécutif réalise à quel point les maires – et plus largement les élus locaux et territoriaux – sont au coeur du fonctionnement de notre démocratie. Comment expliquer ce retard à l'allumage pour que soit enfin mesuré leur dévouement, mais aussi leur découragement ? Celui-ci est lié, pour partie, aux dernières grandes réformes relatives aux territoires, qui ont fait apparaître des dysfonctionnements majeurs – au premier rang des dernières grandes réformes, on trouve la loi NOTRe et ses fameux irritants.
Entre des périmètres intercommunaux agrandis de manière inconsidérée et des transferts de compétences obligatoires toujours plus nombreux vers les intercommunalités à fiscalité propre, entre un État centralisateur et une frilosité gouvernementale – pour l'heure – en matière de décentralisation, les élus locaux et territoriaux se sentent dépossédés, impuissants, déconsidérés, voire parfois défiés, je l'ai déjà dit.
Il n'y a pas d'amour, seulement des preuves d'amour : les preuves de votre volonté de redonner toute leur place aux maires et aux équipes municipales seront jugées à l'aune du débat parlementaire que nous commençons.
Les maires, nous le savons, restent largement en haut du classement des élus préférés de nos concitoyens. Cependant, année après année, le pouvoir d'action des élus diminue, entraînant comme corollaire l'évincement de la confiance et de la considération au profit de plus de méfiance, de défiance, voire – nous avons pu le constater ces derniers mois – de violence. Je pense en particulier à la mort du maire de Signes, en août dernier, parce qu'il s'opposait à un dépôt sauvage de gravats. Si les maires sont à portée de remerciements, ils sont aussi à portée d'engueulade. De plus, leur engagement, souvent chronophage, est stressant en raison de l'incertitude sur la fin du mandat et leur reclassement.
Le groupe Libertés et territoires n'a eu de cesse d'appeler à prendre en considération les corps intermédiaires, les territoires et les élus locaux, qui ne sont pas des freins au changement mais des relais essentiels, des atouts au service de l'intérêt général.
Lors de l'examen en commission, vous avez presque fait table rase du texte transmis par le Sénat, où il avait été profondément modifié, en revenant régulièrement à la version initiale du projet de loi – parfois améliorée, néanmoins, il faut le reconnaître, grâce à l'action de M. le rapporteur et à l'ouverture du ministre Sébastien Lecornu. Nous avons ainsi pu avancer sur les questions de parité et sur la limitation de durée de location non professionnelle par les plateformes en ligne ; nous avons par ailleurs apprécié que la mesure initiale sur les conseils de développement ait pu être amendée, tant nous estimons qu'ils sont des espaces de dialogue nécessaires avec les citoyens.
Quant à lui, peut-être le Sénat a-t-il été trop ambitieux, changeant ainsi la nature du texte, nous en convenons. Est-ce dû à l'approche du congrès des maires, qui revêt une importance encore plus particulière pour les sénateurs ?
Car loin de nous l'idée de détricoter l'intégration communautaire de nos communes : pour peu que leur intégration soit faite dans le respect de leur identité, les intercommunalités sont une chance. Ainsi, si je comprends la philosophie qui les sous-tend, je m'interroge, à titre personnel, sur l'instauration obligatoire des conférences des maires. Alors même que, de manière générale, le projet de loi vise l'assouplissement, ces conférences constitueront d'autant plus une lourdeur que, dans les grandes intercommunalités rurales – notamment en montagne – , on doit faire face à une problématique de quorum. Par exemple, en Corse, où il existe déjà une chambre des territoires prévue par la loi pour mener un dialogue fécond lorsque cela est nécessaire, l'État a instauré une conférence des maires avant l'heure qui s'est parfois transformée en un instrument politique aux mains de la préfecture pour défier la collectivité de Corse sur ses compétences – néanmoins, les choses peuvent évidemment changer.
Par ailleurs, en matière de formation, les débats en commission n'ont pas rassuré notre groupe sur les dispositifs qui seront concrètement mis en oeuvre pour permettre aux élus de se reconvertir à la fin de leur mandat, que celle-ci soit ou non choisie.
De manière plus globale, nous nous interrogeons sur l'existence d'une véritable stratégie pour les collectivités territoriales. Il y a d'abord ce projet de loi, dont vous ne souhaitez pas que nous modifiions les grands équilibres : il s'agit en réalité d'une succession de mesures – certes, pour la plupart tout à fait bienvenues, mais qui consistent assez souvent en des retouches à la marge. Parallèlement, vous nous appelez à la patience en annonçant un texte sur les trois D : décentralisation, différenciation, déconcentration – en espérant, comme je l'ai dit en commission, qu'un quatrième D, celui de découragement, ne s'y adjoigne pas, ce qui pourrait arriver si ce futur texte ne porte pas véritablement un nouvel acte fort, notamment en matière de décentralisation politique.
Les maires ont besoin que l'État et les citoyens leur fassent confiance, et donc d'un véritable choc de décentralisation et d'une réelle capacité de différenciation. Vous ne serez pas surpris si notre groupe défend avec vigueur un nouveau choc de décentralisation, qui aille vers une décentralisation poussée, avec des transferts de compétences pleins et entiers, mais choisis, de l'État vers les collectivités.
Depuis plusieurs mois, on confond décentralisation et déconcentration et le doute plane : on parle notamment de donner aux préfets des pouvoirs plus importants, qui pourraient aller jusqu'à la capacité d'adapter la loi. Nous trouvons cette orientation très discutable, voire antidémocratique, d'une certaine façon, car il s'agirait ni plus ni moins que de donner une forme de pouvoir législatif d'adaptation à l'administration. Je suis navré, mais il ne s'agit pas là de décentralisation ; seulement de déconcentration poussée à l'extrême.
Ce que souhaitent les élus locaux et territoriaux, c'est pouvoir agir en toute sérénité, avec des moyens politiques renforcés. C'est tout le sens de l'amendement de notre collègue François Pupponi, adopté en commission grâce à la bienveillance du ministre Sébastien Lecornu, il faut le reconnaître. Devenu l'article 14 quinquies, cet amendement vise à créer un pouvoir de police du maire pour interdire sans délai la location d'un logement manifestement insalubre, indigne ou dangereux. Ce pouvoir fort a pour objectif de sanctionner durement les marchands de sommeil et à empêcher la location de tels logements, grâce à la rapidité et la simplicité de la procédure et ses implications financières pour le propriétaire bailleur concerné, notamment grâce à la mise en oeuvre d'une astreinte administrative.
L'adoption de cette mesure a bénéficié d'une certaine publicité dans la presse, tant elle répond à une urgence pour nos concitoyens, qui ne comprennent pas que nous ne puissions lutter efficacement contre les marchands de sommeil. Pour mettre fin dans les meilleurs délais aux agissements de ces individus, les maires ont en effet besoin d'outils puissants, agiles et réactifs.
Je ferai d'ailleurs un parallèle avec le besoin, exprimé par les maires corses, de disposer de plus de moyens pour lutter efficacement contre les incendies, qui, changement climatique oblige, se propagent de plus en plus, et souvent depuis le terrain de propriétés indivises ou sans maîtres. Sur ce sujet, je défends, au nom de mon groupe, une proposition dont nous rediscuterons lors de l'examen des amendements ; ce sujet d'intérêt général est si prégnant que j'espère une issue positive.
Voilà, en deux exemples, comment nous pouvons rendre les territoires plus forts et plus autonomes – c'était d'ailleurs le titre du rapport d'observation du groupe Libertés et territoires, qui contenait cinquante propositions sur le sujet. Non, l'autonomie des collectivités n'est pas un gros mot. Elle existe bien en droit français – pour les outre-mer notamment – et c'est la règle dans la grande majorité des pays européens. Dans notre rapport, nous écrivions déjà qu'il fallait renforcer la responsabilisation des élus territoriaux et locaux, en leur donnant des compétences pleines et entières sur la décision, la réalisation et le financement des projets.
Cela passera aussi nécessairement par la garantie d'une véritable autonomie fiscale des collectivités, grâce au transfert de l'assiette des impôts locaux et une vraie liberté de fixation des taux d'imposition par la collectivité : il faudra bien y arriver un jour.
Comme vous le voyez, nous en appelons donc à une stratégie globale pour nos collectivités locales. Le texte, que nous abordons avec ouverture et responsabilité, n'en est qu'un des prémices – certes essentiel. Nous espérons pouvoir continuer à avancer en bonne intelligence lors de l'examen du projet de loi : nous le devons aux maires et aux élus locaux et territoriaux qui, au-delà d'un simple engagement, sacrifient souvent leurs intérêts personnels au service de l'intérêt général.