Intervention de Cédric Villani

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, rapporteur :

Je serai le premier à vous présenter les résultats du groupe de travail sur le financement de la recherche. Ce premier groupe de travail était co-rapporté par M. Antoine Petit, président du CNRS, par Mme Sylvie Retailleau, présidente de l'université Paris-Saclay, ex-présidente de l'université Paris-Sud, et moi-même. Il traitait notamment des aspects de programmation de la recherche.

Je vais commencer par l'importance stratégique et internationale que revêt la recherche, aussi bien pour les questions économiques que pour les questions d'environnement et de préparation de l'innovation et du futur. Traditionnellement, la recherche constitue l'un des points forts de la France, qui a toujours connu une tradition très forte en la matière. Dans mon propre domaine, les mathématiques, la France était à coup sûr le premier pays du monde dès le XVIIe siècle, et n'a jamais cessé d'être l'un des deux ou trois pays dominants. D'ailleurs, les mathématiques sont le sujet dans lequel elle a la plus forte influence au niveau universitaire à travers le monde. Cela étant, la France s'enorgueillit d'avoir une tradition de recherche dans tous les domaines.

Pour autant, la position de la France, et plus généralement de l'Europe en la matière est menacée, dans un contexte marqué par la grande imbrication des enjeux de recherche et par l'émergence de nouveaux pays. Le fait international majeur de ces dernières décennies réside dans la montée en puissance de la Chine, et dans une moindre mesure de l'Inde, et de façon générale dans le développement des budgets de recherche en Asie, parallèlement à la très forte domination des budgets de recherche américains dans certaines disciplines.

Il s'agit d'un sujet pour lequel la compétition est internationale à tous les niveaux, avec des politiques d'attractivité des programmes de recherche et des chercheurs. La France se caractérise par des grilles de salaires peu compétitives à l'international, par le poids considérable des salaires dans les budgets des grands organismes de recherche et par les difficultés à organiser un dialogue efficace et souple entre le milieu de la recherche et le milieu politique. C'est à toutes ces questions que les groupes de travail se sont engagés à répondre.

Voici quelques indicateurs portant sur la période 2015 – 2017. La France représente un peu plus de 3 % des publications mondiales annuelles et occupe le septième rang mondial, derrière les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Inde et le Japon. Autre chiffre important du point de vue budgétaire : la comparaison de l'investissement en recherche et développement entre la France et l'Allemagne – même si les budgets et les secteurs économiques diffèrent – montre un différentiel de 42 milliards en faveur de l'Allemagne sur l'année 2016. Si nous rapportons les investissements au PIB, la France consacre à la recherche et au développement environ 2,3 % de son PIB, là où l'Allemagne y alloue 2,9 %, alors que nos engagements en matière de dépenses d'investissement étaient de l'ordre de 3 %. Ce sont les engagements que nous avions pris au début des années 2000 et que nous sommes encore loin de tenir. Pour le dire franchement, au regard de ses ambitions et de son rang au niveau international, la France n'investit pas assez en matière de recherche.

Dans notre système français, l'essentiel du financement se fait par des crédits dits « récurrents », c'est-à-dire avec peu d'évolutions au fur et à mesure des années. L'un des axes retenus dans le cadre de nos travaux était de s'astreindre à utiliser le terme de « crédits de base », et non celui de « crédits récurrents », puisque la notion de crédits récurrents correspond à l'idée que les crédits reviennent, identiques à eux-mêmes, année après année.

Dans le cadre de ma mission sur l'intelligence artificielle, l'une des seules préconisations qui n'a pas été reprise par le Gouvernement était celle qui portait sur les salaires. Or, les jeunes chercheurs en IA reçoivent des salaires deux, trois, voire cinq fois supérieurs à ce qu'ils peuvent percevoir en France. Je parle ici des universités ou des grandes entreprises américaines, mais également, aujourd'hui, des succursales françaises des grandes entreprises américaines. Il est très difficile de lutter contre ce phénomène. Nous avons vu au cours des dernières années nos meilleurs chercheurs en la matière déserter les laboratoires français pour passer sous pavillon américain ; nous devons garder à l'esprit ce contexte extrêmement compétitif.

Les préconisations du groupe de travail portent sur deux axes majeurs : lutter contre la faiblesse des financements et lutter contre leur dispersion. Nous préconisons de flécher davantage les financements là où cela serait utile, en particulier en recherchant les synergies et en renforçant les concertations entre l'État et les territoires ; de renforcer l'évaluation, permettant en particulier de moduler les dotations ; de renforcer les crédits compétitifs, et particulièrement le rôle de l'agence nationale de la recherche (ANR) ; de renforcer l'utilisation des fonds européens et enfin de développer les infrastructures de recherche, qui jouent aujourd'hui un rôle important pour assurer l'efficacité de la recherche.

Ce premier groupe de travail portait sur les enjeux du financement de la recherche, et en particulier sur les financements compétitifs, issus de la valorisation de bonnes performances internationales ou des appels à projets. Nous avons formulé une dizaine de propositions en la matière.

Notre première proposition, relative aux choix stratégiques, consiste dans le renforcement et la rénovation du conseil stratégique de la recherche. Cet organe, censé faire le lien entre le monde de la recherche et le monde politique, constitue un énième avatar de conseils qui, placés sous l'autorité du Premier ministre ou du Président de la République, n'ont jamais vraiment fonctionné. Le conseil actuel ne fonctionne pas vraiment non plus, et le nouveau conseil ne pourra être efficace sans une réelle volonté politique. Il doit faire l'objet d'une appropriation au plus haut niveau, avec des réunions et des contacts réguliers pour répondre aux besoins de la recherche et assurer une mission de coordination. Il s'agit de notre première proposition, destinée à développer la capacité de la France à opérer des choix stratégiques et à agir en cohérence.

Nous avons aussi formulé des propositions techniques visant à résoudre des problèmes de tutelles multiples. La multiplication des tutelles s'avère délétère dans le domaine de la recherche, sous bien des aspects. Bien souvent, la tutelle du ministère de la recherche a relativement peu de poids par rapport à, selon les cas, celles du ministère de l'économie, de la défense ou encore de l'agriculture. Dans bien des cas, le rôle du ministère de la recherche doit être renforcé en tant que coordinateur des tutelles.

Nous recommandons également de renforcer le dialogue avec les autorités territoriales, en particulier avec les régions, dans le cadre des contrats de plan État-Région, pour améliorer les synergies.

Nous souhaitons également conforter le développement de l'évaluation et renforcer le rôle du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), pour aider les tutelles à effectuer des choix en matière de financements et de priorités stratégiques.

Le deuxième grand volet concerne la modulation des crédits de base, par l'augmentation des crédits budgétaires de 500 millions d'euros, afin d'assurer une modulation de ces dotations de base en fonction de critères de performance, de l'attractivité internationale, de la capacité des universités et des laboratoires de recherche à remporter des appels à projets européens et différents contrats à l'excellence internationale reconnue. Nous proposons de procéder à une différenciation par rapport aux performances, qui n'est possible que si les crédits sont en hausse. Sinon les universités, déjà sous-dotées par rapport à leurs ambitions, rejetteront l'idée d'une nouvelle différenciation.

Le troisième volet porte sur l'Agence nationale pour la recherche. Cette agence, qui propose des financements compétitifs sur appels à projets, est nécessaire, c'est la conviction du groupe de travail. Elle souffre toutefois aujourd'hui d'un taux de sélection trop bas du fait du manque de crédits. Actuellement, le taux de sélection des projets est de 16 %. À titre de comparaison, en Allemagne, il est de 50 % environ. En général, on considère qu'en dessous d'un taux de 30 %, le système est dysfonctionnel, car la part de chance devient très importante. Le système n'est plus attractif et n'incite pas les chercheurs à déposer des projets qui seront très vraisemblablement rejetés.

En fonction du taux de financement et du taux de sélection visés et selon les évolutions du préciput, les recommandations du groupe de travail conduisent à plusieurs scénarios, représentant des financements supplémentaires compris entre 500 millions et 2 milliards d'euros.

Quatrième recommandation, s'agissant des appels à projets européens, la France voit ses positions reculer régulièrement. Nos chercheurs, notamment, ne répondent pas assez aux projets européens. Nous recommandons de systématiquement abonder les budgets des universités qui décrochent un projet européen afin de les encourager.

D'autres recommandations concernent :

– l'organisation des infrastructures de recherche, dont le grand équipement national de calcul intensif (GENCI), qui constitue une ressource extrêmement importante ;

– l'organisation de sciences et de données ouvertes, dans un écosystème où la possibilité de développer des solutions algorithmiques intelligentes dépend largement de la possibilité d'avoir accès à des données ;

– un programme transversal pour favoriser les sciences humaines et sociales, dont l'utilité est encore plus importante maintenant que par le passé ;

– un programme de participation accrue de la société civile et des associations, et plus largement des « mouvements de développement des sciences », en dehors des organismes habituels de recherche.

L'ensemble de ces recommandations représente des financements s'échelonnant entre 2 et 3,6 milliards, en fonction des scénarios retenus.

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