Avis favorable à l'amendement de suppression. Le problème est de déterminer la solution alternative, et la question n'est pas anodine.
Les communes nouvelles sont un instrument de liberté, et c'est très bien. Elles peuvent s'associer comme elles le souhaitent, à deux, trois ou plus. Elles peuvent se constituer à cheval sur deux EPCI : la méthode pour régler ce cas est prévue. Elles peuvent également se constituer à cheval sur deux départements : les conseils départementaux doivent donner leur accord pour modifier les limites départementales, car il ne peut y avoir de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Il en va de même si la commune nouvelle se constitue à cheval sur deux régions.
Mais dans le cas – que Mme Givernet et d'autres connaissent bien – où les deux conseils départementaux ne sont pas d'accord, tandis que les conseils municipaux le sont, les limites départementales ne peuvent être modifiées que par la loi. Nous nous retrouvons alors dans la situation que vous avez connue lors du débat de la proposition de loi de Mme Gatel sur les communes nouvelles : des amendements concurrents proposent qu'une commune soit rattachée à l'un ou l'autre des départements. Je souhaite bien du courage aux députés qui ne connaissent pas les lieux pour décider ! Le Gouvernement lui-même a bien du mal à émettre un avis sur d'autres fondements que les liens d'amitié, ce qui est limité pour organiser la carte territoriale. La démocratie locale s'est exprimée pour mieux constater son désaccord et l'on demande à la représentation nationale de trancher. Ce n'est pas un sujet partisan, puisque l'on constate que les positions peuvent être très différentes au sein d'un même groupe politique. Et nous pouvons aboutir à la situation dans laquelle l'Assemblée ayant décidé de rattacher la commune nouvelle à un département, le Sénat à un autre, c'est à une commission mixte paritaire qu'il reviendra de trancher !
Afin de remédier à ce blocage, plusieurs solutions s'offrent à nous, et certaines sont très imparfaites.
La première consiste à ne rien faire, la commune nouvelle ne sera pas créée, et nous ne dirons « non » à personne. Ce n'est ni très élégant, ni très respectueux. Il est préférable de clairement décider que cette création sera impossible, plutôt que de laisser la procédure de fusion inaboutie car aucune loi n'autorise la modification des limites départementales.
La deuxième solution consiste à prévoir que la décision est prise par décret. C'est celle retenue par les sénateurs : partant du constat qu'une assemblée parlementaire n'est pas en mesure de prendre des décisions « individuelles », cette responsabilité est laissée au Gouvernement. Mais les limites départementales relèvent du domaine de la loi, pas du domaine réglementaire ! C'est d'ailleurs heureux car changer les limites départementales modifie en conséquence celles des cantons, et potentiellement des circonscriptions électorales. Pour permettre la création d'une commune nouvelle, on mettrait donc le doigt dans un engrenage aux nombreuses conséquences juridiques. En outre, un décret pris sur de telles bases juridiques serait cassé en Conseil d'État.
La troisième solution est un peu sévère : elle consiste à ne pas autoriser la création de communes nouvelles à cheval sur deux départements sans accord des deux conseils départementaux. Comment gérer de telles situations depuis Paris, en effet ? Nous avons pensé à des systèmes de consultation de la population, mais quelle population devrait être consultée ? Si les limites départementales sont modifiées, c'est toute la population des départements concernés qui devrait être consultée, ce qui implique d'organiser des référendums dans tous ces départements… Ce n'est pas réaliste.
Ma réflexion est en cours, rien n'est arrêté, mais à l'heure où je vous parle, il me semble que la sagesse commande qu'une commune nouvelle ne puisse se créer à cheval sur deux départements que si les deux conseils départementaux sont d'accord. En cas de désaccord, la liberté locale rend impossible la création de cette commune nouvelle. Telle est ma position personnelle – ce n'est pas encore celle du Gouvernement.
C'est un problème que nous n'avions pas envisagé et que nous devons trancher pour l'avenir, car les cas pourraient se multiplier après les élections municipales.