C'est une question que nous examinerons de façon approfondie. La priorité est d'abord que l'Union européenne, une fois le Brexit consommé, définisse le cadre de ses relations avec le Royaume-Uni. Vous avez raison de rappeler que, derrière le Royaume-Uni, il y a un certain nombre d'autres pays, avec lesquels nous avons des relations autonomes : je pense en particulier au Canada, qui est notre allié dans le cadre de l'OTAN, ou encore à l'Australie. Je ne peux pas encore vous répondre précisément sur le réglage juridique qui sera mis en place mais nos relations bilatérales continueront de prévaloir.
J'en viens à l'OTAN. Un peu de patience : le sommet de Londres aura lieu les 3 et 4 décembre. Nous y verrons un peu plus clair dans quelques jours. L'important est que nous puissions, avec nos alliés, tracer une feuille de route stratégique et éviter que l'OTAN ne se focalise sur des questions de moindre importance. La France apportera sa contribution ; toutefois, si elle est seule à énoncer comment elle voit l'avenir de l'OTAN, la probabilité que nous convainquions nos alliés ne sera pas très forte. C'est donc un travail collectif qu'il va falloir mener au sein de l'Alliance : c'est ce à quoi le Président de la République invitera les alliés présents à ce sommet. Nous verrons quel mandat sera donné, mais plus ce mandat sera large, mieux cela sera.
Concernant la Turquie, personne ne pousse ce pays en dehors de l'Alliance atlantique, mais ses membres ont un certain nombre de devoirs. La Turquie a pris une position unilatérale, sans consulter personne et surtout pas ses alliés, mettant à mal la lutte contre le terrorisme en Syrie et en Irak. Cette intervention n'est pas propice aux intérêts de sécurité des Européens et ne respecte pas la lettre et l'esprit du traité de Washington. Après la réunion des ministres de la défense à Bruxelles, il est important que tout cela soit réexaminé dans un cadre stratégique : cela sera fait.
Sur la RDC, le Président de la République s'est engagé à apporter un appui militaire contre les rebelles dits ADF (Allied Democratic Forces). La coopération militaire est ancienne avec la RDC : les éléments français positionnés au Gabon constituent l'armature de cette coopération, avec plus de 200 militaires, dont 50 % d'officiers ; nous allons la renforcer.
Par ailleurs, nous avons en effet une forte dépendance au spatial et au numérique. Par « nous », j'entends la société civile comme nos militaires. Nous utilisons ces moyens sur des théâtres d'opération comme le Sahel. Si les liaisons par satellite sont coupées, nous perdons des images, la capacité d'analyser le terrain et potentiellement la capacité de communiquer. Se protéger contre les brouillages ou les ruptures est essentiel, tant pour la vie quotidienne – hôpitaux, transports, aéroports – que pour nos militaires. Je rassure tout de même les membres de la commission : les militaires continuent à s'entraîner à faire sans, les marins continuent à savoir lire des cartes marines, nos militaires déployés sur le terrain savent toujours lire une carte et se déplacer avec une boussole. Néanmoins, ces moyens restent absolument indispensables. Pour cela, il faut à la fois se protéger et gagner en indépendance technologique à l'égard de certains opérateurs ou grands industriels. C'est ce à quoi la France s'emploie et nous avons été amenés, à la fois en matière de stratégie de défense et de stratégie industrielle, à énoncer un certain nombre d'orientations.
Monsieur Lecoq, je ne suis évidemment pas favorable à la militarisation de l'espace – je me suis sans doute fait mal comprendre. Mais si nous ne souhaitons pas militariser l'espace, nous constatons malheureusement que cet environnement, jusqu'à présent utilisé à des fins pacifiques, devient un espace de conflictualité. Des satellites destinés à observer la Terre peuvent désormais orienter leurs miroirs vers tout autre chose que ce pour quoi ils étaient programmés ; des satellites de télécommunications peuvent être brouillés. Nous ne pouvons pas ignorer ce problème, ni le fait que certains pays, dont la France ne fait pas partie, testent leur capacité à détruire des satellites en orbite à partir de la Terre, en utilisant des missiles. Il faut donc protéger nos concitoyens, qui utilisent entre vingt et trente satellites par jour en moyenne avec leur smartphone. Si nous ne le faisions pas, nous ferions preuve de naïveté. Je ne suis pas pour une militarisation de l'espace mais pour une protection des moyens qui nous sont nécessaires dans la vie civile, comme pour les besoins de nos militaires. Si nous voulons être crédibles, il faut assumer que nous ne nous interdisons pas de passer à l'offensive. C'est la raison pour laquelle nous avons énoncé une stratégie spatiale de défense, au même titre qu'il existe une stratégie cyber de défense.
Concernant la société Argos, celle-ci sera en effet reprise par une filiale de la société belge Frère. Le meilleur candidat a été retenu à la suite d'un appel d'offres, mais nous sommes évidemment conscients qu'il s'agit d'une pépite technologique de notre pays. En conséquence, le CNES – Centre national d'études spatiales – conservera une part significative du capital, nous garantissant un droit de regard important et substantiel sur la société qui, par ailleurs, reste localisée en France. Rappelons qu'il s'agit d'une société de services civils, qui agit dans le domaine de l'environnement, de l'agriculture, des transports, et que nous coopérons largement en Europe dans le domaine de protection des satellites, y compris avec un pays tel que la Belgique.
Concernant le paiement de la solde des militaires, je veux rappeler que le système de paye installé il y a quelques années avait provoqué d'énormes problèmes du fait d'erreurs générant des indus. Un énorme plan de résorption de ces indus et d'accompagnement des personnels qui en avaient été victimes a été mis en oeuvre. Aujourd'hui, moins de 4 % des soldes font l'objet de corrections manuelles ; toutefois, nous avons abouti à la conclusion que jamais ce logiciel ne serait en état de fonctionner de façon satisfaisante. Nous avons donc lancé un nouveau programme ayant vocation à se substituer à ce logiciel intrinsèquement défectueux. Après plusieurs mois de tests intenses, nous avons procédé à la bascule d'un logiciel sur l'autre concernant la marine. Au moment où je vous parle, je puis vous dire avec certitude que cette bascule s'est réalisée dans des conditions très satisfaisantes et que ce nouveau logiciel fonctionne sans générer de problème particulier, aucune erreur ne nous ayant été remontée. L'opération n'est pas terminée : après la marine viendra une étape substantielle avec la bascule de l'armée de terre sur ce nouveau logiciel. Les problèmes générés par le logiciel Louvois sont traités, les dernières statistiques faisant état de 180 dossiers chaque mois, soit 0,09 % du total, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce système. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de basculer sur un nouveau logiciel donnant satisfaction.
Concernant l'attractivité des forces armées, il est très important de poursuivre la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. L'attractivité ne consiste pas seulement à savoir si la solde sera convenablement versée ou si les rémunérations seront à la hauteur de l'engagement. C'est tout un ensemble qui doit être pris en compte : les équipements sont-ils à la hauteur des missions ? Les éléments de protection de nos militaires au quotidien, comme les fusils d'assaut ou les gilets pare-balles, sont-ils adaptés ? Ainsi, en 2020, la totalité des militaires déployés en OPEX disposeront des treillis de nouvelle génération, qui sont extrêmement appréciés. Nous avons donc besoin d'assurer le financement de la loi de programmation militaire année après année. C'est ce que nous avons fait sans attendre la nouvelle loi de programmation militaire : depuis 2017, les moyens des armées sont en croissance. Cela représente 1,7 milliard d'euros supplémentaires chaque année pour moderniser les capacités des armées et préparer l'avenir. De nombreux projets dépasseront l'horizon de cette loi de programmation militaire, qui s'achève en 2025 et permettra de porter l'effort en faveur de la défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB). Nous sommes sur la bonne voie mais les impasses des vingt dernières années ne pourront pas être résorbées en l'espace de quelques printemps.
Les relations militaires entre la France et Israël sont assez limitées. Nous faisons quelques escales en Israël, nous échangeons du renseignement mais nous avons très peu de coopération d'armement – nous sommes concurrents sur la plupart des segments – et nous réalisons extrêmement peu d'exercices conjoints. Par ailleurs, le contexte géostratégique n'est pas très propice à ce que nous fassions davantage, compte tenu des tensions et aussi de la possibilité de nouvelles élections en Israël.
Enfin, nous sommes, depuis plusieurs années, extrêmement attentifs à la question de la radicalisation dans les forces armées. Celles-ci sont à l'exacte image de la société : nous sommes donc exposés au risque de voir certains de nos ressortissants prendre la voie de l'extrémisme religieux. Nous disposons tout d'abord d'un service spécialisé, la direction du renseignement et de la sécurité de défense, qui met en place un dispositif de détection précoce. Celui-ci intervient avant même l'engagement, dès que les candidats à l'engagement militaire sont sélectionnés : s'il y a le moindre doute, c'est un motif de non-signature des contrats. Les enquêtes d'habilitation sont poussées.
Par ailleurs, nous avons créé un dispositif de veille permanente qui s'appuie sur la colonne vertébrale de nos armées, à savoir le commandement de proximité. Nos unités vivent en permanence ensemble : il est très difficile d'avoir ses espaces d'intimité quand on est engagé dans la vie militaire et les signaux faibles sont évidemment observés de très près. La vigilance est extrême et la configuration de vie, l'organisation de nos armées, l'existence d'un encadrement de proximité, qui est en permanence au contact des militaires, nous assurent un moyen de détection précoce. Je ne dis pas qu'il fonctionne nécessairement à 100 %, mais nous nous sommes donné les meilleures garanties possible, même si le risque zéro n'existe pas. C'est un sujet d'attention permanent de la part du commandement.