Cette proposition de loi, déposée par M. Vincent Delahaye, vice-président du Sénat, et par Mme Valérie Létard, s'inscrit dans la suite logique de la mission de simplification législative dite BALAI, bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles, créée par le Bureau du Sénat au mois de janvier 2018. Elle marque la première étape d'une opération qui, au nom de la crédibilité du droit et de sa lisibilité, a pour ambition de supprimer des textes adoptés entre 1800 et 1940. Dans sa version initiale, elle proposait l'abrogation de 44 lois.
Le groupe MODEM a souhaité reprendre ce texte, qui a été examiné au Sénat conformément à la procédure de législation en commission le 13 mars dernier, car il apporte une simplification intéressante à nos yeux. En effet, nous constatons tous une inflation législative et normative. Certaines des causes de ce phénomène sont objectives : le droit est de plus en plus complexe, tout simplement parce qu'il y a une multiplication des sources du droit. Ainsi en va-t-il des normes internationales, notamment des directives européennes. De nouveaux domaines apparaissent également qui requièrent parfois des réponses législatives ou normatives.
D'autres causes sont cependant liées à la mauvaise manie des législateurs. Je reprendrai ici les propos de Guy Carcassonne : « Tout sujet d'un journal de 20 heures est virtuellement une loi. […] Il suffit qu'il soit suffisamment excitant – qu'il s'agisse d'exciter la compassion, la passion, l'indignation… – pour qu'instantanément se mette à l'oeuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d'un projet ou d'une proposition. » Je relève d'ailleurs que nous venons, au cours de notre première heure de réunion, d'évoquer non moins de deux nouvelles propositions de lois. Nous pourrons nous interroger collectivement sur ce sujet un peu plus tard.
Rien d'étonnant donc à ce que nous nous retrouvions aujourd'hui avec un nombre de lois que personne n'est capable de définir exactement !
Je ne vous proposerai pas de Grand soir, ce matin. La portée de ce texte reste modeste. D'ailleurs, il porte en lui-même un paradoxe. On peut en effet s'interroger sur l'intérêt de supprimer des lois devenues obsolètes qui, par définition, ne servent plus à rien – ce qui fait de la proposition de loi un texte qui n'aura aucune incidence sur l'état du droit applicable. Les plus taquins diront que ce n'est pas la première fois que nous faisons une loi qui ne sert à rien…
Alors, est-il utile de supprimer des lois obsolètes et qui ne sont plus appliquées ? La réponse est oui. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », disait déjà Montesquieu dans L'Esprit des lois. Les personnes que nous avons auditionnées ont confirmé l'importance de faire ce ménage dans notre appareil juridique.
Le professeur Nicolas Molfessis souligne par exemple que « la survie de la loi ancienne et l'application immédiate de la nouvelle loi favorisent la coexistence, au sein d'un même ordre juridique, de plusieurs droits positifs applicables à des situations identiques […]. Une même situation se trouve placée sous l'empire de diverses règles spéciales qui s'additionnent pour déterminer, par agglutination en quelque sorte, le droit applicable ». Dans leur rapport, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard évoquaient, à propos de notre stock normatif, l'image d'une « banquise dangereuse ». Il existe en effet une face cachée de notre législation, presque oubliée et pourtant bien présente dans l'ordre juridique interne.
En application de l'ancien principe selon lequel lorsque la raison d'être d'une loi disparaît, la loi ne s'applique pas, repris dès 1799 par le Conseil d'État, et du principe lex posterior derogat priori, le juge peut, il est vrai, constater l'abrogation implicite d'une norme par un texte ultérieur, ce qu'il a fait à plusieurs reprises.
Comme le souligne le professeur Sébastien Ferrari, que nous avons entendu, cette procédure est cependant réservée aux cas d'opposition les plus extrêmes entre deux textes successifs. Dans la mesure où le juge interprète la volonté du législateur, il ne peut en effet envisager cette possibilité qu'avec prudence, l'incompatibilité entre les normes devant être absolue pour éviter de créer des vides juridiques. Ainsi que vous pouvez le constater, ce qui paraissait simple commence déjà à se compliquer.
Les auteurs de la proposition de loi ont donc retenu le choix d'un texte d'abrogation expresse de plusieurs lois. Cette solution, qui offre l'avantage de la clarté et facilite le travail de recensement des textes abrogés, doit cependant être maniée avec une extrême précaution. Comme l'a fait observer le professeur Sébastien Ferrari dans la note qu'il nous a remise à l'occasion de son audition, « lorsque l'abrogation d'un texte est prononcée, elle produit un effet immédiat. La disparition du texte abrogé affecte, en principe, l'ensemble des situations en cours au moment de l'entrée en vigueur de la règle abrogative. Bien qu'elle soit tournée vers l'avenir, cette suppression est susceptible de perturber les situations antérieurement constituées, notamment en mettant fin prématurément à leurs effets. Le droit interne, comme le droit européen, ont été conduits à poser des limites à cette remise en cause, à divers titres. »
À ce moment du propos, je tiens à saluer notre collègue Jean-Luc Warsmann, ancien président de la commission des Lois, qui a pris une part importante à la simplification législative, en prenant ce sujet à bras-le-corps durant la mandature 2007-2012.
J'en viens à la manière dont ont travaillé les sénateurs pour arriver à ce résultat. Ils ont suivi une méthode très rigoureuse. Comme l'a rappelé le sénateur Vincent Delahaye lors de son audition, l'objectif des auteurs de la proposition n'était pas d'arriver à un inventaire exhaustif des lois obsolètes – l'exercice est, au demeurant, certainement impossible –, mais de dresser une liste de celles dont l'obsolescence sautait aux yeux. Par ailleurs, ils ont raisonné au niveau des lois elles-mêmes, et non de leurs articles.
Ils ont identifié un certain nombre de lois, suivant une logique d'écrémage, consistant d'abord à éliminer les lois qui n'étaient pas obsolètes – ce sont les plus simples à trouver. Ils sont ainsi partis du principe que pouvaient être raisonnablement considérées comme non obsolètes les lois ayant donné lieu à une modification depuis moins de 20 ans ou auxquelles un texte, législatif ou réglementaire, lui-même de moins de 20 ans, fait référence. Ils ont ensuite appliqué deux vérifications de sécurité, en excluant des lois auxquelles renvoie un texte législatif ou réglementaire ancien, mais non obsolète – parce qu'un texte récent y renvoie –, et en excluant les lois dont une juridiction a fait une application récente. Ils ont enfin vérifié que ces lois étaient toujours en vigueur, le site Légifrance comportant quelques erreurs pour les textes les plus anciens. Par sécurité, ils ont opéré des recoupements.
Voilà comment les sénateurs sont arrivés à ce résultat. Pour compléter cette méthode, ils ont aussi pris avis auprès du Conseil d'État, lequel a proposé quelques ajustements, suivis par la commission des Lois du Sénat.
Au total, nous vous proposons d'abroger 50 lois, ou presque. Aux yeux de certains d'entre vous, l'exercice présente peut-être un caractère déceptif : tout ce travail pour à peine 50 lois… ! Je l'ai dit, ce texte n'est pas le Grand soir législatif. La méthode, pour être efficace, doit être très rigoureuse et on ne saurait abroger les lois que d'une main tremblante.
Enfin, cette proposition de loi nous amène à nous interroger sur notre pratique législative. Ne sommes-nous pas trop bavards ? N'avons-nous pas tendance à légiférer pour un oui ou pour un non ?
Les sénateurs promettent une « saison 2 ». Sur la période 1940 jusqu'à nos jours, ils ont déjà répertorié plus de 200 textes qui pourraient être abrogés. Madame la présidente, il serait peut-être intéressant que nous participions avec eux, d'une manière ou d'une autre, à ce chantier important. Cela permettra une meilleure lisibilité et une meilleure accessibilité de notre droit pour les citoyens.