Intervention de Patrice Berg

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 14h00
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Patrice Berg, Directeur régional de la DREAL Normandie :

Sur la première question qui concerne les inspections, effectivement, c'est un site que nous connaissons bien, puisque nous avons fait 39 visites d'inspection depuis 2013. Ces inspections ont été motivées, au départ, par l'incident de 2013.

Cet incident, il faut le rappeler, avait eu lieu dans une unité de production, au niveau d'une cuve de production d'un produit qui est fabriqué chez Lubrizol et qui contient du soufre. De manière générale, ces produits contenant du soufre sont susceptibles de se figer, ce qui nuit à leur qualité. Il y a donc besoin de les mélanger régulièrement. En même temps il ne faut pas trop les mélanger, ou pas trop fort, parce que, si on les mélange trop fort, le produit s'échauffe. Ce produit, celui qui a dysfonctionné en 2013, est susceptible, en s'échauffant, d'émettre essentiellement du mercaptan.

C'est une molécule qui est très malodorante, mais qui n'est pas dangereuse. Il faut vraiment en absorber des quantités considérables. C'est la molécule qui a été ajoutée par Gaz de France à la demande des pouvoirs publics dans les années 70, lorsque l'on est passé du gaz de coke au gaz naturel, parce que le gaz naturel ne sent rien. Il y a eu plein d'accidents domestiques, de vieilles dames qui laissaient le gaz et qui ne le sentaient plus. Gaz de France, il y a 45 ans, a été sommé d'odoriser le gaz naturel qui était à la cuisinière, pour qu'il sente comme autrefois. C'est le rôle du mercaptan.

Le produit qui était en production en 2013, dans une cuve qui n'était pas très grande, est susceptible, quand il s'échauffe trop, d'émettre du mercaptan et d'émettre aussi de l'hydrogène sulfuré (H2S), qui est un produit beaucoup plus dangereux que le mercaptan.

En 2013, pour revenir rapidement sur cet incident, un opérateur avait laissé une cuve de production de ce produit en marché, pendant le week-end, avec deux agitateurs. Un, c'était normal ; deux, c'était un de trop. Le lundi matin, quand ils sont revenus, cela sentait le mercaptan dans l'usine et dans Rouen.

Ceci a mis en évidence une défaillance, il ne faut pas dire de l'opérateur, mais de l'entreprise. Pourquoi cet opérateur avait-il activé un deuxième agitateur et n'avait-il pas aussitôt pris conscience de son erreur en l'arrêtant ? Deuxièmement, dans cette usine, il y a en permanence une unité de traitement des émissions gazeuses pour supprimer les émissions éventuelles de mercaptan et d'H2S si, d'aventure, l'activité de production en émet. Nous nous sommes rendu compte que cette unité de traitement des évents, des émissions gazeuses, était efficace, mais pas complètement. En particulier, elle avait apparemment eu du mal à absorber les bouffées d'émission de mercaptan générées par l'incident de 2013.

C'est la première raison pour laquelle nous sommes allés souvent chez Lubrizol dans les années qui ont suivi. Nous y sommes allés huit fois en 2013, quatre fois en 2014, neuf fois en 2015, sept fois en 2016, trois fois en 2017, cinq fois en 2018 et déjà deux fois en 2019. Cela représente 38 visites, auquel s'ajoute celle effectuée le jour de l'incendie, soit un total de 39. Nous avions prévu, début 2019, d'y aller quatre fois sur l'ensemble de l'année. Nous y serions allés quarante fois sur sept années civiles, soit près de six fois par an.

Le programme pluriannuel de contrôles des installations classées du ministère prévoit que nous devrons nous rendre sur un site Seveso seuil haut au moins une fois par an. Vous voyez que nous y sommes allés entre cinq et six fois plus que ce qui est recommandé, à cause de l'accident de 2013.

Les premières inspections que nous y avons conduites ont consisté à vérifier l'application des prescriptions prises à l'encontre de l'entreprise. Elles avaient pour objet, tout particulièrement, d'améliorer le fonctionnement de cette unité de traitement des émissions gazeuses dans deux directions : l'amélioration du rendement de cette unité et l'amélioration de sa capacité à traiter les bouffées de mercaptan.

Nous avons, parallèlement à ces inspections sur site, eu des échanges nourris avec l'union des industries chimiques de Normandie (UIC Normandie), qui est maintenant France Chimie Normandie. Ils ont porté sur ce que nous avons appelé, d'une manière générique, et non stigmatisante pour les opérateurs de base, le facteur humain. C'est-à-dire, comment s'assurer que le management d'un site Seveso, d'une ICPE complexe, puisse être efficace et mobiliser chacun ? Il faut que chacun comprenne bien la place qu'il a dans un ensemble complexe et ce qui se passe lorsqu'il appuie sur un bouton, quand il choisit le mauvais bouton ou s'il omet d'appuyer à nouveau sur un bouton pour arrêter ce qu'il vient de déclencher.

Les 39 inspections, sur ces sept années civiles ont d'abord porté, pendant une première séquence , sur les suites de l'incident de 2013 et l'amélioration effective, et constatée d'ailleurs, de ce crématic.

Dans un deuxième temps, nous avons souhaité vérifier la réactivité et la proactivité de l'entreprise en cas d'incident ou d'accident. Il y a une manière assez simple, pour l'inspection des installations classées, de faire cette vérification, c'est de déclencher un plan d'opération interne (POI). La bonne pratique consiste à d'abord déclencher un POI programmé. Nous les prévenons. « Nous venons tel jour, nous vous dirons : il y a tel accident et nous allons voir comment vous vous en débrouillez. »

La bonne pratique, c'est ensuite de faire un POI inopiné. Nous ne prévenons pas à l'avance du jour où nous venons et de quels sujets nous allons traiter. L'idée est de voir ce qui se passe dans ce cas.

Nous avons d'abord provoqué un POI programmé puis un POI inopiné. Ceci nous a permis d'accompagner l'exploitant dans l'amélioration de sa réactivité, de sa proactivité et de son efficacité en cas d'accident. Je pense que ces deux POI, programmé, puis inopiné, ont été utiles. Ils ont permis une bonne compréhension.

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