Je voudrais d'abord en premier lieu, remercier les pompiers, la police nationale et l'ensemble des personnels municipaux qui ont été présents sur les lieux de l'incendie et aux abords.
Depuis le 26 septembre, j'ai, à de nombreuses reprises, pris la parole pour demander que soient pris en compte la ville de Petit-Quevilly et ses habitants. Le sentiment qui a émergé de mes concitoyens, dès le jour même, peut être résumé par une phrase prononcée par une riveraine, qui s'est rendue à l'accueil psychologique mis en place à ma demande à partir du 2 octobre.
Pour vous préciser, la ville de Petit-Quevilly est riveraine directe de l'usine, un tiers à peu près de l'usine de Lubrizol est sur le territoire de Petit-Quevilly, et les riverains les plus en proximité de l'usine sont des habitants de Petit-Quevilly.
Cette habitante a eu ces mots : « J'ai eu l'impression que nos vies n'avaient pas de valeur. » La catastrophe que nous avons vécue met en lumière un certain nombre de dysfonctionnements, de mon point de vue, dans la gestion et dans la communication à destination des habitants et des communes. Je vais illustrer mon propos par un court résumé de la journée du 26 septembre.
Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, le cadre d'astreinte, cette nuit-là, était le directeur des services scolaires. Il a été informé de l'incendie par la police nationale, à 4 heures 14. La police lui a demandé la mise en place de barriérages dans un certain nombre de rues à proximité du site. Ce barriérage a débuté à 5 heures 15.
Il s'est rendu sur place à 4 heures 45 afin de constater l'ampleur de l'incendie. Il a ensuite appelé le directeur général des services et le directeur du service de la prévention et du développement social urbain. J'ai été appelée par le directeur général des services à 5 heures 20.
La cellule de crise municipale a été installée à 6 heures. Nous avons informé les habitants concernés par le périmètre des 500 mètres de confinement, à 6 heures 11, par le système d'alerte dont la ville a fait l'acquisition en 2013. La mairie et le centre technique municipal étant dans le périmètre barriéré à la demande de la police nationale, j'ai pris la décision de ne pas faire venir les agents travaillant dans ces deux lieux. Ils ont été informés à 6 heures 16. J'ai également pris la décision de fermer les deux écoles de ce périmètre.
L'information délivrée par le préfet à 7 heures 30 sur France Bleu nous a appris que les écoles de 12 communes étaient fermées pour la journée. Compte tenu de notre proximité immédiate avec le site, nous aurions dû, de notre point de vue, être sur la liste des communes concernées. À 7 heures, nous avions pris l'attache du service interministériel régional des affaires civiles et économiques de défense et de protection civile (SIRACEDPC) et du secrétaire général de la préfecture pour savoir ce que nous devions faire. À 7 heures 42, nous avons reçu deux informations contradictoires : l'une nous indiquant de ne pas fermer les établissements scolaires et l'autre que toutes les écoles de la métropole devaient fermer. Devant l'absence d'informations claires quant à l'ampleur de l'incendie à ce moment, et d'information nous indiquant ce que nous devions faire pour les établissements scolaires, j'ai donc pris la décision de fermer l'ensemble des établissements scolaires, y compris ceux dont je n'ai pas la charge. Nous avons également fermé les crèches municipales. L'ensemble de la population en a été informé à 8 heures. Cependant, à 7 heures 45, de nombreux collégiens étaient déjà en route vers leurs établissements.
J'avance un peu dans la journée du 26 septembre. À 14 heures 56, nous avons reçu un appel du SIRACEDPC nous indiquant que le périmètre des 500 mètres de confinement allait probablement être maintenu le soir et la nuit du jeudi 26. La protection civile avait préalablement pris contact avec nous, afin de recenser nos besoins pour organiser l'accueil des habitants pour la nuit.
À 15 heures 30, nous apprenons, en écoutant la conférence de presse du préfet, que le périmètre est finalement levé. Nous en avons informé les riverains concernés à 16 heures 27. Compte tenu des informations contradictoires ou du manque d'informations que nous avions eus dans la journée, nous avons préféré prendre l'attache des services de la préfecture pour avoir confirmation de la levée du confinement.
Nous apprenons également le maintien de la fermeture des établissements scolaires dans les 12, ou 13, je ne sais plus, communes concernées, dont nous ne faisons toujours pas partie, malgré notre proximité avec le site. La décision de fermer ou non les établissements scolaires de Petit-Quevilly a été laissée à mon appréciation. Par précaution, afin de procéder aux vérifications d'éventuelles retombées de suie ou d'hydrocarbures dans les établissements et à leur nettoyage, j'ai décidé de maintenir les établissements scolaires et les crèches fermés le vendredi 27 septembre.
Je précise que je n'ai jamais été invitée aux venues des ministres Christophe Castaner, Agnès Buzyn et Élisabeth Borne. Je me suis donc imposée à chaque reprise.
Le directeur du service municipal de la prévention et du développement social a appris, le matin du vendredi 27 septembre, par une rencontre fortuite avec une photographe de l'AFP présente sur la ville, l'organisation d'une cellule de crise avec les maires des communes concernées, l'après-midi même. Après quatre appels à la préfecture, j'ai enfin reçu une invitation.
J'ajoute que la sirène, entendue à 7 heures 45, soit cinq heures après le début de l'incendie est arrivée, de mon point de vue, bien trop tard à Petit-Quevilly. Bon nombre d'habitants avaient été réveillés par l'incendie lui-même et par les explosions en chaîne à partir de 5 heures du matin. Ils avaient donc fui leur domicile afin d'assurer leur sécurité et celle de leur famille. Cette sirène doit déclencher l'application, par les habitants, des consignes de sécurité à prendre en cas de risque majeur, figurant sur un dépliant et un magnet, émanant de la préfecture et distribués par la ville. Un document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM) leur avait également été envoyé. Nous avons enfin, lors de l'acquisition d'un système d'alerte, incité l'ensemble de la population à s'y inscrire.
Lorsque nous avons demandé à avoir précisément le périmètre des 500 mètres décidé par le préfet, nous ne l'avons pas obtenu, car il n'était pas communicable. C'est la réponse qui nous a été faite. À défaut, nous avons demandé à avoir le nom des rues concernées, et nous ne les avons jamais obtenus.
Quatre semaines après, l'inquiétude est encore grande dans la population, devant le décalage entre la communication des autorités et ce que la population était en train de vivre. La confiance a été rompue et est difficilement rattrapable aujourd'hui. Les habitants sont clairement désorientés. L'inquiétude suscitée par les conséquences à long terme de l'incendie sur la santé des habitants est toujours présente aujourd'hui. Les odeurs persistantes, et encore présentes ce matin à Petit-Quevilly, ne sont pas de nature à les apaiser ni à les rassurer. Leur inquiétude a besoin d'être rapidement prise en compte et prise en charge.
Je conclurai en vous lisant le témoignage d'un Quevillais qui habite à 100 mètres du site :
« J'ai choisi de faire ma vie ici dans ma maison familiale, à côté de Lubrizol. J'ai acheté en connaissance de cause et me suis habitué chaque jour aux bruits des chariots élévateurs, des sirènes des véhicules. Le 26 septembre, j'ai entendu une première sirène interne à 2 heures 30, et je me suis rendormi. Mais à 5 heures, il y a eu une forte détonation qui nous a réveillés. Nous avons entendu des cris dans la rue. Je suis sorti dans la cour et j'ai vu rougeoyer le ciel avec le panache de fumée. Nous avons vite pris nos papiers, prévenu nos voisins et sommes partis en voiture rejoindre des amis sur un parking. Nous étions en mode survie, complètement perdus. Nous avons passé notre journée chez mes beaux-parents à écouter la radio et à regarder la télévision. Depuis l'incendie, ma compagne et moi avons du mal à dormir. Notre fils de dix ans fait des cauchemars toutes les nuits. Nous pensons quitter la région. Je le regrette, mais après l'incident du mercaptan en 2013 et cet incendie, je n'ai plus confiance. Je m'interroge sur le stockage des matières dangereuses, sur la sécurité et la pollution de l'air. »