Merci de cet entretien qui nous permet de revenir sur ces évènements. Je vais vous donner des éléments très factuels qui me permettront de répondre aux questions en les complétant.
Il y a, au centre de surveillance urbaine (CSU) de Rouen, un opérateur de permanence toutes les nuits. Les pompiers l'ont prévenu de l'incendie en cours sur le site de Lubrizol à 3 heures 15 du matin, sans solliciter la présence ni d'un responsable de la ville sur les lieux, ni l'intervention de personnels d'astreinte. Un peu plus tard, la direction départementale de la police l'a rappelé pour demander qui était d'astreinte afin de poser des barrières au rond-point de Madagascar, qui est juste à côté de l'usine.
L'astreinte est organisée entre, d'une part, la direction générale, la directrice générale, les directeurs et directrices généraux adjoints qui sont trois, le directeur de cabinet, le chef de cabinet, et, d'autre part, quatre ou cinq directeurs qui tournent. Grosso modo, cela revient toutes les huit à dix semaines.
À 3 heures 30, une élue de la ville qui habite en face, sur les hauteurs, m'a réveillé de chez elle. Compte tenu de la configuration géographique, elle a entendu des explosions et vu l'incendie. Elle a appelé le cadre d'astreinte qui n'avait pas été informé. Cette semaine-là, c'était le chef de cabinet. Il appelle le CSU à 3 heures 40. Le CSU lui indique qu'un incendie est en cours sur le site de Lubrizol, lui donne les quelques informations en sa possession, car après avoir été informé à 3 heures 15, par l'opérateur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), il n'a pas eu d'autres informations.
C'est à 4 heures du matin, que le CSU est informé par le SDIS que, devant l'ampleur de l'incendie, de gros moyens sont mis en place sur le site pour éviter la propagation du sinistre et contenir le feu, ce qui, disent-ils, n'est pas assuré à cause de la nature des produits qui se trouvent sur place. Ils précisent qu'un poste de commandement de pompiers a été mis en place à proximité de Lubrizol.
À 4 heures 15, le CSU a appelé mon chef de cabinet pour lui indiquer qu'il n'y avait pas de victime sur place, et qu'il pouvait prendre contact avec le poste de commandement. Il pose la question de savoir s'il doit se rendre sur place. C'est le cas en général, quand nous sommes prévenus d'un problème, accident, victime ou autre. C'est très irrégulier, cela peut arriver trois fois dans une semaine, et zéro fois pendant trois semaines. On lui dit que ce n'est pas utile et que le SDIS n'a pas sollicité de présence d'autorité de la ville sur place. Le CSU le prévient que l'astreinte de la direction des espaces publics (DEPN) est en train d'installer les barrières qui délimiteront le périmètre de sécurité demandé par la police nationale.
À 5 heures du matin, mon chef de cabinet reçoit un appel de la personne d'astreinte de la préfecture. Elle sollicite des renforts de la police municipale aux points de contrôle de ce périmètre. Il contacte alors le CSU pour s'assurer qu'il est possible de mobiliser la police municipale de nuit et le confirme à la préfecture.
J'ai été appelé par le directeur de cabinet du préfet à 5 heures 40, sur mon téléphone portable. Comme il est très public, plusieurs milliers de personnes l'ont, je l'éteins la nuit. J'estime que c'est déjà long et lourd la journée, donc la nuit, le téléphone ne sonne pas. Le directeur de cabinet à ce moment-là appelle mon chef de cabinet, qui, lui, me joint à 5 heures 45 et me fait part de la situation.
Je reprends contact avec le directeur de cabinet du préfet un peu avant 6 heures. J'ai deux informations essentielles. Je ne me suis pas attardé, puisque j'ai considéré que la responsabilité de ce qui était en train de se passer était une responsabilité d'État. À partir du moment où nous sommes dans un plan particulier d'intervention (PPI), c'est la responsabilité de l'État. Je considère que quand il y a un responsable dans les moments de crise, d'accident ou autre, on ne cherche pas à compliquer la tâche de ses responsables.
J'ai deux informations essentielles. Le préfet a décidé de fermer des écoles. Nous avons relayé cette information immédiatement. Il a souhaité, et personnellement, j'ai considéré aussi que c'était un souhait essentiel, limiter la circulation automobile. Le souci étant de faire venir des pompiers supplémentaires tout au long de ce début de matinée, ou de cette fin de nuit, il serait bien dommage que les pompiers soient coincés par une circulation excessive. Le pont stratégique pour la circulation dans Rouen, et l'accès des gens sur Rouen le matin, c'est le pont Flaubert. Il est à 300 ou 400 mètres à vol d'oiseau de l'usine Lubrizol. Une fois que ce pont est fermé, des embouteillages absolument considérables de chaque côté peuvent empêcher de le passer.
C'est donc le point de départ. Je prends contact alors avec ma directrice générale, qui a été aussi prévenue de son côté. Emmanuel Macé, qui est à mes côtés, est l'homme des risques de la ville depuis une vingtaine d'années. C'est le responsable de tout ce qui concerne les risques en tout genre. Il va aller à la préfecture à partir de sept heures et demie du matin et il y restera deux jours entiers. Il pourra vous donner plus de précision. Il restera tard, le premier soir, dans sa cellule de crise, où j'ai eu l'occasion moi-même d'aller, pour une demi-heure. En même temps qu'Emmanuel Macé, j'ai demandé à un directeur général adjoint de la métropole d'y aller aussi. Il y avait donc deux personnes, une de la métropole et une de la ville de Rouen, qui sont restées l'essentiel de ces deux jours à la préfecture. Ils nous ont transmis un maximum d'informations.
Ce dont nous nous sommes occupés entre 7 heures et 9 heures, avec les différents responsables de la ville qui arrivaient, c'est surtout de la direction des écoles. La ville de Rouen compte 55 écoles qui accueillent 7 000 enfants. Ma hantise, c'était que des enfants soient venus seuls à l'école et se retrouvent sans personne à l'école, les portes closes. Nous nous sommes assurés qu'il y avait des personnels dans toutes les écoles pour les accueillir des enfants. De fait, à huit heures et demie, très peu d'enfants, moins d'une dizaine, sont venus jusque dans les écoles.
La meilleure information qui a circulé, c'est celle de Radio France Bleu. Je suis moi-même intervenu à l'antenne. J'ai aussi été appelé, dès sept heures moins le quart, par France info. Je suis intervenu en direct à 7 heures 10 ce matin-là sur l'antenne nationale pour donner deux informations. Premièrement, puisque les écoles et les crèches étaient fermées, il fallait que les parents gardent leurs enfants. Deuxièmement, il fallait absolument que toutes personnes qui n'étaient pas encore parties de chez elles ne partent pas en voiture. Elles pouvaient venir à pied ou en transports en commun. Les transports en commun fonctionnaient à cette heure. Elles pouvaient venir, mais ce n'était pas utile de venir en voiture. Je vous ai dit tout à l'heure, la nécessité absolue était de ne pas compliquer la circulation.
Dans cette période, on s'est assuré que cela se passait bien dans les crèches et les écoles.
À partir de 9 heures, toutes les heures, et l'après-midi de façon un peu moindre, il y avait une réunion générale des directeurs et chefs de service présents, pour délibérer des consignes à donner à leur personnel. Celle qui avait été donnée à ceux qui étaient venus en voiture était de ne pas repartir en voiture. Il y a des personnels qui viennent tôt, les premiers viennent à sept heures et demie. Il y a des gens qui ont trois quarts d'heure de trajet et tout le monde n'écoute pas forcément France info le matin.
Ensuite de cela, sollicité personnellement par le préfet, je suis allé à neuf heures et quart, sur le site où M. Castaner est venu ensuite. Le constat que nous pouvions faire à ce moment-là, puisqu'on est allé jusqu'à 30 mètres de l'incendie, c'est qu'il n'était pas éteint. Mais à cette heure-là, le représentant des pompiers nous a dit qu'il n'y avait plus de risque de propagation à la ville. Pour ceux qui ne connaissent pas Rouen, Lubrizol est complètement à l'extrême ouest, à la limite de Petit-Quevilly. À partir de ce moment-là, la présence de l'incendie sur l'essentiel de la ville est très peu visible, à part la fumée... Le cône de fumée part du quartier le plus à l'ouest de la rive droite, vers le nord-est, hors de la ville de Rouen.
Ce quartier est le seul qui a été touché par des suies et par quelques morceaux du toit de l'usine de Rouen.
Je suis de nouveau intervenu à la radio dans la journée, une ou deux fois et sur BFMTV. La totalité des médias s'acharne à nous solliciter absolument en permanence pour dire à peu près la même chose. Il y en a tellement aujourd'hui qu'on ne sait jamais si on les a tous faits. Je ne suis pas sûr que cela soit d'une très grande efficacité en termes d'information du public.
J'en viens à vos questions. Pour l'astreinte, vous avez la réponse. J'ai indiqué les contacts pris. La première information que j'ai donnée à la population, c'est sur France info, et ce sont les deux informations suivantes : ne circulez pas en voiture ; crèches et écoles sont fermées. Était-ce suffisant ? Difficile à savoir. Pour moi, il était essentiel que ces deux informations soient dites et redites. Je sais qu'elles ont été répétées par la suite.
Dans ces moments, ma conviction est qu'il vaut mieux peu d'informations, mais essentielles et stratégiques, que noyer les gens sur toutes sortes d'informations qui pourraient créer de la confusion. Des incendies, j'en ai vu d'autres en 30 ans d'élu local, y compris celui de la rue Jeanne d'Arc, à Rouen, en plein été, où deux immeubles ont brûlé plus longtemps. Ce qui est essentiel, c'est surtout d'éviter que les pompiers soient gênés dans leur accès.