Je voudrais commencer par vous présenter l'entreprise et donner quelques éclairages sur notre contexte. Il est important de situer les entrepôts qui ont brûlé dans un contexte plus global. Il faut savoir que notre entreprise est une ETI. C'est un petit groupe d'entreprises de 500 personnes, qui sont présentes principalement sur le triangle Rouen, Caen, Le Havre, et également à Rennes et Angers. Notre métier principal est le transport. Nous sommes transporteurs avant tout. Cela représente environ 80 % de notre chiffre d'affaires.
La partie entreposage, qui a été touchée par ce sinistre, représente environ 15 % de notre activité. Nous sommes par ailleurs transitaires au Havre. Nous sommes dans la supply chain, cela signifie que nous intervenons à la fois dans le transport, l'entreposage, et dans les flux internationaux.
En ce qui me concerne, j'ai racheté une entreprise cannaise en 2010. J'ai repris en 2011 la partie Normandie Logistique qui était historiquement composée des agences haut-normandes.
Le groupe a une clientèle très diversifiée et la chimie ne représente pratiquement qu'un seul client. Il s'agit de Lubrizol, principalement à cause de la proximité et le voisinage. Je tiens également à souligner que l'entreprise qui a été touchée, qui est exploitante du site sinistré, n'est pas la société Normandie Logistique en tant que telle, qui est la holding du groupe, mais c'est la société NL Logistique. C'est une PME de 50 personnes. Il faut remettre cela dans le contexte. L'entité est une PME qui exploite environ 60 000 mètres carrés d'entrepôts sur Caen, Rouen, Le Havre, et sur six sites. C'est l'un de ces six sites qui a été touché. Pour donner un ordre de grandeur, la société NL Logistique, c'est huit millions de chiffre d'affaires. Comparés au milliard de chiffre d'affaires de Lubrizol, nous sommes des « lilliputiens », au voisinage d'une société de grande taille. Il faut aussi comprendre que nous avons pris l'histoire en cours de route. Le site, ce sont les entrepôts portuaires qui datent de 1920. C'est une très ancienne implantation. Ce sont des entrepôts qui servaient au stockage de masse et au stockage de bois à une époque.
Concernant notre mitoyenneté avec Lubrizol, je tiens à préciser que le site fait 300 mètres de long et fait par endroits 40-60 mètres de largeur. C'est vraiment une bande de terrain sur laquelle sont implantés ces bâtiments. Lorsque nous regardons les photos aériennes historiques, nous nous apercevons de l'implantation industrielle des deux sites SEVESO dont nous sommes entourés, Lubrizol qui est seuil haut, et Triadis qui est de l'autre côté. L'urbanisation industrielle s'est faite au fil du temps. L'histoire des entrepôts est liée à l'antériorité. Cela signifie que toutes les lois liées à l'ICPE ont bénéficié d'un régime spécifique, qui est un régime d'antériorité. Il faut savoir qu'aujourd'hui, le site est détruit à 50 %, mais nous savons déjà que de toute façon, nous ne pourrons jamais le reconstruire au même endroit. C'est impossible, de par son étroitesse et sa configuration géographique.
Je veux également rappeler que nous sommes sous un régime d'installations classées, qui relève du régime de l'enregistrement, dans la rubrique 1510. Celle-ci nous permet de stocker des produits combustibles, différents des produits inflammables, produits dangereux et produits toxiques qui étaient stockés chez notre voisin Lubrizol.
Concernant nos rapports avec la DREAL et les deux visites que vous avez évoquées, la première visite date du plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Nous avons eu une visite de l'administration qui nous a dit que nous étions dans une zone où notre voisin nous exposait à un danger de destruction. Si vous regardez la carte du PPRT et que vous superposez par rapport au sinistre que nous avons, c'est exactement ce qui était prévu. Il n'y a pas de surprise. Nous avons été détruits exactement comme le prévoyait le PPRT, qui a été réalisé par l'exploitant Lubrizol. Nous ne sommes pas un site « SEVESO », nous sommes une ICPE relevant de la rubrique 1510. Nous ne stockions donc que des produits combustibles, des produits qui ne sont pas susceptibles de s'auto-enflammer. Les points d'éclair des produits que nous stockions sont relativement hauts en température.
En ce qui concerne la visite de 2017, lorsque j'ai acheté l'entreprise, nous avons fait un regroupement en 2011 entre l'entreprise que j'avais achetée en 2010 à Caen et celle de 2011 en Haute-Normandie.
Le cédant m'avait expliqué de longue date que Lubrizol était intéressée par le site. C'était une constante. Nous avions identifié que ces bâtiments étaient anciens. Ils ne m'intéressaient pas trop, mais ils étaient dans le « package » de l'entreprise. Lorsqu'il y a eu le PPRT, j'ai compris qu'il était plus facile et que cela correspondait plus aux normes des bâtiments que nous avions, de céder ces bâtiments. Comme Lubrizol était intéressée, nous avons commencé à discuter. C'était relativement long. En 2017, nous nous sommes mis d'accord sur la chose et le prix. L'opération aurait dû se faire. Nous avons même repris un autre bâtiment de l'entreprise Rexel. Sur ce bâtiment, nous avions transféré une partie des stocks et à un moment donné, il ne restait plus que les stocks Lubrizol. Au dernier moment, d'après ce que nous avons compris, tous les achats ont été suspendus, parce qu'ils ont fait une perte colossale aux États-Unis – il me semble de 365 millions de dollars. Le président a été remercié. Il y a un nouveau président – que vous avez rencontré – qui est arrivé. On nous a dit que nous ne pouvions plus acheter. Nous avons essayé de leur louer le bâtiment. Nous nous sommes trouvés face à un problème juridique lié à notre antériorité. Si nous leur louions le bâtiment, nous perdions l'antériorité, au cas où ils n'achetaient pas le bâtiment. Nous avons patienté et nous devions nous revoir en octobre 2019 pour finaliser l'acquisition. C'était quelque chose qui était en discussion et qui est resté très présent dans nos enjeux.
Concernant les visites de la DREAL, que ce soit lors du PPRT ou lors de la visite de 2017, nous n'avons jamais eu aucun retour de leur part sur les prescriptions qui auraient été nécessaires sur notre bâtiment et qui n'auraient pas été présentes. Je tiens également à préciser que l'intention de Lubrizol était d'intégrer nos entrepôts pour y stocker des produits dangereux, ce qui n'était pas le cas des produits que nous stockions et que nous stockons encore aujourd'hui. La DREAL a fait une étude sur les prescriptions nécessaires pour que ces produits dangereux soient stockés dans ses entrepôts. Je pense que ce sont des documents qui sont disponibles à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), mais que nous n'avons pas et qui n'ont jamais été communiqués. Nous n'avons jamais eu aucune remarque là-dessus.
Comme la presse l'a indiqué, nous stockions environ 8 000 tonnes de produits dans l'ensemble des bâtiments. Comme la moitié des bâtiments ont été détruits, ce sont 4 000 tonnes qui ont été brûlées. Les autres produits que nous stockions comprenaient 2 000 tonnes de gomme arabique, 800 tonnes de bauxite, 600 tonnes de magnésie et divers autres produits. Sur les 4 157 tonnes stockées pour Lubrizol, 1 691 ont été détruites. Je laisserai Christian expliquer pourquoi nous n'avons pas communiqué aussi rapidement que cela aurait été souhaité sur les stocks.