Intervention de Graziella Melchior

Réunion du mardi 19 novembre 2019 à 18h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGraziella Melchior, rapporteure pour avis :

Madame la secrétaire d'État, je vous remercie pour votre plaidoyer en faveur de l'économie circulaire. Heureuse coïncidence, nous débutons l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire au coeur de la semaine européenne de la réduction des déchets.

Présenté en conseil des ministres le 10 juillet 2019 et adopté en première lecture au Sénat le 27 septembre dernier, le texte constitue une réponse ambitieuse et pragmatique à la nécessité de revoir nos modes de production et de consommation face aux bouleversements climatiques que nous subissons. L'enjeu est de faire passer notre économie d'un modèle linéaire du tout jetable à une économie circulaire, où le déchet est considéré comme une ressource.

Composé initialement de quatre titres, le projet de loi s'articule en quatre grands axes : améliorer l'information du consommateur ; renforcer la lutte contre le gaspillage ; rehausser la responsabilité des producteurs dans le but de mieux appréhender les déchets, de la prévention à leur gestion ; et enfin assurer la conformité de notre droit avec le droit européen. La France peut et doit montrer l'exemple, comme le prouve le projet de loi. Mais nous devons unir nos forces à l'échelle européenne. Les récentes directives dont le présent texte autorise la transposition montrent que l'Europe est prête à agir sur ces sujets.

Il faut saluer le travail des sénateurs qui ont considérablement enrichi le texte. Deux nouveaux titres ont été ajoutés : le premier prévoit des objectifs ambitieux en matière de réduction des déchets ; le deuxième introduit un arsenal de mesures pour améliorer la lutte contre les dépôts sauvages.

Je tiens à remercier chaleureusement les rapporteures de la commission du développement durable, qui accomplissent un travail considérable. Nous avons pu échanger ensemble de façon très fructueuse. La commission du développement durable a sollicité notre avis au fond sur l'article 4 bis A relatif à l'information du consommateur en matière de garantie légale de conformité, l'article 4 quater D relatif à la lutte contre l'obsolescence logicielle et enfin l'article 12 G qui concerne la traçabilité des déchets du bâtiment. Notre saisine pour avis porte sur l'ensemble du texte. Je voudrais à ce titre souligner qu'en plus des enjeux environnementaux, l'occasion pour les acteurs économiques est de taille et que nous devons capitaliser sur le potentiel de renouveau industriel que le texte peut susciter.

En tant que rapporteure, j'ai travaillé dans un souci permanent pour préserver l'équilibre du projet de loi entre les enjeux écologiques et économiques. Ces deux dimensions ne s'affrontent pas ; je crois, au contraire, qu'elles sont complémentaires. La transition vers une économie circulaire se fera non pas contre mais avec les entreprises. J'ai entendu l'inquiétude de certains de nos industriels sur le texte. Nous devons assurer une transition qui laisse un temps d'adaptation nécessaire. Si certains ajouts du Sénat partent de bonnes intentions, ils ne sont tout simplement pas opérationnels et pourraient avoir un impact démesuré sur notre économie. J'ai aussi entendu le remarquable consensus qui se dessine sur les objectifs globaux que nous cherchons à atteindre avec le projet de loi. C'est déjà une victoire pour le changement de modèle économique que nous souhaitons amorcer.

Le titre Ier du projet de loi comporte plusieurs mesures, pour répondre aux aspirations grandissantes des consommateurs à consommer plus durable. Le renforcement des dispositifs d'information du consommateur aura un effet incitatif sur les producteurs : plus les consommateurs seront informés, plus ils seront sensibilisés à l'impact environnemental de leurs achats et plus les producteurs seront susceptibles de modifier leur processus de production pour répondre à la nouvelle demande.

Avec l'article 1er de la loi, nous créons un dispositif d'affichage de la qualité environnementale des produits. Alors que les Français nous attendent sur ce sujet, les progrès que nous permettons sont considérables. L'information doit être la plus complète possible.

Pour sortir du tout jetable, la réparation doit être valorisée. C'est, là aussi, une attente des citoyens. Le secteur de la réparation fait l'objet d'une attention particulière dans le projet de loi. Je me félicite ainsi tout particulièrement de la création d'un indice de réparabilité. La réparation répond à un triple objectif : favoriser le pouvoir d'achat des ménages ; répondre aux aspirations de la société civile ; faire vivre une filière riche en emplois locaux non délocalisables.

Pour renforcer les droits des consommateurs et promouvoir l'économie de la réparabilité, la garantie légale de conformité constitue un levier considérable. Elle permet à tout consommateur d'obtenir la réparation ou le remplacement de son bien en cas de défaut de conformité, pendant une durée de deux ans. Les leviers pour renforcer son efficacité sont nombreux. J'ai déposé plusieurs amendements en ce sens.

Parmi les défis auxquels nous devons répondre pour assurer une consommation plus durable, l'obsolescence logicielle occupe une place particulièrement importante. Elle désigne le fait, pour un appareil numérique, d'être rendu inutilisable au bout d'un certain temps à cause des mises à jour des logiciels nécessaires à son utilisation. C'est un sujet majeur dont s'est saisi le Sénat. Un premier pas doit être franchi, mais il doit tenir compte de la réalité technique de la notion et du cadre européen.

La prise de conscience des enjeux environnementaux et sociaux contemporains touche les consommateurs et les citoyens, mais elle touche aussi le monde de l'entreprise. La transition vers une économie circulaire ne pourra se faire sans elle. Pour cela, nous devons responsabiliser davantage les acteurs. Le titre II du projet de loi prévoit des mesures pour lutter contre le gaspillage, qui est avant tout un problème de société. Il renvoie au fait que, collectivement, nous surproduisons, nous surconsommons et jetons de façon massive. Il contribue à la crise écologique que nous traversons et représente une véritable aberration économique, tant pour les entreprises que pour les ménages. La destruction des produits est, à ce titre, aussi insupportable qu'incompréhensible. Chaque année, 630 millions d'euros de produits sont détruits. L'article 5 du projet de loi interdit la destruction des invendus. La France se place ici à l'avant-garde en matière de lutte contre le gaspillage des ressources. Nous pouvons d'ailleurs espérer un effet stimulant pour les filières de réemploi et de réutilisation. L'économie circulaire est une boucle vertueuse.

Le sujet du gaspillage alimentaire me tient particulièrement à coeur. Rappelons que ce sont 16 milliards d'euros qui sont perdus chaque année. La loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire a lancé une tendance qu'il faut aujourd'hui poursuivre. Le rapport d'évaluation que j'ai établi avec mon collègue Guillaume Garot dégage à cet effet plusieurs pistes. Les sénateurs en ont repris certaines propositions. Les dispositions relatives au régime des sanctions en cas de javellisation méritent d'être précisées. L'inscription d'une définition législative du gaspillage alimentaire dans la loi française consoliderait toute la politique publique. L'obligation de conventionnement doit aussi être élargie à de nouveaux acteurs.

Le texte s'attaque, avec le titre III, à la question de la responsabilité élargie des producteurs. Depuis 1975, le principe de la REP a fait ses preuves en faisant considérablement progresser les taux de collecte et de recyclage des déchets. Il concerne aujourd'hui quatorze familles de produits. Ce projet de loi propose d'élargir le champ de certaines REP existantes et d'étendre le principe à de nouvelles filières. Huit REP supplémentaires sont ainsi créées. Ce sera l'occasion d'améliorer la gestion des déchets, mais aussi de stimuler la filière industrielle de gestion des déchets et l'innovation pour créer des matières plus vertueuses.

J'aimerais, à ce titre, dire un mot sur la question de la REP « bâtiment » qui suscite beaucoup de débats. Le volume des déchets générés par le secteur du bâtiment est d'environ 42,2 millions de tonnes chaque année, dont 9,7 millions de tonnes sont des déchets non dangereux non inertes. Leur taux de valorisation se situe à moins de 50 %. Les problèmes des déchets sauvages et de la saturation des centres de collecte concernent, quant à eux, tous les déchets du bâtiment. Nous devons améliorer la traçabilité et la gestion des déchets du bâtiment. Le projet de loi comprend de nombreuses mesures qui vont dans ce sens ; ne revenons surtout pas en arrière.

Dans le texte, nous faisons évoluer le curseur des REP, afin de prendre en compte la question des déchets dans leur globalité. L'enjeu est, certes, de mieux gérer les déchets, mais nous devons désormais accorder une place plus grande à l'éco-conception : le meilleur déchet est encore celui que nous ne produisons pas. La généralisation d'un système ambitieux de « bonus-malus », selon les caractéristiques environnementales, permettra d'envoyer les bons signaux aux producteurs : nous récompensons les vertueux et incitons les autres à s'engager dans la transition.

Pour finir, le texte prévoit la création d'une consigne. Si la plupart de ses mesures font consensus, celle-ci suscite de nombreuses craintes, que j'ai bien entendues, mais elle est nécessaire pour parvenir à nos objectifs. Nous devrons atteindre d'ici à 2029, un taux de collecte de 90 % des bouteilles en plastique, ce qui est impossible en l'état actuel du système. En 2017, ce taux est estimé à 57 % en France métropolitaine. Certaines collectivités, notamment la Bretagne, sont bonnes élèves, mais nous sommes encore loin du compte. Regardons ailleurs en Europe et dans le monde : la consigne est un levier indispensable pour passer un nouveau cap en matière d'efficacité dans la collecte et le recyclage. Elle représente également une chance économique. C'est l'occasion de faire émerger une offre de qualité du plastique recyclé français, alors que le marché est confronté à un problème d'offre. Cela étant, je suis, bien évidemment, sensible aux craintes exprimées par les collectivités. La consigne a vocation à se faire avec elles. Les collectivités jouent un rôle primordial dans la gestion des déchets.

Toutes ces propositions doivent contribuer à transformer notre modèle économique, aujourd'hui en pleine mutation sous l'effet de la prise de conscience générale de l'urgence écologique et du changement des comportements. Le renforcement de l'information du consommateur répond à l'aspiration, exprimée par les citoyens lors du grand débat national, à une production raisonnée, réfléchie et davantage respectueuse de l'environnement. L'offre économique est en train de s'adapter à cette nouvelle demande. À nous, législateurs, d'accompagner cette tendance en appelant les acteurs à relever les défis qui leur sont proposés, pour en finir avec un modèle linéaire qui a montré ses limites et aller vers une économie ayant davantage de sens.

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