Intervention de Jan Wörner

Réunion du mardi 29 octobre 2019 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jan Wörner, directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA) :

Le conseil ministériel « Space19+ » nous tourne vers l'avenir, caractérisé par des défis mondiaux, parmi lesquels le changement climatique ou la question des ressources énergétiques.

Qu'est-ce que l'espace aujourd'hui ? Il s'agit tout d'abord d'un ensemble d'infrastructures pour les activités de la vie courante : on l'utilise ainsi pour le transport, les télécommunications, l'observation de la Terre et toutes sortes d'autres applications. Dans le même temps, l'espace est un capaciteur (enabler) pour l'avenir : il permet de faire plus de choses que par le passé, dans l'espace bien évidemment, mais aussi sur Terre. Les industries ont leurs propres missions spatiales, tout comme les universités, qui mènent des travaux sur le sujet, tout ceci étant potentialisé par le développement de nouvelles technologies et de l'intelligence artificielle (IA). On emploie désormais couramment, pour désigner cet environnement, le terme d'« espace 4.0 ».

Les missions de l'ESA sont structurées autour de quatre piliers de programmes : les activités autour de la science et de l'exploration, la sécurité et la sûreté, les applications (observation de la Terre, navigation, télécommunications), et enfin les activités pour faciliter et soutenir les activités de l'écosystème spatial, à travers le développement de technologies et des lanceurs. M. Le Gall a mentionné la somme de 12,5 milliards d'euros qui seront proposés au conseil Space19+. 31 % sont destinés à la science et l'exploration, 30 % au soutien, 32 % aux applications et 7 % à la sûreté et la sécurité. Nous avons effectué une enquête auprès des citoyens européens, afin de savoir quel montant ils souhaiteraient voir allouer aux activités spatiales européennes. La valeur moyenne des réponses à l'échelle de l'Europe est de 287 euros par an et par citoyen, avec des différences selon les pays, les Allemands étant prêts à donner deux fois plus d'argent que les Français ; or les fonds réellement consacrés à l'ESA correspondent à 8 euros par an et par citoyen. La marge est donc encore considérable.

Nous développons dans le cadre de l'ESA trois types de programmes : des programmes obligatoires, auxquels les États membres doivent contribuer en fonction de leur PIB, mais aussi des programmes optionnels, concernant notamment l'observation de la Terre, l'exploration, les lanceurs, les télécommunications, pour lesquels il appartient à chaque État de décider du montant qu'il souhaite y consacrer. Nous disposons aussi de programmes spatiaux en lien avec l'Union européenne et la Commission européenne ; c'est notamment le cas de Galileo et de Copernicus.

Le programme obligatoire constitue l'ossature du dispositif. C'est là que l'infrastructure est financée et les innovations effectuées. Un tiers du programme obligatoire concerne les activités de base, et les deux tiers restants sont pour la science : ceci fait l'objet d'une convention détaillant les différentes missions qui s'y rapportent. M. le Gall a ainsi évoqué précédemment les programmes tels qu'« Euclid dark universe », LISA et l'observation des ondes gravitationnelles, ou encore Athena, qui regarde les trous noirs à l'aide de rayons X. Nous menons aussi des programmes d'exploration (European Exploration Envelope programme), notamment concernant la Lune, Mars et l'orbite terrestre basse grâce à la station spatiale internationale (ISS). J'aurais souhaité ici pouvoir détailler une mission très ambitieuse, Mars Sample Return, mais le temps me manque.

Nous développons également des actions en matière de sûreté, de sécurité, de surveillance et de protection, à des fins exclusivement pacifiques. Nous disposons ainsi d'applications permettant d'observer, à partir de l'espace, les menaces de catastrophes naturelles comme les tsunamis, les tremblements de terres, les inondations, ou encore les ouragans. Nous traitons également de questions de cybersécurité et de cybersûreté, en renforçant la cyberrésilience de nos infrastructures. En outre, nous proposons une mission visant à envoyer en orbite des sortes d'aspirateurs, afin de nettoyer l'espace et d'y collecter les débris qui s'y trouvent.

Face au problème du climat, nous développons constamment des programmes d'observation de la Terre comme Sentinel, Earth explorers ou encore les satellites météorologiques EUMETSAT, qui ont vocation à prendre le pouls de la Terre et à en surveiller la santé.

Au sein de l'ESA, nous travaillons aussi, parallèlement à Galileo – système européen de navigation trois fois plus performant que son homologue américain –, sur un autre programme s'appuyant sur la prochaine génération de satellites de navigation, utilisant notamment des nouvelles technologies d'intelligence artificielle (IA).

En matière de télécommunication, « 5G » est le mot-clé. Nous travaillons notamment sur la distribution de clés quantiques pour sécuriser au mieux les télécommunications. Ce n'est qu'un projet parmi de nombreuses autres propositions que nous allons présenter au prochain conseil ministériel.

Enfin, le transport dans l'espace revêt également une grande importance. Nous oeuvrons actuellement pour mener à bien notre mission concernant le développement du programme Ariane 6. Nous essayons aussi, dans le même temps, de mettre en place la navette non habitée « Space Rider », un vaisseau spatial réutilisable, capable d'effectuer des recherches scientifiques en microgravité, de tester des technologies dans l'espace et d'effectuer toutes autres sortes de taches.

Nous essayons, à travers toutes ces missions qui seront proposées à Space19+, de faire preuve d'inspiration, de compétitivité sur le marché mondial et de responsabilité pour assurer la sécurité de la Terre et nous prémunir contre le changement climatique.

Certains ont parfois le sentiment que les secteurs public et privé, avec lesquels nous travaillons, vont dans des directions opposées. Or nous souhaiterions les rassembler au sein d'une nouvelle approche que l'on qualifie souvent de « New Space ». Cette démarche globale, qui peut concerner non seulement de nouvelles entreprises mais aussi les agences existantes, vise à diminuer les coûts, assurer la commercialisation, utiliser l'intelligence artificielle (IA) et gagner en agilité, tout cela grâce à de l'innovation disruptive. Ça ne signifie pas qu'il faut créer des nouvelles agences. L'Agence spatiale européenne peut ainsi devenir l'« Agence européenne du New Space ». Voici quatre exemples d'interaction de l'ESA avec l'industrie, montrant la capacité d'adaptation de l'Agence au « New Space ». Tout d'abord l'ESA continue de faire du travail traditionnel d'agence, en planifiant puis en réalisant des missions qui confient à l'industrie le développement de satellites. Ainsi, le satellite Aeolus est le meilleur satellite de mesure de la vitesse du vent. Ensuite, nous développons des partenariats public privé ; c'est notamment le cas des plates-formes de télécommunications de nouvelle génération NEOSAT, dont neuf ont déjà été vendues. Troisièmement, nous pouvons, pour certaines missions, contracter des services auprès d'industries sans que nous soyons impliqués dans leur réalisation. Le déploiement de services en orbite, notamment pour éliminer les débris dans l'espace, en est un exemple. Enfin, l'ESA peut jouer le rôle de courtier pour certains projets, comme le Village lunaire (Moon village), pour n'en citer qu'un.

Ainsi, cinquante ans après le premier voyage de l'homme sur la Lune, il est formidable de célébrer ce glorieux passé ; mais il est tout aussi important de préparer l'avenir.

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