Intervention de Virginie Lafon

Réunion du mardi 29 octobre 2019 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Virginie Lafon, directrice générale, i-Sea :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, mesdames et messieurs, je voudrais tout d'abord vous remercier, en mon nom propre et en celui de l'ensemble de mes collaborateurs, de nous recevoir et d'avoir souhaité entendre la voix d'une PME, pour ne pas dire d'une TPE, qui a fondé sa création et son développement sur la volonté, assez originale, de commercialiser des services basés pour l'essentiel sur des données d'observation de la Terre, dans un domaine particulièrement important qui nous tient tous à coeur ici je suppose, puisqu'il concerne la surveillance de l'environnement dans les domaines de la biodiversité, de l'eau et du littoral.

Implantée à Bordeaux, la société i-Sea a cinq ans et compte aujourd'hui neuf collaborateurs, dont trois associés fondateurs majoritaires. Nous avons, au cours de ces cinq années, achevé cinq projets de recherche et développement, ce qui me permet de revenir sur les propos de M. Wagner, qui a évoqué la question de la prise de risque : pour une petite structure, mener de tels projets de R&D est très lourd, d'autant que ces initiatives ne sont bien souvent subventionnées qu'en partie. Malgré tout, notre chiffre d'affaires a connu cette année une progression satisfaisante et s'approche du million d'euros. Nous avons en outre réalisé une partie de notre rêve, puisque les deux tiers de notre activité sont liés au domaine spatial : nous développons ainsi quatre lignes de services dans ce secteur et une faisant plutôt appel à la mesure traditionnelle.

Nos cibles de marché sont les gestionnaires de l'environnement, de l'eau, du littoral, mais aussi le domaine portuaire et celui des énergies marines.

i-Sea est née dans un laboratoire universitaire, au sein d'une cellule de transfert de technologies de l'université de Bordeaux. Les trois associés fondateurs sont tous océanographes et notre projet commun était de créer une société indépendante permettant de faire émerger une somme de projets de R&D d'applications spatiales, financés par le CNES lorsque nous étions à l'université, et d'implanter notre offre de services sur le marché de l'observation de la Terre appliquée à la surveillance des environnements naturels, avec l'objectif de devenir leaders sur ce marché.

Pour donner vie à cette belle ambition, il nous a fallu incuber l'idée, phase durant laquelle nous avons été accompagnés notamment par Bordeaux Technowest, le Business Incubation Centre (BIC) de l'ESA et la région Nouvelle-Aquitaine. En matière de R&D, nous avons été subventionnés notamment par Bpifrance, au travers des bourses French Tech, mais aussi par des fonds européens et plus récemment par Mercator Océan et l'ESA, qui financent en totalité le développement de pilotes de services. Nous avons par ailleurs la chance d'évoluer dans un écosystème très dynamique de pôles de compétitivité, de boosters, qui forment un beau réseau. Enfin, l'institut InSpace nous aide à porter notre offre de services vers les institutionnels en particulier.

Parmi les services que nous proposons, celui qui rencontre actuellement le plus de succès est BioCoast, service de cartographie de la biodiversité, qui est en train de s'élargir à la problématique de la conservation et de la préservation des milieux naturels, ce qui, dans le contexte du changement climatique, est fondamental. À l'heure actuelle, notre plus gros client est français : il s'agit de l'Agence française de la biodiversité. Mais ceci concerne en fait tous les gestionnaires de l'environnement.

Notez que les directives européennes ont elles aussi porté la commercialisation de notre service. Nous travaillons également sur la bathymétrie spatiale, en partenariat avec Telespazio, notamment pour le service hydrographique de la marine nationale. Nous avons en outre développé un service de surveillance du trait de côte, qui permet d'anticiper les phénomènes d'érosion et de planifier le territoire. Nous éprouvons quelques difficultés à trouver notre marché et l'ESA nous aide en ce moment à construire un pilote à l'échelle européenne, ce qui est formidable pour nous.

Notre dernière ligne de service concerne la qualité de l'eau. Nous nous approchons là davantage du domaine portuaire et des énergies marines renouvelables (EMR), qui peuvent constituer, lors des chantiers de construction des parcs notamment, une activité polluante. Notre travail consiste alors à prévenir et suivre l'effet de ces pollutions.

i-Sea a enfin réalisé l'année dernière, avec une toute jeune start-up basco-landaise, la surveillance des radeaux de Sargasses dans les Antilles. Cette année, la surveillance s'effectue en partenariat avec CLS (Collecte localisation satellites) pour Météo-France. Il s'agit là de surveillance en temps réel, ce qui supposerait de se doter de serveurs, d'une puissance de calcul et d'une équipe d'informaticiens chevronnés, ce qui n'est pas envisageable à l'échelle d'une petite entreprise. Or nous avons eu la bonne surprise de bénéficier des plateformes de la Commission européenne et de l'ESA, les DIAS de Copernicus (Data and Information Access Services), qui nous permettent d'héberger nos services, d'effectuer des calculs et de disposer des données spatiales. Il s'agit pour nous d'un point très important et d'un réel levier pour notre développement.

Je souhaiterais à présent vous parler des sources de données que nous utilisons. Il s'agit pour l'essentiel de données gratuites, puisque nous parlons essentiellement à des gestionnaires de l'environnement, qui ne disposent pas de grands moyens pour leur surveillance. Nous utilisons ainsi très largement les données Copernicus, ainsi que les données THEIA du CNES et Eumetsat. Nous ne nous privons pas par ailleurs de faire appel aux données américaines, également gratuites. En France, nous avons en outre la chance immense que la possibilité soit offerte aux institutionnels d'obtenir gratuitement des données au travers de l'EQUIPEX-GEOSUD. Ce dispositif, peu connu, permet de disposer d'images à haute résolution, ce qui est extrêmement important pour la surveillance de la biodiversité. Sans cet outil, nous ne pourrions effectuer des observations qu'à l'échelle macroscopique, ce qui est loin d'être suffisant lorsqu'il est question de la préservation des vers de terre ou des libellules. Nous avons donc vraiment besoin de ce genre de satellite. Lorsque nous sommes face à un besoin d'images de très haute précision à l'échelle européenne hors France, nous recourons aux données fournies par Copernicus ou Sentinel-2 ou achetons des données chez Airbus ou Maxar (ex-DigitalGlobe) par exemple. À quand un satellite européen à très haute résolution spatiale, qui nous permettra de travailler ailleurs qu'en France, à coût raisonnable ?

Que dire d'i-Sea demain ?

Nous souhaitons bien évidemment continuer à contribuer à la protection de l'environnement, mais aussi grandir, en complétant notre offre de services, avec par exemple la mesure de la vitesse des courants par satellite, et en diversifiant nos marchés vers d'autres cibles que les seuls gestionnaires de l'environnement. Ceci nécessite un effort considérable et une prise de risque importante pour une jeune entreprise de petite taille. Nous allons poursuivre nos investissements dans l'innovation, mais avons besoin pour cela d'être aidés. Or les subventions qui nous sont proposées sont bien souvent trop faibles, ce qui nous contraint parfois à refuser des partenariats, faute de pouvoir les financer, et à freiner nos innovations, ce qui est particulièrement frustrant. Nous envisageons enfin de franchir les frontières, en nous appuyant sur des partenariats avec Airbus et le réseau européen de PME EUGENIUS.

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