Des questions ont été posées à propos du programme CaMo et de la communauté Scorpion, et, s'agissant de celui-ci, de la manière dont on peut se représenter le combat avec Scorpion et de ce qu'il apportera à l'avenir. Effectivement, c'est un peu plus qu'une affaire de matériel – qu'il s'agisse de Griffon, de Jaguar ou d'autres systèmes qui verront le jour. Pour vous expliquer de quoi il retourne, je pense qu'il faut partir de l'image du champ de bataille avec une répartition dans la profondeur : les unités au contact, puis leurs moyens d'appui, les postes de commandement et, encore plus à l'arrière, les PC opératifs. En définitive, l'objectif du combat, aujourd'hui comme dans le passé, est de neutraliser l'ennemi. Or il n'est plus possible d'obtenir la victoire en détruisant en totalité l'adversaire. L'idée est donc de considérer l'ennemi comme un système – ce qu'il est effectivement. Si on le compare à un être humain, les PC sont le cerveau, les axes logistiques sont les veines, les systèmes de communication sont le système nerveux, les bras sont les unités de mêlée.
Dans cette perspective, l'objectif du combat va être de détruire le centre de gravité ou certains noeuds de l'ennemi pour désorganiser l'ensemble de son dispositif. Non seulement vous aurez du mal à détruire un par un les chars de l'escadron de tête sur la ligne de contact, mais l'adversaire cherchera à faire la même chose. Il vaut donc mieux, si vous êtes en mesure de le faire, localiser et détruire le convoi de carburant ou de munitions, ce qui empêchera l'escadron de chars de combattre. Vous pouvez aussi détecter le PC et casser les relais de transmission pour qu'ils cessent de commander. En attaquant ainsi différents noeuds du système adverse, vous pouvez désagréger son dispositif et obtenir la victoire plus facilement. Or il est assez compliqué de détecter un convoi de munitions, des centres de transmission ou des PC. Pour y parvenir, il faut avoir analysé le champ de bataille, disposer de capteurs de renseignement bien placés et bien orientés, et avoir des moyens d'agression ou de destruction à portée, prêts à intervenir pour détruire le convoi ou le PC en question. Il faut aussi disposer d'unités au contact qui confirment que le PC ennemi a été détruit ou que les communications sont brouillées, et qu'il y a donc une plage de trois, quatre, cinq ou six heures pour intervenir en profitant de la désorganisation.
Scorpion va précisément permettre de relier l'ensemble des capteurs – je vous renvoie au drone Patroller, qui aura un rôle, au niveau opératif et au niveau tactique – de façon à donner une meilleure compréhension du champ de bataille. L'accélération du tempo, la capacité à gagner la bataille du processus décisionnel en augmentant la rapidité de la décision sont probablement ce qui permettra, en définitive, de détruire le système adverse, par une attaque contre son centre de gravité, contre les noeuds du dispositif. Pour recourir à une autre analogie, c'est un peu comme si, aujourd'hui, on combattait avec un Minitel, alors que, demain, on se battra avec un smartphone ; et, toutes proportions gardées, le SICS est un peu comme la 5G, il assure le lien entre les différents éléments. L'accélération rendue possible grâce à la technique est évidente : on prend une photo et on l'expédie directement sur les réseaux sociaux alors que, il y a de cela quelques années à peine, on devait d'abord transférer la photo sur son ordinateur pour l'envoyer à quelqu'un. De la même façon, Scorpion va permettre d'accélérer le processus d'observation, de connexion et de décision sur le champ de bataille.
Comme je l'ai dit, cela aura aussi des conséquences importantes quant au rôle du chef. La décision sera probablement décentralisée vers l'avant – même si, bien sûr, on créera des systèmes de contrôle. Nous sommes en train d'explorer ces nouveaux domaines avec le Battle Lab Terre de Satory et la Force d'expertise du combat Scorpion (FECS), installée à Mailly, qui testent les procédures de ces nouveaux modes d'action, pour voir jusqu'où ce type de combat va nous mener, dans quelle mesure il va falloir modifier la formation de nos cadres, quelle autonomie nous devrons leur donner et comment nous retranscrirons les ordres. Tout cela est assez excitant, mais ce ne sera pas simple.
Je relie ces enjeux à la question concernant le programme CaMo, qui résulte d'un partenariat stratégique avec la Belgique. Un tel accord est inédit et nous avons de la chance de l'avoir conclu avec les Belges car ce sont des partenaires avec lesquels il est assez facile de partager : nous avons une culture et une approche communes de la manière dont on conduit les opérations. L'objectif est d'avoir non seulement les mêmes matériels, mais aussi la même couche SICS et, de fait, de travailler ensemble pour établir les nouvelles doctrines qui pourront être mises en oeuvre avec Scorpion.