Tout d'abord, Madame Khedher, en ce qui concerne la journée nationale des blessés, à laquelle vous avez participé, je vous remercie beaucoup du soutien que vous manifestez envers nos blessés. C'est effectivement un rendez-vous très apprécié. Cette année, la première partie de la journée était consacrée à la blessure psychique, cette blessure invisible qui est effectivement l'une de nos préoccupations, au même titre que la blessure physique. Une véritable sensibilisation a eu lieu à ce sujet, et la perception a complètement changé. Comme vous le savez, il y a quelques années, cette blessure invisible était aussi un peu une blessure honteuse. Il me semble que ce n'est plus le cas : on a dépassé ce stade, et c'est très bien. Plus personne n'a peur de dire qu'il souffre d'une blessure psychique – en dehors, bien sûr, de ceux qui sont dans le déni. À cet égard, nous avons donc beaucoup progressé.
Maintenant, il faut aussi progresser en matière de prévention des blessures psychiques. Je parlais d'un renforcement des forces morales : cela doit y contribuer. Toutefois, il est certainement plus compliqué de se prémunir d'une blessure psychique que d'une entorse ou d'un claquage musculaire, parce que cette blessure-là prend racine au plus profond de soi, et personne ne peut dire qu'il ne sera jamais concerné. C'est très compliqué à prendre en charge. Cela dit, il existe des études, et des méthodes ont été élaborées. Là aussi, quitte à me répéter, je pense que le rôle du commandement est essentiel : le premier conseiller, le premier soutien psychologique, c'est le chef, et celui-ci doit tenir son rôle. Nous travaillons également avec le service de santé des armées (SSA), dont la directrice centrale veut renforcer la place des psychologues dans les unités, ce qui est effectivement très important. Les blessures psychiques sont-elles suffisamment prises en compte ? En tout cas, nous avons la volonté de le faire et de continuer à progresser en la matière. Vous l'aurez compris, c'est un sujet qui nous préoccupe.
Il y a ensuite ce qui concerne la Maison du vétéran, dont l'idée avait été avancée par le général Bosser. Pour les soins médicaux apportés aux blessés, nous avons la chance de disposer d'un service de santé vraiment remarquable. À cet égard, comme je le disais à sa directrice, le premier défenseur du SSA est l'armée de Terre, car celle-ci ne peut tout simplement pas s'en passer. Quant au dispositif de reconversion, qui est mis en oeuvre une fois que le blessé est guéri – qu'il reste dans les armées ou qu'il parte dans le civil –, il donne relativement satisfaction, même si la reconversion est toujours un défi compliqué. Entre les deux, il y a le blessé convalescent, qui n'est plus directement traité par le service de santé mais n'est pas encore capable de voler de nouveau de ses propres ailes. D'où l'idée de créer une « maison du vétéran », même si cette dénomination ne sera peut-être pas retenue. Nous devons d'ailleurs nous dépêcher d'en trouver une qui exprime bien ce que nous voulons faire. Il faudra aussi trouver une manière de financer le projet. L'idée est de créer un établissement pilote et de voir comment on peut le faire fonctionner, mais cela n'a pas encore été complètement validé.
En matière de taux d'encadrement, vous avez raison, Monsieur Kervran. Lorsque l'on évoque un taux d'encadrement de 15 % pour les armées occidentales, il s'agit d'un taux global, qui prend en compte aussi bien les officiers en états-majors que dans les régiments. Or, comme vous le disiez, nous avons un véritable problème au niveau des régiments. J'évoquais précemment que nous avons diminué le niveau d'expérience requis pour l'encadrement dans les compagnies ou les escadrons, avec des sous-officiers adjoints (SOA) qui n'ont pas – ou pas encore – le brevet supérieur de technicien de l'armée de Terre (BSTAT). Il nous faut également renforcer les passerelles régimentaires, c'est-à dire l'équipe d'officiers qui entoure les chefs de corps pour concevoir, organiser, planifier et contrôler à leur niveau l'entrainement des unités. Au bureau opérations et instruction (BOI) et au bureau de la maintenance et de la logistique (BML), nous avons perdu sept à huit officiers, par rapport à l'époque où j'étais moi-même en régiment, chef du BOI. Ce n'est pas négligeable, d'autant que, bien évidemment, les charges n'ont pas baissé, bien au contraire.
À ce niveau, nous avons une véritable fragilité. D'une manière générale, nos états-majors sont moins fournis que ceux d'autres armées occidentales. Cela dit, nous disposons quand même de beaucoup de postes, que nous honorons, au sein de l'OTAN et de l'Union européenne, ce qui est important car c'est là que nous pouvons défendre nos conceptions, essayer d'influencer les choses et peser sur les décisions. Quoi qu'il en soit, il nous faut absolument traiter cette question de l'encadrement. Globalement, nous estimons qu'il nous manque entre 900 et 1 000 officiers. L'objectif de l'armée de Terre est de retrouver cette marge, d'obtenir ce supplément en termes d'organisation. C'est ce que nous défendons actuellement auprès de la direction des ressources humaines du ministère des armées (DRH MD). Nous faisons valoir nos droits et essayons de retrouver un taux d'encadrement plus élevé, en particulier au niveau des PC régimentaires. En effet, c'est au niveau du régiment que s'exercent toutes les pressions car c'est là que se concentre in fine un certain nombre de problèmes – ce qui ne veut pas dire que les échelons au-dessus n'en ont pas leur part. C'est également dans le régiment que se construit l'identité du soldat, c'est là qu'est sa maison. Il est donc essentiel de renforcer les passerelles régimentaires.
Oui, nous avons en effet engagé des coopérations avec des pays hors d'Europe, à commencer par les États-Unis, qui sont un partenaire majeur et assurent, comme vous le savez, une coopération opérationnelle très forte. Je reviendrai après sur les pays d'Europe. S'agissant des coopérations avec les pays non européens – et cela rejoint un peu la question de M. Folliot –, nos plateformes outre-mer y contribuent. C'est le cas, par exemple, de notre coopération avec le Brésil pour tout ce qui concerne la protection de la frontière en Guyane. De la même façon, je pourrais citer notre coopération, à partir de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, avec les Australiens, les Néozélandais et d'autres pays de la zone Pacifique – tout en sachant que notre coopération avec l'Australie est importante, en termes de moyens que nous devons y consacrer ; j'y reviendrai plus tard.
Pour ce qui est de la coopération avec les pays européens, il y a bien évidemment les partenaires majeurs, ou en tout cas moteurs, que sont l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Belgique. Nos liens politiques avec l'Allemagne sont très forts, mais notre coopération militaire l'est également. Certes, pour diverses raisons, sur le plan opérationnel, il est plus compliqué de la mettre en oeuvre, mais nous avons, par exemple, la brigade franco-allemande (BFA) qui est un bel exemple d'intégration. J'ai participé récemment à la célébration de son 30e anniversaire. La BFA a d'ailleurs projeté de manière simultanée ses unités, françaises et allemandes, dans la bande sahélo-saharienne (BSS) : les unités françaises intervenaient dans le cadre de Barkhane, et les unités allemandes au sein de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et de la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali). Cette coopération fonctionne donc assez bien. De même, il existe plusieurs types de coopération avec les Britanniques : nous opérons conjointement en Estonie, au sein de la mission Lynx, qui est une opération de l'OTAN au profit des pays Baltes. Les Britanniques ont également envoyé des hélicoptères lourds dans le cadre de Barkhane à Gao. Il s'agit donc, là aussi, d'une coopération assez forte.
Monsieur Folliot, force est d'abord de constater que, grâce à nos forces de souveraineté et à nos forces de présence, nous avons un dispositif singulier, probablement même unique, qui nous permet d'être présents aux quatre coins du monde et nous donne des capacités de réaction assez inédites, en tout cas hors normes au regard de la taille de notre pays. Beaucoup nous les envient, ce qui veut dire que nous devons les préserver. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'elles ont été mises à mal par les lois de programmation précédentes…