Je vous remercie, madame la présidente, chers collègues commissaires aux affaires sociales, de m'accueillir ce matin.
Le Grand débat national a mis en lumière un enjeu dont l'importance avait jusqu'alors été sous-estimée et que la crise des hôpitaux a récemment remis en exergue : l'état de souffrance de notre système de santé. Il souffre alors même que nous bénéficions d'un legs magnifique du Conseil national de la résistance, la sécurité sociale, et que nous pouvons nous enorgueillir d'une médecine performante qui nous permet de vivre plus longtemps que nos aînés. Nous avons tous le sentiment que le système craque et qu'il ne remplit plus sa mission de garantir l'égal accès de tous à la santé : c'est ce que nous disent tant les soignants à l'hôpital que nos concitoyens lorsqu'ils voient, dans leur territoire, un médecin partir à la retraite sans être remplacé.
Telle est l'urgence, et notre responsabilité est d'y apporter des réponses.
Comme certains collègues membres de cette commission, j'ai été réélu député en 2017. J'organise dans mon département, la Mayenne, des ateliers citoyens afin de travailler avec ses habitants à des propositions que je défends ensuite ici, à l'Assemblée nationale, tant en commission que dans l'Hémicycle. C'est une façon concrète de renforcer le lien de confiance entre les élus et les citoyens. C'est ce que l'on appelle la démocratie participative, qui enrichit à mes yeux la démocratie représentative.
Or nous avons travaillé tout au long de cette année avec les Mayennais qui étaient intéressés aux mesures que je vais vous présenter ce matin. Ces personnes, qui venaient de tous les horizons – salariés, membres des professions libérales, agents du secteur public, bénévoles associatifs, élus locaux, étudiants – ont pris le temps, le samedi matin, de confronter leurs points de vue et de formuler des orientations extrêmement claires. La proposition de loi que je vous soumets est directement issue de ce travail mené en commun.
Que nous disent nos concitoyens, dans ces ateliers en Mayenne comme – nous le savons bien – partout en France ? Tout d'abord qu'il y a urgence à agir. La loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, dite « loi santé », comportait certes des mesures tout à fait intéressantes sur certains points. Il en est ainsi, par exemple, de la suppression du numerus clausus ou de la réforme des études médicales. Les effets de cette loi ne se feront cependant sentir que dans dix ans.
Or le problème se pose aujourd'hui et il ira en s'aggravant puisque le creux de la vague pour la démographie médicale sera atteint dans cinq ans. Cela signifie que nous allons au-devant de difficultés plus rudes encore.
Nos concitoyens considèrent également qu'il faut s'interroger sur toutes les mesures financières favorisant l'installation qui ont été prises depuis des années. De ce point de vue, si tous les gouvernements ont fait assaut de créativité, quels résultats a-t-on obtenu ? Aucun qui, à ce jour, soit probant.
Nous avons tous connaissance d'études extrêmement fines montrant que ces mesures ont surtout généré des effets d'aubaine : je vous renvoie notamment à celles de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) ou plus récemment à celle menée par la direction générale du Trésor, qui les juge inefficaces.
Nos concitoyens veulent également – et nous ne débattons pas suffisamment de ce point ici – être écoutés en tant que patients. Le projet local de santé, qui, dans le cadre de la «loi santé», devra être défini par les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), ne vise en effet que les professionnels de santé. Ils souhaitent qu'on leur ouvre la porte pour pouvoir, en tant qu'usagers, débattre et proposer des solutions aux difficultés vécues localement. Ils veulent apporter leur concours à l'organisation des soins. Reconnaissons que la santé n'est pas uniquement l'affaire des professionnels : les usagers ont aussi leur mot à dire et leur place à prendre. Nous devons donc organiser la participation de ces usagers, de ces patients, de ces citoyens.
Tels sont le constat et les enjeux. Entrons maintenant dans le détail car l'urgence se note dans l'inégalité d'accès aux soins, entre les citoyens et entre territoires.
Le nombre de médecins a augmenté ces dernières années : entre 2010 et 2018, la France a en effet gagné 35 000 médecins supplémentaires, pour un total de 297 000 praticiens. Mais il y en a moins en activité. Si 76 % d'entre eux se trouvaient en activité en 2010, ce pourcentage est aujourd'hui tombé à 68 % !
Autre réalité : les inégalités, notamment territoriales, s'aggravent. Quelques chiffres me paraissent à cet égard très éclairants : pour les médecins généralistes libéraux, l'écart entre le département le moins bien doté et le département le mieux doté est de 1 à 2,2. ; pour les ophtalmologistes, il est de 1 à 12, pour les dermatologues de 1 à 23 et pour les pédiatres, de 1 à 24. Les inégalités sont donc plus criantes s'agissant des spécialistes.
Face à cette situation, les gouvernements successifs ont donc mis en place des politiques d'incitation à l'installation, la « loi santé » s'inscrivant dans la même logique. Or force est de constater, chiffres à l'appui, que celles-ci ne produisent pas les effets escomptés.
Que faire alors ? Nous considérons, et c'est tout le sens de cette proposition de loi, qu'il faut élargir la palette des mesures afin de mieux répartir la population médicale à l'échelle du territoire national. Cette conviction, que d'autres partagent ici avec moi, est ancienne, je l'ai déjà défendue, il y a quelques années, face à Marisol Touraine. Je continue à le faire aujourd'hui car il s'agit d'un combat qui mérite d'être mené au nom des citoyens que nous représentons ici.
Je crois à la régulation de l'installation : il faut la mettre en oeuvre si l'on veut que les autres solutions fonctionnent.
L'article 1er prévoit ainsi de ne plus autoriser l'installation d'un médecin là où les besoins de santé sont déjà satisfaits, libre à lui de s'installer où il veut ailleurs sur le reste du territoire. Alors qu'on évoque sans cesse les zones sous-denses, il n'est jamais question des zones denses ou sur-denses. Ce serait une vue de l'esprit. Eh bien vérifions de façon objective la réalité médicale, territoire par territoire ! Ma proposition de loi prévoit précisément de créer un indicateur territorial d'offre de soins permettant de la mesurer en la pondérant par la situation démographique, économique et sociale. L'IRDES mène actuellement de passionnantes études visant à étendre l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée, notamment utilisé pour le zonage des aides à l'installation des médecins.
Je vous propose de partir des data existantes pour définir l'indicateur territorial d'offre de soins. Nous pourrons ainsi mieux circonscrire les besoins de santé en tenant compte de l'âge des populations, de la prévalence des risques, des cas de non-recours aux soins et des situations sociales. Grâce à cet outil public transparent, chacun sera fixé sur la réalité des situations médicales, territoire par territoire. Les inégalités d'accès à la santé que nous ne cessons de dénoncer apparaîtront alors clairement.
L'article 2 vise à associer les représentants des usagers à la définition des projets locaux de santé au sein des CPTS. Une procédure de consultation existe d'ores et déjà au niveau régional : il s'agit en l'espèce de travailler au plan local. Les associations d'usagers, lorsqu'elles existent, doivent pouvoir travailler sereinement avec l'ensemble des professionnels de santé et apporter leur contribution.
L'article 3 vise à encourager – c'était une demande forte dans les ateliers en Mayenne – l'utilisation du dossier médical partagé (DMP). Nous proposons de systématiser sa mise à jour. Ce n'est pas une obligation légale actuellement or, si l'on veut accélérer sa généralisation, il faut sans doute passer par la loi. Soyons clairs : au sein des ateliers citoyens, les professionnels de santé ont souligné le manque de maniabilité de cet outil pour les médecins, souvent pris par le temps. Il faut donc en améliorer la fonctionnalité. Je rappelle que l'État finance, au travers de l'assurance maladie, 4 000 postes d'assistants médicaux sur l'ensemble du territoire national : on doit pouvoir trouver les voies et les moyens permettant de libérer du temps pour renseigner le DMP et faire en sorte qu'il devienne un véritable outil de suivi des patients.
La proposition de loi prend également en compte la prévention, dont tout le monde souligne l'importance. Nous proposons d'une part de charger les CPTS d'une véritable stratégie territoriale, et d'autre part d'instituer la téléprévention.
La prévention, nous en sommes tous conscients, ne peut se résumer à une action menée en tuyaux d'orgue. Il faut une meilleure coordination entre la médecine de ville et le plateau technique hospitalier, et, au-delà, au sein des CPTS, qui devraient prendre en compte l'ensemble des enjeux en la matière. Il faut suivre ce chemin avec ardeur.
La question de la santé au travail doit elle aussi être traitée dans le cadre des CPTS et de la médecine de prévention, ce qui suppose un minimum de coordination. Or tel n'est pas le cas aujourd'hui : l'article 5 propose d'y remédier.
Dernier enjeu, qui n'est pas le moindre notamment en termes d'inégalités financières en matière de soins : les dépassements d'honoraires. Il faut lutter implacablement contre le renoncement aux soins. Il n'y a rien de scandaleux à encadrer, selon des critères objectifs, proportionnés et surtout opposables, les dépassements d'honoraires excessifs. Aujourd'hui, la loi prévoit que les dépassements d'honoraires, pour être acceptables, ne doivent pas excéder le tact et la mesure, notions, dont vous l'imaginez bien, chacun a une appréciation très différente. Les mots sont fort jolis mais il faut entrer dans la réalité des choses : le texte propose donc un plafonnement de ces dépassements d'honoraires à 50 % du tarif opposable de la sécurité sociale.
Tels sont, chers collègues, les différents éléments que je souhaitais vous présenter avant de répondre à vos questions. Pour moi, il importe d'actionner tous les leviers permettant de remédier à la désertification médicale et de répondre aux attentes des citoyens. Il ne peut pas y avoir de solution interdite ou taboue. C'est notre pacte social et républicain qui est en jeu car l'accès à la santé est un ciment pour la nation.
Après tout ce que le pays a vécu – et continue de vivre – de tensions, de sentiments d'abandon et d'inégalités, nous avons la responsabilité de dépasser les clivages politiques et d'être capables de résister à certains conservatismes, à certains intérêts trop particuliers parfois, pour converger ensemble vers des solutions fortes qui redonnent espoir et qui apportent des réponses.
Cette proposition de loi, républicaine, dépasse les clivages. Elle vise à redonner confiance dans le modèle social français qui a fait la force de notre pays.