Intervention de Ericka Bareigts

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEricka Bareigts, rapporteure :

Le sujet de la commission d'enquête que la proposition de résolution que je vous présente se propose de mettre en place est sans doute un peu nouveau dans l'Hexagone : il s'agit de l'Aedes albopictus, un moustique qui fait énormément de ravages dans les territoires ultramarins. Ce phénomène attaque aujourd'hui la France continentale, et c'est la raison pour laquelle une commission d'enquête me semble nécessaire, non pour faire le procès de tel ou tel, mais pour tenter de faire obstacle à la propagation d'une maladie qui peut entraîner la mort.

Formellement, cette proposition de résolution répond à l'ensemble des conditions posé par le Règlement de notre assemblée. En ce qui concerne son opportunité, je voudrais commencer par citer le directeur général de la santé, qui déclarait lors de son audition, en juillet dernier, que « les maladies vectorielles ont un impact social, économique et sanitaire » et rappelait que les territoires d'outre-mer avaient payé un lourd tribut avec le paludisme, la dengue, le chikungunya ou encore le virus Zika. Le point commun à l'ensemble de ces maladies est la prolifération du moustique Aedes albopictus, considéré comme étant leur principal vecteur.

Deux faits majeurs sont à l'origine de la propagation des maladies dont est porteur l'Aedes albopictus.

En premier lieu, la globalisation des échanges, des biens et des personnes au sein du « village-monde » a très largement contribué à la migration et à la prolifération du moustique, qui, s'éloignant des zones tropicales, a pénétré les territoires des États-Unis d'Amérique et de l'Europe.

Dans le cadre des auditions conduites par la commission des affaires sociales en juillet dernier, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a notamment souligné que l'extension de l'aire géographique où l'on retrouve ce moustique a été favorisée par le développement du commerce des pneus.

La circulation des personnes virémiques contribue parallèlement à la propagation des virus et des pathologies associées. Cela pose le problème de la surveillance des frontières, surveillance d'autant plus problématique qu'il s'agit de pathologies asymptomatiques, ce qui rend difficilement identifiables les personnes contaminées.

Le second élément qui contribue à la propagation de l'Aedes albopictus est le réchauffement climatique. Le professeur Desenclos, également auditionné en juillet dernier, a notamment souligné qu'en fonction des scenarii de réchauffement, l'aire de propagation du moustique pourrait s'étendre jusqu'à Oslo. Parce que cette réalité doit être acceptée, il nous faut donc nous préparer à être résilients.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Le constat est très grave. Pour reprendre une fois encore les termes du directeur général de la santé, ces maladies vont devenir un fléau important pour tout notre territoire dès lors qu'il est établi que la moitié des départements hexagonaux sont colonisés par le moustique Aedes albopictus, alors qu'il y a quinze ans, seules les Alpes-Maritimes étaient touchées.

Selon les dernières données de Santé publique France, en 2018, on dénombrait 189 cas importés de dengue ; un an après, le 15 novembre 2019, nous sommes à 609 cas. Pour le chikungunya, ce sont 53 cas recensés aujourd'hui, contre 6 cas importés en 2018. 8 cas autochtones de dengue avaient été recensés en 2018 dans deux foyers, l'un dans les Alpes-Maritimes, l'autre dans l'Hérault ; ils sont 9 cette année. Plus récemment enfin, 3 cas autochtones de Zika ont été confirmés dans la commune de Hyères, et ce alors que le maire de la commune, particulièrement actif dans la lutte contre la prolifération des moustiques, avait pourtant mis en oeuvre un véritable « plan Marshall » pour protéger la population.

On sait que le réchauffement climatique est voué à se poursuivre dans les années à venir. Même si le climat sur le territoire hexagonal ne va pas devenir tropical, la hausse des températures et la multiplication des épisodes de fortes pluies, propices aux inondations, ne peuvent que favoriser l'apparition de nouveaux nids, et l'on pourrait constater une remontée de 500 kilomètres vers le nord de la zone propice à la prolifération des moustiques.

Comparaison n'est pas raison, mais je voudrais partager avec vous quelques chiffres pour les rapporter à la population hexagonale. En 2005-2006, 266 000 personnes ont été touchées par le chikungunya sur l'île de La Réunion, et 267 sont mortes : cela équivaudrait à 22 millions de personnes touchées dans l'Hexagone et à plus de 22 000 morts, soit des chiffres bien supérieurs à ceux la canicule de 2003. Quant à l'épidémie de dengue que connaît La Réunion depuis maintenant près de deux ans, rapportée à la population hexagonale, elle équivaudrait à 2 millions de cas recensés et à plus de 1 500 morts.

L'ensemble de ces éléments conduit à s'interroger sur la capacité de notre État à affronter cette réalité – complexe, instable, et inédite – et à mettre en place des dispositions destinées à réduire ou à annihiler les cas de maladies vectorielles autochtones. Tel est l'objet de la proposition de résolution portant création d'une commission d'enquête.

Sans préjuger des travaux qu'une telle commission serait habilitée à conduire ni des conclusions que ses membres pourraient en tirer, sa mise en place est tout à fait opportune et permettrait de répondre à plusieurs questions et, le cas échéant, d'aider à la définition d'une nouvelle politique publique face à ce phénomène inédit par son ampleur et la rapidité de son expansion. Elle permettrait de déterminer avec davantage de précision la propagation des colonies de moustiques-tigres et, partant, celle des différents virus.

La commission d'enquête permettrait, grâce notamment aux retours d'expérience, de faire le point sur les actions mises en place pour limiter, réduire voire éradiquer les colonies de moustiques et la propagation des virus.

Les mécanismes de transmission mériteraient également d'être davantage étudiés – sachant, par exemple, que, tout récemment, un cas de transmission de dengue par voie sexuelle a été identifié –, et la recherche devrait pouvoir être encouragée en la matière.

Enfin, elle permettrait d'interroger l'organisation administrative de la lutte anti-vectorielle et d'évaluer son efficacité tant en France qu'en Europe, où prévalent des approches différentes.

Pour toutes ces raisons, j'estime que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par le Règlement de l'Assemblée nationale. Aucun obstacle ne s'oppose donc à la création de la commission d'enquête.

À l'heure où nous examinons ce texte, une journée départementale de lutte contre la dengue se déroule à La Réunion, sous l'égide des autorités préfectorales et de l'agence régionale de santé, qui appellent à une forte mobilisation contre le virus. L'hiver austral n'a pas atténué sa circulation, et les journaux titraient ce matin que l'année 2020 serait pire que les années précédentes. Les habitants de La Réunion ont donc des raisons d'être inquiets.

Au regard de ce que traverse la population depuis plusieurs années, malgré une très forte mobilisation des autorités, j'ai la conviction que nous n'avons pas trouvé les bonnes solutions. Face aux difficultés qui sont devant nous, nous devons dépasser nos appartenances territoriales et politiques pour mettre en commun notre intelligence et notre énergie, afin d'aider les collectivités territoriales à éradiquer le moustique. En effet, malgré la nouvelle organisation découlant du décret de 2019 relatif à la prévention des maladies vectorielles, la responsabilité des maires en matière de prophylaxie reste encore, à mon sens, trop importante, compte tenu du peu de moyens dont ils disposent, d'autant que les « contrats de Cahors » signés entre les collectivités et l'État engagent les premières à limiter leurs dépenses de fonctionnement, ce qui n'offre pas les meilleures conditions pour que les maires puissent mobiliser les moyens propres à endiguer la prolifération et à protéger leur territoire.

J'ajoute enfin que, n'ayant jamais eu à lutter contre le moustique Aedes albopictus beaucoup ignorent les bonnes pratiques en la matière, ce qu'il faut faire ou ne pas faire, dans un parc ou dans un jardin, pour se protéger efficacement.

Il y a donc un vrai travail d'information à entreprendre, et de nouvelles pistes à défricher, en s'appuyant sur l'expérience des outre-mer.

Je vous invite donc à adopter cette proposition de résolution, car le danger est devant nous et que nous avons le devoir de mettre en oeuvre de nouvelles politiques publiques pour protéger nos concitoyens.

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