Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Sous la XIVème législature, j'étais venu devant la commission des Lois pour faire adopter la proposition de loi relative au devoir de vigilance. J'espère que la proposition que formule aujourd'hui le groupe Socialiste connaîtra le même succès.

Les dispositions relatives au devoir de vigilance avaient été adoptées l'avant-dernier jour de la précédente législature, pour être immédiatement contestées par toutes les forces ultra-libérales et conservatrices de l'époque. Adoptée in extremis, la notion de devoir de vigilance s'est pourtant enracinée dans notre pays et rayonne à l'échelle européenne. Non moins de six nations s'inspirent aujourd'hui du droit français, tandis que plusieurs forces associatives et syndicales oeuvrent de manière convergente pour consacrer cette notion dans une directive européenne. Un groupe de travail des Nations unies se penche également sur le sujet depuis quelques années.

Si je vous tiens ce discours, c'est pour apporter la preuve qu'au sein de minorités ou de forces politiques d'opposition naissent parfois des idées qui, sans avoir trop de force au départ, peuvent néanmoins prospérer ensuite au fil du temps. C'est pourquoi j'aimerais que, loin de toute posture politicienne de rejet a priori, vous puissiez adopter une attitude d'écoute des arguments que nous allons développer. Permettez-moi d'ailleurs de souligner, madame la présidente, que l'examen de la proposition de loi le 5 décembre s'inscrit dans un processus global, ce jour promettant d'être marqué par d'autres événements que la niche socialiste dans l'ordre du jour de l'Assemblée.

Cinq propositions, dont trois à caractère fortement écologique, ont été déposées par notre groupe. Elles sont toutes le fruit d'un travail de fond. Je pense au plan de rénovation énergétique proposé, à l'instant même, par nos collègues Jean-Louis Bricout et Boris Vallaud en commission des Affaires économiques. Je pense aussi à la question du crime d'écocide et à sa reconnaissance telle qu'elle va être proposée tout à l'heure par notre collègue Christophe Bouillon.

Nos trois propositions visent à conférer du crédit à la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises. Elles contribuent à l'élaboration d'un récit social et écologique à la hauteur du drame annoncé et confirmé par l'ONU. Un journal du soir titrait récemment sur une « décennie perdue » et sur le caractère drastique et dramatique des mesures que nous aurons à prendre pour réduire de 7 % les émissions de gaz à effet de serre dans la décennie qui vient.

Les trois propositions de loi que j'ai évoquées sont au rendez-vous de l'histoire tragique qui met en cause notre humanité, entendue aux deux sens du terme, c'est-à-dire la dignité humaine et notre maison commune. J'aimerais que vous entendiez nos propositions comme des contributions à un combat commun. Par-delà l'adversité éventuelle entre nous, nous partageons en effet un ennemi commun : la menace d'effondrement de notre humanité.

Ma proposition s'inscrit également dans la ligne de défense des nouvelles entreprises, que nous avions déjà portée devant vous, avec Boris Vallaud et d'autres collègues, il y a deux ans, également dans le cadre d'une niche parlementaire. Il s'agissait de redonner une nouvelle perspective à l'entreprise et de réformer le code civil dans un sens différent de celui du plan d'action pour la croissance et la transformation de l'entreprise, dit loi PACTE, en ce qu'il prenait en compte les externalités subies par l'entreprise allant au-delà de la recherche des bénéfices pour ses sociétaires. Il était aussi question de codétermination de nouvelles règles de partage de la valeur, et de transparence fiscale sur le plan international. Enfin, je mettais en avant l'idée d'un label public RSE, idée née pour la première fois dans cette proposition de loi, déposée en décembre 2017.

Nous revenons aujourd'hui sur ce sujet après l'avoir approfondi. Je voudrais rendre hommage à la dizaine de personnalités de la société civile, syndicalistes, militants de l'économie sociale et solidaire (ESS), entrepreneurs et experts universitaires qui ont travaillé pendant une dizaine de séances pour élaborer cette proposition de manière précise et lui donner du crédit. Avant même que nous réalisions des auditions permettant de conforter et de vérifier l'existence d'un arc entrepreneurial et social favorable à cette initiative, nous l'avions en effet élaborée au sein d'un cercle de la société civile. Je veux rendre hommage aujourd'hui au bénévolat et à l'altruisme de ses membres.

Il s'agit de sortir de l'archaïsme de la RSE telle qu'elle existe aujourd'hui. Il est possible d'en faire remonter les sources jusqu'au XIXème siècle. Elle a pris forme notamment par le fait de directives européennes adoptées à la suite de la crise des subprimes de 2008. À partir de 2012, la France a adopté des mesures de reporting permettant aux entreprises de rendre compte de leurs activités et, pour les plus grandes d'entre elles, d'annexer ces informations à leurs documents comptables.

Cette obligation ne concerne que les plus grandes entreprises. Pour le reste, il s'agit pour l'essentiel d'un catalogue d'information et d'une stratégie de communication qui peut s'apparenter, la plupart du temps, à une publicité à destination des actionnaires et des clients. Bref, alors que la RSE reposait sur la promesse d'inclure d'autres aspects que la stricte comptabilité financière, elle s'est aujourd'hui fourvoyée dans des démarches illisibles. Ces démarches de communication peuvent livrer une image tronquée de la réalité de l'entreprise.

Pour prendre une image très simple, je pourrais dire que, en recourant à la seule comptabilité financière, l'entreprise donne une vision borgne de sa réalité, tandis qu'en recourant à la RSE telle qu'elle existe aujourd'hui, elle en donne une vision floue. Toute notre initiative vise à faire que nous marchions sur nos deux jambes et que nous regardions avec nos deux yeux, pour arriver à une vision complète et holistique de l'entreprise. Nous considérons qu'il faut le regard d'un tiers, à savoir la médiation de la puissance publique, pour avoir de l'entreprise une vision ni borgne ni floue, mais une vision réelle, qui permette d'estimer sa valeur et de l'inscrire dans les récits sociaux, écologiques et économiques du XXIème siècle.

Nous renonçons, pour notre part, à l'ambition de définir dès aujourd'hui une triple comptabilité qui tienne compte du vivant, de la réalité sociale et de la réalité économique. Sur le plan intellectuel, cela nous paraît une démarche trop ardue. Certes, des expérimentations ont eu lieu. Mais, par humilité, au vu de nos propres forces intellectuelles, et par réalisme politique, nous pensons plutôt engager un processus visant à définir progressivement ce que pourrait être une comptabilité de l'entreprise au XXIème siècle.

Le processus en question comporte trois actes. Le premier, c'est de reconnaître qu'un label public, qui prendrait la forme d'un scoring sur 100 points, permettrait d'identifier la réalité de l'entreprise selon des critères élaborés par la puissance publique de façon démocratique. L'État pourrait définir, avec les parties prenantes et après discussion au Parlement, quelles normes RSE caractériseraient la qualité de l'entreprise, au-delà de ses normes financières. Toute entreprise pourrait ainsi être classée sur ce scoring de 100 points et, pour une question de lisibilité et de communication, se voir attribuer une des trois couleurs, rouge, orange ou vert, en fonction de l'effort qu'elle peut réaliser.

Le principe même d'un label public de la RSE s'inspire, somme toute, de réalisations telles que le label bio « AB ». S'il s'affirme aujourd'hui comme une puissance de transformation de l'agriculture, c'est parce qu'il est fondé sur un contrat fiable entre toutes les parties prenantes : producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs. L'intervention d'un tiers, à savoir de l'État à travers la certification publique, permet à cet entrepreneuriat et inter-entrepreneuriat de prospérer aujourd'hui dans notre pays.

Le scoring permettrait, de façon claire et lisible, de donner aux citoyens, en leur qualité d'épargnants, de potentiels collaborateurs, mais aussi de consommateurs, la possibilité de choisir leur propre modèle économique. Nous sortirions ainsi de la logique du « B to B », celle des relations interentreprises, comme des confusions entretenues par la propagande menée par la puissance privée. Il s'agit de retrouver de la clarté.

C'est, somme toute, une réforme d'esprit libéral dans son acception philosophique, car elle donne aux citoyens une véritable capacité à peser sur leur économie en choisissant les modèles d'entreprises qui leur conviennent. Si nous sommes libéraux, sociaux, écologistes et démocrates, nous pouvons nous rassembler sur cette idée nouvelle pour le XXIème siècle, à savoir que la puissance publique doit énoncer la qualité de l'entreprise. Ce serait suivre le même chemin que la comptabilité moderne qui, au début du XXème siècle, a permis d'établir la véracité des comptes et a constitué un élément déclencheur d'une nouvelle prospérité à l'aube du XXIème siècle. Alors que les plus conservateurs et les plus libéraux étaient, à l'époque, hostiles à cette comptabilité formalisée, elle a permis, en réalité, d'établir des contrats de loyauté entre toutes les parties prenantes, se révélant un moteur pour l'économie du début du XXème siècle.

Face aux menaces de l'anthropocène, en ce début du XXIème siècle, il nous semble pertinent d'ouvrir un nouveau champ de cette comptabilité. La certification proposée le permet : elle s'inscrit dans un cadre européen ; elle est parfaitement articulée avec l'initiative confiée par le ministre Bruno Le Maire au président de l'Autorité des normes comptables, M. Patrick de Cambourg, visant à développer des efforts diplomatiques pour obtenir une nouvelle normalisation européenne. Notre certification serait ainsi, en quelque sorte, le laboratoire français de la future certification européenne.

Notre certification est fondée sur le volontariat. Nous nous sommes beaucoup concertés avec le monde des petites et moyennes entreprises (PME), pour élaborer ce principe, car les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ne sont pas aujourd'hui concernées par le reporting obligatoire ou par le devoir de vigilance.

Notre certification est aussi expérimentale. Non sans humilité, nous pensons devoir établir de manière itérative et progressive les données qui constituent ce nouveau scoring, de telle sorte qu'il devienne un médium entre la société et le monde de l'entreprise. Nous voulons ainsi engager un processus. C'est dans cette logique que nous proposons d'ouvrir le dialogue aujourd'hui.

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