Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Le caractère public semble constituer une gêne pour votre groupe comme pour la majorité. Or les rapports entre puissance publique et puissance privée sont, à mon sens, l'une des clés de la crise sociale et écologique que nous traversons aujourd'hui. Savoir comment l'une et l'autre peuvent s'éclairer, c'est le sens même de ma proposition.

Vous avez cru bon de mentionner les 25 ans de la RSE. Si vous aviez lu notre rapport, vous y auriez vu que ces idées naissent plutôt au XIXème siècle, dans le courant de la charité prônée par le patronat chrétien. On en parle également, en 1992, au sommet de la Terre de Rio de Janeiro, marqué par le cri d'alarme sur les risques de l'anthropocène et la mobilisation écologique des entreprises – mais cela fait plus de vingt-cinq ans, là aussi. On ne mesure pas la valeur des idées au fait qu'elles soient récentes et immédiates ; certaines ont quelques milliers d'années et continuent à fonder notre civilisation. Votre échelle du temps n'est donc pas la bonne. Voici ma réponse au groupe de droite.

Une autre forme d'expression de droite s'est fait entendre. J'en suis profondément déçu, car j'espérais vraiment que mes idées et propositions constructives, exprimées tout en modestie et en humilité, pouvaient vous rassembler. Savez-vous, madame Dubost, que ce projet nous a valu alliance avec le syndicalisme réformateur, le seul qui ait encore aujourd'hui un peu d'indulgence – je ne sais pas s'il a raison – pour la politique que vous menez ?

Nos soutiens viennent aussi de la CPME, la Confédération des petites et moyennes entreprises, avec qui nous avons travaillé longuement pour trouver un terrain d'entente acceptable pour les PME françaises. Les grandes entreprises sont certes soumises au devoir de vigilance, issu d'une des rares lois radicalement de gauche qui aient été adoptées au cours de la dernière législature, il n'empêche que les actions bénéfiques des PME les exposent parfois aux discriminations pratiquées par des multinationales désireuses d'imposer des conditions léonines dans les rapports commerciaux. Aussi la CPME aimerait-elle que soient mieux reconnues les PME vertueuses du monde agricole, du monde industriel et du monde artisanal qui affirment leur volonté de bien faire, du fait soit de la conscience de leurs dirigeants, soit de leur positionnement stratégique dans l'économie de marché. Par votre rejet de ma proposition, vous montrez du mépris pour le syndicalisme réformateur, pour le monde de l'ESS et pour les PME qui ont contribué à bâtir ce texte. Il est pourtant profondément démocratique, puisqu'il livre aux citoyens la vérité sur ce qu'est l'entreprise.

Hier, à la cérémonie de lancement d'un baromètre d'opinion sur l'agroalimentaire organisé par Max Havelaar – label quasi public de commerce équitable, qui a fait son chemin à force de persévérance et s'impose aujourd'hui par la reconnaissance dont il jouit auprès des consommateurs et de nos concitoyens –, j'ai entendu le directeur de cette association rappeler à quel point il était attentif à ce que l'État adopte des dispositions comme celles dont je fais la promotion aujourd'hui. Il rappelait aussi, madame Dubost, un chiffre qui devrait ébranler, au moins un petit peu, vos certitudes : chaque année, 17 milliards d'euros sont engagés à faire la publicité de la puissance privée, pour nous dire ce qu'il faut consommer, ce qui est bon dans la vie, ce qui est bon comme société… Face à ces 17 milliards, comment pouvons-nous renoncer à dépenser quelques millions d'euros, au maximum, pour engager un contrôle des certificateurs privés, qui dirait ce que la puissance publique, c'est-à-dire la démocratie, entend par une « bonne entreprise » ?

À la veille de l'effondrement social et écologique, l'effort représente peu de chose, mais vous préférez en permanence le renoncement et la servitude, sous couvert de libéralisme. Vous êtes en train de faire un rapport pour observer l'existant ? Mais enfin, si la RSE marchait, nous le saurions ! Nous sommes à la veille d'un effondrement et vous nous renvoyez à un rapport sur l'état des puissances privées ? Franchement, nous ne sommes pas au rendez-vous ! Avec Boris Vallaud et d'autres, nous en avons assez que, sur ces sujets, on fasse seulement semblant.

Au MODEM, je tiens à dire que, sur le plan étymologique, « prendre en considération » est différent de « prendre en compte ». Prendre en compte dans le code civil et dans la loi PACTE, c'est faire entrer dans une comptabilité – c'est exactement le dessein que nous poursuivons. Prendre en considération, c'est, avec un peu de condescendance, se contenter d'examiner les éventuels risques sociaux ou environnementaux des décisions que l'on prend. Prendre en compte, c'est les intégrer dans une comptabilité. Les deux termes paraissent très proches, mais ils ne recouvrent pas du tout le même dessein politique. Vous devrez choisir et décider, en séance publique, si vous pensez qu'on peut faire semblant sur ces sujets ou s'il faut vraiment engager une transformation.

Si ma position est d'une certaine radicalité, ma proposition est formulée tout en humilité. Elle vise simplement à recréer le cadre d'un libre choix des citoyens quant au modèle économique qu'ils veulent être le leur. Je m'entretenais hier avec des étudiants en économie sociale et politique de l'Institut catholique de Paris, je m'entretiendrai demain avec les étudiants en sciences politiques de Nancy et, après-demain, avec ceux d'AgroParisTech ou de l'ENSAE ; je vois naître une jeunesse qui a besoin de savoir dans quelle entreprise elle va collaborer. Or cette jeunesse ne fera pas confiance au reporting et à la propagande des boîtes. Elle veut connaître la vérité et savoir quel sens elle donne à sa vie et à son engagement.

Je connais aussi, partout, des consommateurs, des femmes et des jeunes, y compris dans des milieux populaires, qui, de plus en plus, affirment leur désir de choix éthique dans leur consommation, comme nous le révèle une récente étude diligentée par OpinionWay. Ceux qui ont le privilège d'avoir de l'épargne aimeraient aussi pouvoir l'investir dans une économie décarbonée et socialement responsable, plutôt que de se voir exposés à la propagande que nous subissons aujourd'hui.

Est-ce que cette proposition profondément écologique, démocratique et libérale mérite vraiment le mépris que vous avez exprimé ? Vous auriez pu prendre la peine d'étudier ma proposition de labellisation. Non, elle ne remplace pas les labels privés – cela aurait été totalement prétentieux ! Elle vise simplement à donner un cadre public de discernement pour évaluer les affirmations des puissances privées. Il ne s'agit évidemment pas de les remplacer.

S'agit-il d'une rigidification, d'un archaïsme, d'une position d'opposition à l'Europe ? Évidemment, non. L'amendement CL8 vise à préciser que nous retenons plutôt une méthode des scores, ou scoring, mais c'est uniquement une question de sémantique, car tout était déjà dans le texte initial, madame Dubost. Quant à l'articulation avec le dessein européen, même Patrick de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables, a estimé, lors de son audition, qu'une expérimentation française concernant 500 ou 1 000 entreprises, dans une filière et un territoire volontaires, fournirait plutôt un appui à notre plaidoyer en faveur d'une norme européenne.

Je voudrais vous sensibiliser un instant, chers collègues, au décalage immense que j'observe entre votre argumentaire et l'état du monde. La dernière société de notation européenne, Vigeo Eiris, a été rachetée par un fonds américain. La dernière, suisse et indépendante, qui appliquait des critères d'inspiration européenne, a été rachetée la semaine dernière par le fonds de pension d'une société américaine. Autrement dit, dans la notation des entreprises, nous avons perdu aujourd'hui la souveraineté de l'établissement des normes et de la mesure de leur performance.

Une souveraineté européenne et une souveraineté démocratique ne supposent-elles pas la capacité de définir, dans notre pays et en Europe, ce qui est bon pour notre société et pour notre planète, et de l'affirmer à travers un système de valeurs et un système de mesures que nous maîtriserions nous-mêmes ? Voilà la question posée. Je regrette que vous n'ayez pas accordé plus de crédit à ma proposition.

S'agissant des rapports commerciaux, il entre bien dans notre dessein de donner à la puissance publique, en l'espèce aux régions, aux départements, aux agglomérations et aux métropoles, la capacité d'intégrer des critères de RSE. La porte est cependant étroite, en raison de directives européennes très contraignantes. Mais il s'agit de permettre à la commande publique de choisir un modèle économique plus vertueux pour son territoire – et pour notre monde.

Ugo Bernalicis, si vous trouvez que cela ne va pas assez loin, nous en sommes évidemment conscients. Je ne propose qu'un levier parmi d'autres. Ce matin même, notre groupe propose à la commission des Affaires économiques un plan Marshall en faveur de la rénovation énergétique, avec un objectif de zéro carbone en 2050 pour l'habitat. Je suis aussi l'auteur d'une loi sur le devoir de vigilance, qui définit des sanctions en cas de manquement à ce devoir ; des procès sont actuellement en cours contre des multinationales. Ma proposition ne remplace donc pas d'autres dispositions. Elle les complète plutôt, en suivant une logique d'« empowerment », de montée en capacité, de la société. Il s'agit d'aider l'entrepreneuriat le plus volontaire pour participer au bien commun.

Cette proposition se veut, enfin, un effort de démocratie. Cécile Untermaier et vous-même avez souligné les failles du label bio. Pour avoir exercé mon métier dans ce secteur pendant un quart de siècle et avoir cheminé avec la fédération des agriculteurs biologiques, je tiens à souligner que ce n'est pas le label qui est aujourd'hui remis en cause, mais son incomplétude. Si nous réécrivions aujourd'hui le label AB, nous y intégrerions un critère de commerce équitable, c'est-à-dire de partage de la valeur pour prévenir les comportements rapaces de la grande distribution dans ce secteur d'activité. Nous inclurions aussi un bilan carbone comme sixième critère, afin de prendre en compte les effets pervers des serres chauffées ou des transports d'effluents.

S'il fallait le faire autrement, la capacité de la norme à énoncer une vérité dans le domaine économique n'en demeurerait pas moins un exercice libéral, sur le plan philosophique. Je regrette qu'une majorité libérale sur le plan économique n'adopte pas la même attitude sur le plan philosophique. Voilà bien un paradoxe.

Un dernier mot pour Paul Molac. Vous avez visé juste en voyant dans le petit accompagnement financier que demandent des PME, un investissement sur l'avenir. Il pourrait prendre la forme d'une reconnaissance de leur action au moment du calcul de l'impôt sur les sociétés ou de la contribution sociale généralisée, voire d'un accès privilégié aux marchés publics. Cette reconnaissance pourrait n'être pas grand-chose sur le plan financier, mais leur apporterait un réel crédit de réputation. Et ce serait un bon investissement pour l'État. Taxer moins et prélever moins de cotisations sociales sur les entreprises qui participent au bien commun, c'est investir dans les solutions. Aujourd'hui, la malbouffe, c'est 800 millions d'euros de propagande en faveur du gras et du sucré et 27 milliards consacrés à la réparation du diabète de type 2 et de l'obésité. Choisir, dans tous les domaines, d'investir un peu dans la qualité des processus de fabrication, et le reconnaître en défiscalisation et en aides sociales, c'est accompagner des solutions de prévention.

La modernité du XXIème siècle reposera sur des politiques préventives capables de nous éviter les effondrements écologiques et sociaux annoncés.

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