Merci de m'accueillir au sein de la commission des Lois : c'est pour moi une première.
Ce texte que le groupe Socialistes et apparentés a souhaité proposer pour sa journée réservée découle d'une longue histoire. Durant la précédente législature, notre ancienne collègue Chantal Guittet avait été chargée d'une mission sur la SNSM, dont elle avait abordé l'ensemble des aspects, de la reconnaissance de l'association à son financement. La présente proposition de loi reprend certaines des recommandations qu'elle avait formulées dans son rapport qui, malheureusement, n'avait pas connu de suite. J'espère qu'il n'en sera pas de même au cours de cette législature.
Chacun se souvient que, le 7 juin dernier, trois sauveteurs de la SNSM ont trouvé la mort au large des Sables-d'Olonne alors qu'ils tentaient de porter secours à un marin-pêcheur en détresse. Cette terrible épreuve a suscité une grande émotion dans notre pays et a mis en lumière la contribution de la SNSM et de ses 8 000 bénévoles, mais aussi les difficultés auxquelles cette association est confrontée.
Née dans les années 1960, la SNSM prend en charge la moitié des interventions réalisées par des moyens nautiques. Elle est présente dans 218 stations du littoral et a secouru près de 7 200 personnes en 2018 – ce qui est énorme – au cours de plus de 3 900 interventions, soit une augmentation de près de 20 % de son activité depuis 2013. Sa situation financière est fragile, puisque les deux tiers de ses ressources varient chaque année. Depuis 2012, l'effort consenti par les pouvoirs publics s'est accru : la subvention de l'État a augmenté de 4,2 millions d'euros et l'association a bénéficié de l'affectation d'une partie du produit de certaines taxes. Toutefois, la SNSM doit faire face à d'importants défis, dont le principal consiste à renouveler sa flotte. Acquérir des bateaux, cela coûte très cher. Par ailleurs, les sauveteurs, qui concourent au service public du sauvetage en mer, ne bénéficient d'aucune reconnaissance ni d'accompagnement budgétaire ou financier de la part de l'État lorsqu'ils engagent une opération.
La proposition de loi que j'ai l'honneur de rapporter ce matin comporte deux articles principaux. L'article 2 prévoit de donner à la SNSM des moyens lui permettant d'investir chaque année. On estime, en effet, qu'il lui faudra remplacer entre 70 et 140 navires pendant les dix prochaines années, ce qui rend nécessaire de la doter de ressources pérennes. La majorité actuelle a conscience de la situation puisque, dès 2017, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, un amendement visant à attribuer à la SNSM une partie du produit des taxes affectées avait été adopté.
Comme vous le savez, les taxes affectées sont plafonnées : tout ce qui dépasse le plafond fixé retourne dans le budget général de l'État. Je trouve, pour ma part, ce principe tout à fait sain – alors même que, dans mon groupe, tout le monde n'est pas d'accord, mais c'est la position que je défends – car il permet au législateur de garder la main : ainsi, on ne vote pas des taxes affectées dont on ne contrôlerait jamais le montant. La majorité avait donc décidé, en cas de dépassement du plafond, d'affecter une partie du produit de ces taxes à la SNSM plutôt que de le voir retourner dans le budget général de l'État.
L'intention était louable, mais cela n'a pas fonctionné, car le rendement des taxes affectées choisies était trop faible et les sommes récoltées étaient consommées pour ce qui était leur objet premier. De ce fait, cette année, dans le projet de loi de finances pour 2020, un amendement du Gouvernement a été adopté afin d'augmenter la dotation budgétaire de l'État au profit de la SNSM. L'article 2 de la proposition de loi, qui a été écrite en juillet, soit bien avant que le Gouvernement ne dépose l'amendement en question, prévoit une affectation de taxes selon le même principe que ce qui a été voté en 2017, mais ne vise pas les mêmes taxes. Je le dis d'emblée pour éviter les malentendus et la langue de bois : je n'en fais pas un point de blocage. Étant donné que le principe d'une hausse du financement de la SNSM a déjà été voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, je comprendrais que l'article 2 ne soit pas retenu.
L'article 1er porte sur la reconnaissance symbolique et matérielle. Les symboles sont importants, surtout au regard du sacrifice consenti par ces sauveteurs. Le Premier ministre l'a dit hier, le mot « sacrifice » est le plus souvent abstrait, mais il prend une autre dimension quand certains donnent effectivement leur vie – on l'a vu à l'occasion du terrible drame ayant entraîné la mort de treize militaires au Mali. Il est donc important que la Nation manifeste sa reconnaissance symbolique et matérielle – j'insiste sur ces deux mots – aux sauveteurs en mer.
Les trois sauveteurs décédés au mois de juin dernier aux Sables-d'Olonne ont été nommés au grade de chevalier de la Légion d'honneur par le Président de la République et cités à l'ordre de la Nation dès le mois de juin 2019. Mais cette citation, quoique nécessaire, demeure honorifique et n'offre aucune protection ni reconnaissance particulières à leurs familles, notamment à leurs enfants, qui sont devenus orphelins de père. Il paraît difficile, quand on observe l'action des sauveteurs en mer, de ne pas rapprocher leur bénévolat de celui des sapeurs-pompiers volontaires, puisqu'ils accomplissent, eux aussi, des missions de secours d'urgence aux personnes en exposant leur vie à des risques considérables. Par ailleurs, lorsqu'ils interviennent en mer, dans la très grande majorité des cas, c'est sur ordre du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS), c'est-à-dire qu'ils sont missionnés par la puissance publique. Ils se rendent disponibles de manière extrêmement rapide, malgré leur activité professionnelle – puisque, je le rappelle une fois encore, ils sont bénévoles – et sont soumis à un régime d'astreinte très similaire à celui des sapeurs-pompiers volontaires. Pour autant, malgré cet engagement, ils ne bénéficient pas de la même protection de la part de l'État. Une loi de 1991 a aligné le régime applicable aux sapeurs-pompiers volontaires en cas de maladie contractée ou d'accident survenu en service sur celui des pompiers professionnels, qui sont des fonctionnaires territoriaux, mais il n'y a rien eu de semblable pour les sauveteurs en mer.
Par ailleurs, l'expression de la reconnaissance de la Nation par l'intermédiaire d'une citation à titre posthume n'a pas les mêmes conséquences matérielles pour les familles de sauveteurs en mer et celles des sapeurs-pompiers volontaires. Cette reconnaissance permet aux familles de sapeurs-pompiers volontaires de bénéficier de mécanismes protecteurs en matière de pensions de réversion et de droits de succession et leur a ouvert la voie des emplois réservés. Les familles des sapeurs-pompiers sont également accompagnées par l'Œuvre des pupilles, association à but non lucratif reconnue d'utilité publique, qui offre une protection d'une qualité et d'un niveau tels que les pompiers n'ont jamais souhaité que leurs enfants puissent bénéficier de la reconnaissance de la qualité de pupille de la Nation, ce qui leur a pourtant été proposé à plusieurs reprises.
Aucun dispositif de la sorte n'existe pour les enfants des sauveteurs décédés en mer. Certes, ces derniers peuvent être indemnisés en leur qualité de collaborateurs occasionnels du service public, et ils bénéficient du régime de prévoyance des marins, puisque la SNSM verse des cotisations et des contributions à ce titre, mais la réforme des retraites, si elle remet en cause ou supprime le régime spécial des marins, pourrait mettre également en péril cette protection. Je suppose que nous aurons un débat sur cette question au moment de l'examen de la réforme, mais il paraît indispensable, en tout état de cause, de mettre en oeuvre une reconnaissance et une protection effectives des familles de sauveteurs en mer décédés en opération. Cette protection doit venir directement de l'État, en reconnaissance de la mission accomplie au service de l'intérêt général.
La qualité de pupille de la Nation, traditionnellement reconnue aux orphelins de guerre depuis sa création en 1917, a progressivement été étendue à d'autres, notamment aux enfants des victimes du terrorisme, aux enfants de magistrats et de membres des forces de sécurité, de démineurs, d'élus, de professionnels de santé, de victimes d'actes de piraterie et de tout agent public « mort pour le service de la Nation ». Cette reconnaissance offre aux enfants une protection matérielle et morale particulière, exercée par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, qui s'ajoute à celle des familles et peut se traduire par la prise en charge, partielle ou totale, de leur entretien et de leur éducation, en cas de besoin ou d'insuffisance des ressources de la famille.
L'article 1er a donc pour objectif de reconnaître la qualité de pupille de la Nation aux enfants dont le parent ou le soutien de famille membre de la SNSM a été tué lors de l'accomplissement d'une opération de secours en mer, est décédé des suites d'une telle opération – car on peut n'avoir été que blessé et mourir par la suite – ou se trouve dans l'incapacité de pourvoir à ses obligations et à ses charges de famille à la suite d'une telle opération.
Cette proposition de loi, qui comporte deux articles principaux, n'a d'autre ambition que d'accorder à la SNSM et à ses sauveteurs des moyens – même si, à cet égard, une réponse a déjà été apportée dans le projet de loi de finances pour 2020 – et une reconnaissance. J'espère que nous saurons nous rassembler au moins autour du principe d'une reconnaissance.