Intervention de Didier Paris

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Paris :

Je remercie le rapporteur d'avoir très bien exposé les raisons qui l'ont amené à déposer cette proposition de loi. Objectivement, aucun d'entre nous, ici, ne peut être aveugle aux enjeux environnementaux que vous décrivez et à la criminalité environnementale qu'il serait vain de nier. Néanmoins, même si je connais la précision avec laquelle vous abordez les problèmes, vous serez peut-être déçu de mes réponses. Il reste que votre proposition de loi soulève d'assez nombreuses difficultés.

Tout d'abord, avons-nous vraiment besoin d'un nouveau texte ? La question se pose parce que nous disposons déjà d'un ensemble complet de règles : dix ans d'emprisonnement pour ce qui relève de délits, non de crimes – vous avez raison de faire la différence –, ce qui n'est pas rien, notamment afin de lutter contre la pollution en haute mer que vous avez signalée. Que ces incriminations figurent dans le code pénal ou dans le code de l'environnement, quelle différence pour les magistrats ? Ils savent se référer à un texte où qu'il soit.

À cela s'ajoute un ensemble de mesures civiles et administratives, même si certaines peuvent être améliorées – je pense aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Rappelons-nous le drame écologique de l'Erika, dans lequel la Cour de cassation a reconnu la responsabilité pleine et entière de l'affréteur Total. Le groupe La République en marche considère que nous disposons déjà d'une législation adaptée. La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite « loi Barnier », a largement balisé le champ des responsabilités en instaurant le principe pollueur-payeur.

Vous l'avez dit : les choses n'ont pas encore abouti sur le plan politique. L'été dernier, le Président de la République a fortement appelé l'attention des membres du G7 sur le drame amazonien. La conscience internationale doit encore progresser. Ce n'est pas le droit pénal français qui y aidera, même si les règles qu'il contient ont, bien évidemment, leur intérêt. Nous devons absolument développer les mécanismes de prévention et je n'ai pas le sentiment que ce soit le cas avec ce texte, dont votre parti a proposé une première rédaction au Sénat qui l'a rejetée.

Nous devons également poursuivre la réflexion en cours à travers la mission confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable afin de renforcer l'effectivité du droit de l'environnement. Nos règles sont claires et puissantes, mais il faut s'attacher à la façon dont elles sont exécutées.

Se posent ensuite des difficultés de nature constitutionnelle. La définition de l'écosystème que vous proposez me semble par trop imprécise, difficile à incarner et susceptible de nombreuses interprétations pour correspondre à la nécessité absolue de la clarté de la loi pénale, de la lisibilité des textes. Ce n'est pas un an d'emprisonnement qui est en jeu ! L'objectif n'est pas de jeter les gens en prison, avez-vous dit, mais vingt ans de réclusion criminelle sont à la clef. Je ne comprends donc pas ! Si ce n'est pas de l'écologie punitive, je ne comprends pas non plus ! La définition des atteintes portées à l'écosystème ne suffit pas à fonder la condamnation que vous proposez.

En outre, cette définition doit être validée sur le plan international. Quel serait le sens d'une répression française qui ne s'insèrerait pas dans une logique internationale reconnaissant le même principe de protection de l'écosystème ?

Le crime d'écocide, vous avez raison, ne s'applique en l'état qu'aux faits de guerre et non en période de paix mais, dans le premier cas, on explique les raisons pour lesquelles le dommage procède d'une action volontaire, alors que votre texte ne fonde le principe de légalité que sur les conséquences du non-respect de telle ou telle règle.

Enfin, d'autres problèmes juridiques se posent. Le Conseil constitutionnel veille scrupuleusement à la proportionnalité de la faute et de la sanction pénale attachée. Or, on peut, en l'occurrence, avoir un doute. Il en va de même s'agissant de l'individualisation des peines – et je ne parle pas seulement de la répression criminelle que vous proposez.

Par ailleurs, pouvons-nous considérer aussi facilement que vous le faites que l'atteinte très imprécise à l'environnement, quelles que soient ses conditions, doit être placée sur le même plan que le génocide, les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre ? Personnellement, je ne le souhaite pas. Nous avons récemment eu l'occasion de discuter de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, de même que de la compétence universelle des juridictions françaises, avec notre collègue sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a permis de trouver un moyen terme, contrairement à votre texte si excessif. Revenons aux principes élémentaires et hiérarchisés du droit !

Le groupe La République en marche n'est pas favorable à votre proposition de loi.

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