Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j'irai à l'essentiel : les crédits que le Gouvernement accorde à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation » ne sont pas suffisants. Vous pourriez certes me rétorquer que d'autres budgets débattus ici souffrent bien davantage des coups de serpe « austéritaires » – je pense notamment à la Sécurité sociale, à l'enseignement, à la santé ou encore aux dotations allouées aux collectivités locales – , mais le budget consacré aux anciens combattants n'est pas épargné non plus. Ses points saillants ont déjà été évoqués, notamment par le rapporteur spécial. Il accuse une baisse de 0,3 milliard d'euros à l'horizon 2020, qui ne se justifie nullement au vu de ses nombreuses lacunes, dont je donnerai quelques exemples.
Tout d'abord, les pensions versées aux veuves de guerre n'ont pas véritablement évolué depuis 1928. Les critères permettant leur allocation sont trop restrictifs, et toutes les veuves ne peuvent en bénéficier. Elles ne sont d'ailleurs, comme cela a déjà été évoqué, pas toutes traitées de la même manière face à l'impôt.
La valeur du point servant au calcul des pensions militaires d'invalidité n'est pas revalorisée – pas même à la hauteur de l'inflation.
Le budget de l'ONAC, l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre, ne gagne pas non plus un centime, alors que cette structure s'est vue confier de nouvelles missions, comme l'accompagnement des victimes du terrorisme.
Le statut d'ancien combattant n'est toujours pas accordé aux militaires français déployés en Algérie entre 1962 et 1964. Pourquoi ?
Le groupe La France insoumise aurait voulu déposer des amendements pour corriger les points que je viens d'énumérer et bien d'autres, mais le budget présenté est tellement serré et les contraintes réglementaires liées au fonctionnement de notre assemblée sont telles qu'ils ne nous laissent, en vérité, aucune marge de manoeuvre.
Je consacrerai par conséquent la deuxième partie de mon intervention à une question mémorielle – j'aurais pu en aborder d'autres – , qui a néanmoins une grande importance à mes yeux et à celui d'un grand nombre de nos concitoyens : la manière dont nous traitons une partie, certes réduite, mais symptomatique, de nos anciens combattants.
L'an prochain, nous commémorerons, comme vous l'avez évoqué, madame la secrétaire d'État, le centenaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale. Si nous avons tous en tête que ce conflit fit près de 20 millions de victimes directes, d'autres faits et chiffres sont malheureusement moins présents à nos mémoires. Je veux ici symboliquement évoquer le martyre des 650 soldats dits « fusillés pour l'exemple » durant les quatre années du conflit. Dès 1914, le général Joffre avait convaincu l'exécutif politique de constituer des cours martiales dénommées « conseils de guerre spéciaux ». Ces tribunaux militaires, dont l'existence fut cachée aux parlementaires, avaient pour mission de juger, sans magistrat indépendant, sans débat contradictoire et sans possibilité de recours, des flagrants délits comme des abandons de poste ou de simples refus d'obéissance. Des qualifications larges, volontairement peu précises, permirent à ces juridictions d'exception de condamner à mort et de faire exécuter dans les vingt-quatre heures plusieurs centaines d'hommes, privés de leurs droits les plus essentiels.
Ces faits sont connus, je le sais. Voilà quelques années, Lionel Jospin, Premier ministre, sensible à cette question, les avait évoqués. Avec beaucoup de modestie et en compagnie de beaucoup d'autres, j'avais quant à moi déjà eu l'occasion de rappeler cette cicatrice ouverte de notre histoire nationale en faisant adopter un voeu par le conseil de Paris pour que la mémoire de ces hommes soit enfin honorée, dans la capitale, par une place rendant hommage aux « fusillés pour l'exemple ».
J'aurais aussi voulu, avec vous sans doute, me féliciter qu'il existe désormais, après de nombreuses années de revendication, un espace dédié à ces derniers, ouvert en 2014 au musée de l'Armée des Invalides, mais il faut reconnaître que cet espace n'est pas à la hauteur de ce tragique épisode historique : il est décevant sur le plan muséographique et ne répond pas à la demande de réhabilitation collective. Ce n'est pas suffisant, et je saisis l'occasion de ma présence à cette tribune pour demander que le Parlement et l'exécutif réhabilitent, moralement et civiquement, ces 650 soldats tombés sous nos propres balles !
Outre ceux que je viens de citer, notre pays souffre encore de trop de morts, pour lui ou par lui, que nous n'avons pas su réhabiliter, de trop d'erreurs que nous n'avons pas su reconnaître et de trop de mémoires que nous n'avons pas su honorer – nous y reviendrons au cours de cette législature.
Pour ce qui est des faits et dates déjà reconnus par la France, nous commémorons chaque année armistices et autres moments importants de notre histoire. Nous avons bien sûr raison de le faire mais, s'ils sont nécessaires, les dépôts de gerbes et les levers de drapeaux ne sont pas suffisants. Selon nous, chaque journée de souvenir et chaque célébration ne doivent pas être des moments froids, figés par des rites, mais l'occasion de discuter de faits historiques, de les questionner et d'en tirer des enseignements pour comprendre le présent et préparer l'avenir. Chacun de ces instants doit être l'occasion de faire de l'éducation populaire, de rappeler qui étaient nos héros, pourquoi ils se sont battus et surtout comment, demain, empêcher les guerres. Les fleurs ne suffisent pas à élever les consciences. Nous ne pouvons rendre hommage à nos anciens combattants qu'en apprenant de leurs luttes et en ne cessant de construire et de défendre, partout et à chaque instant, le monde et les idéaux pour lesquels ils se sont battus.
Traiter correctement nos anciens combattants exprime crûment le niveau de reconnaissance que la République accorde à ceux qui ont donné leur vie pour elle. Ne lésinons pas là-dessus ! C'est la condition pour mieux faire connaître le prix de la paix.