Intervention de Pierre Monzani

Réunion du mardi 3 décembre 2019 à 19h10
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF) :

Votre deuxième question porte en particulier sur la différenciation, au sens où il pourrait y avoir des modalités de concrétisation différentes selon les départements ou les territoires. Certaines lois peuvent avoir des impacts majeurs ou non selon les endroits, au-delà du cas, caricatural, des lois relatives au littoral, qui ont davantage d'effet quand il y a un bord de mer…

Il existe une vraie difficulté sur laquelle il n'est pas évident de se prononcer – c'est d'ailleurs à vous qu'il appartient de le faire. L'inégalité est l'argument que l'on oppose habituellement à une différenciation véritable, c'est-à-dire à une vraie décentralisation : l'idée est que l'on va nourrir les inégalités si on n'applique pas partout de la même façon la loi, qui se conçoit sous la forme d'un singulier de majesté en France. La question qu'on peut se poser, sans vouloir être trop abstrait, est de savoir si une loi unique et non différenciée n'est pas moins concrétisée, et s'il n'y a pas une inégalité due à sa faible concrétisation. Vaut-il mieux une loi universelle, uniforme, républicaine, pure et parfaite, mais peu incarnée et concrétisée, ou une loi moins universelle, plus différenciée et donc plus inégalitaire – j'ose employer ce gros mot ? Je pose la question.

Je vais prendre un exemple très trivial, qui concerne l'égalité des Français devant la santé, laquelle est éminemment souhaitable. Pensez-vous que l'on a les mêmes chances de guérir d'un cancer s'il se déclare dans telle ou telle ville – je ne vais citer aucun territoire afin de n'être discourtois envers personne – où l'équipement hospitalier est léger et où il n'y a pas d'oncologue ou dans l'arrondissement de Paris où nous nous trouvons en ce moment ? De ce point de vue, l'égalité est purement abstraite. Ne faut-il pas répondre aux besoins du mieux que l'on peut, même si on le fait d'une façon inégalitaire, dans le cadre de mises en application différentes ? C'est un débat que l'on ouvre peu souvent car il est dérangeant, compte tenu de nos principes traditionnels, mais je crois que c'est une façon de répondre à votre question.

Je crois profondément que la subsidiarité ascendante, qui est encore un peu théorique à ce stade, je vous l'accorde, doit être une espèce d'épreuve de vérité. Ayons le courage collectif – cela pourrait être un exemple de travail entre parlementaires et élus départementaux – de nous poser sans a priori la question de savoir quel est le niveau le plus adapté pour telle compétence ou telle politique, comme le Pass culture. Je vais être iconoclaste vis-à-vis de moi-même, ou en tout cas de mes mandants : y a-t-il une sorte de loi divine qui ferait que les collèges relèvent de la compétence des départements et les lycées de celle des régions ? Cela dit, je tiens surtout à évoquer les collèges, pour montrer que nous essayons d'être impertinents à l'égard de nous-mêmes.

Passons au crible les services publics qui incarnent et concrétisent les lois que vous concevez, afin de voir entre quelles mains ils sont le plus susceptibles d'atteindre un optimum. C'est compliqué et déchirant, mais pas politicien. Même si cela peut être vexant pour certains nombrils, je crois que c'est un beau défi, qui ne prendra pas seulement cinq minutes : cela peut constituer un grand programme de mobilisation nationale. Nous sommes prêts, pour notre part, à cet exercice. C'est un véritable enjeu : lorsqu'une compétence est exercée à un niveau optimal de proximité, on règle un grand problème sur le plan de la concrétisation. Si on passe le ballon, si je puis dire, à celui qui est le plus compétent pour le manier, on évite des erreurs.

La subsidiarité ne doit pas être juste un mot : il faut qu'il y ait un véritable passage en revue des politiques publiques, sans tabou ni a priori. Cela provoquera quelques grincements de dents, mais cela vaut quand même la peine d'essayer.

En ce qui concerne la non-concrétisation des textes législatifs, nous pourrions peut-être vous adresser une contribution écrite, car je ne veux pas être trop long : j'ai quelques exemples en tête, mais les décrire risque d'être un peu fastidieux. Nous pourrions vous faire parvenir quelques morceaux choisis.

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